Foot ou surf ?
par Bruno de Larivière
lundi 20 juin 2011
On le sait désormais, Nice a été choisie parmi les villes d'accueil de l'Euro 2016. Il faut maintenant un nouveau stade et un peu (...) d'argent : 250 millions d'€. Quant au terrain, on a trouvé : au milieu du lit d'un fleuve méditerranéen : le Var.
Les instances fédérales du football français ont donc rendu leur verdict. Il fallait neuf stades pour accueillir la compétition de l'euro 2016, et il y avait onze mairies candidates. Les dossiers de Toulouse et de Saint-Etienne ont été retirés de la liste à la fin du mois de mai. Outre les deux stades franciliens (Stade de France et Parc des Princes), le Conseil Fédéral a retenu les stades de Marseille, Nancy, Bordeaux, Nice, Lyon, Lille et Lens. Ce choix ne fait pas l'unanimité chez les amateurs (source). Les Stéphanois hantés par les exploits des Verts ont visiblement trouvé en Michel Platini un avocat pour infléchir la décision finale. Un dixième stade sera brusquement nécessaire pour la bonne marche de la compétition : celui de Saint-Etienne justement (source). Dans la liste considérée comme finale, le nom de Nice a toutefois retenu mon attention.
La dimension financière du projet suscite évidemment mon agacement. Pourquoi faudrait-il consacrer près de 250 millions d'euros à un équipement de prestige, ne servant qu'à une infime minorité de la population départementale ? A titre de comparaison les 17.000 places du stade actuel représentent l'équivalent de 1,5 % de la population du département des Alpes maritimes, qui compte un peu moins d'1,1 million d'habitants. Un nouvel équipement attirera de nouveaux spectateurs ? A ce compte-là, la municipalité peut aussi inscrire Nice sur la liste des villes candidates aux JO en tablant sur la future fréquentation d'installations sportives par une population toujours jeune et dynamique. J'exagère à peine : Nice figurait parmi les concurrents d'Annecy pour des Jeux d'hiver futurs. Il est vrai que les défenseurs du projet tablent sur l'organisation de manifestations culturelles et sportives en dehors des matchs de football.
Des conseillers municipaux ont ouvertement exprimé leur hostilité. L'une explique que la redevance annuelle versée par la ville - outre la subvention de départ (1) - à partir de 2014 atteindra 10,8 millions d'euros (dernière échéance en novembre 2040), c'est-à-dire un total supérieur de 2 millions à celui annoncé par Christian Estrosi. Ce dernier défalque par avance le loyer à verser par le club de football à la mairie. Mais la prévision ne vaut que si l'OGC reste en première division (L1) et si la fréquentation progresse, ou au moins reste stable. Or dans un passé récent, les footballeurs niçois ont évolué à plusieurs reprises en deuxième division (L2). Un autre conseiller calcule que la moyenne des spectateurs par match lors de la saison 2009-2010 (8.714 / chiffres LNF) ne correspondrait pas à celle requise pour couvrir honorablement le contrat entre la mairie et le groupe Vinci. Faute de détenir toutes les clefs du dossier, je me contenterai de rapporter la moyenne ci-dessus avec la contenance du futur stade (35.000 places) pour présumer un fossé coûteux (source).
Le journal Nice Matin ne tourne néanmoins pas autour du pot. Il roule en faveur du projet << 'Ça fait quatre ans que je suis revenu à Nice. Il ne manque qu’une véritable structure avec un stade et un camp d’entraînement et des moyens. Peut-être qu’un actionnaire sera intéressé le jour où il y aura le Grand Stade.' Fin mars, Lionel Létizi, le gardien de but emblématique formé au club rouge et noir, rencontrait nos lecteurs. Et démontrait, s’il en était encore besoin, combien le projet du Grand Stade dans la plaine du Var est vital pour l’envol footballistique (enfin !) des aiglons. Mais pas seulement. >>
S'ensuit une litanie de bénéfices hypothétiques. Lénine a dit un jour que le communisme c'était les Soviets plus l'électricité. Avec le futur stade, ce sera le sport plus l'économie et l'écologie. Les hotels - restaurants ravis de voir débarquer une clientèle de supporters naturellement si adaptée aux standards touristiques de la Côte d'Azur attendent avec impatience les cinq matchs de l'Euro. La mairie a préparé le terrain du point de vue de la sécurité ['Aux Niçois qui mal y pensent']. Le groupe Vinci si souvent maltraité par la majorité gouvernementale, qui a remporté l'appel d'offres, s'est engagé à s'appuyer sur la sous-traitance locale (à hauteur d'un tiers environ des emplois) ; soixante personnes au mieux pendant trois ans, voilà qui fera reculer le chômage en pays niçois ! S'y ajouteront les emplois des galeries marchandes prévues sur 29.000 m² aux abords du futur stade (source).
Dans la future Eco-Vallée (source), le Grand Stade Eco-durable va donc surgir : vidéo. Les travaux sur le site devraient commencer cet été sur le site de Saint-Isidore (source). Les maquettes préalables incitent à rêver. On contemplera dans trois ans un bâtiment aéré, environné de verdure, mais dont on ne voit pas comment on il pourra accueillir des milliers de voitures (faute de parkings souterrains ?). Admettons en tout cas le projet, puisqu'il va désormais se réaliser. Ma critique principale intervient à l'échelle du risque et non de la viabilité financière. Car la basse vallée du Var cumule les handicaps. Les terrains plats non construits se concentrent là et pas ailleurs ; compte tenu de la pression immobilière qui règne sur la Côte d'Azur, il y a là quelque chose qui devrait faire réfléchir. Seuls des grands aménagements sont implantés dans cette zone : préfecture, aéroport, zone commerciale, etc. Le lit mineur du fleuve est en efffet extrêmement dangereux. D'abord parce qu'il se situe dans un département très exposé aux risques de séismes et de submersion par un raz de marée ['Salade niçoise, sauce citron'].
Mais c'est surtout au risque d'inondation que je pense en évoquant les catastrophes naturelles. Les plans de l'Eco-Vallée niçoise montrent bien que les urbanistes ont considéré le chenal d'écoulement actuel comme une norme définitive. Ils ont complètement gommé la capacité d'expansion du fleuve au-delà de ses berges artificiellement dessinées, lors d'épisodes de précipitations exceptionnelles (carte). Les cartes ne tiennent évidemment pas compte de l'histoire de l'endiguement du fleuve ; celui-ci a commencé après 1840 et s'est accéléré après 1870 : une fois le Comté de Nice rattaché à la France. A l'époque, il faut élargir le périmètre agricole en créant des parcelles gagnées sur le fleuve. Des seuils permettent de limiter l'enfoncement du fleuve dans son lit.
Début novembre 1994, 350 millimètres d'eau sont tombés en quelques heures. Le 5 novembre, des flots boueux ont ensuite tout emporté sur leur passage. Plusieurs seuils ont disparu, pour certains doublés de turbines destinées à la production électrique. Alors que le débit estival du fleuve peine à dépasser 10 mètres-cubes par seconde, il dépasse ce jour-là le maximum de capacité (800 mètres-cubes par s.) des capteurs installés sous le pont Napoléon III. Le bassin-versant du Var s'étend certes sur une surface inférieure à celle du département des Alpes maritimes, avec trois affluents notables : l'Estéron, la Vésubie et la Tinée. Les lignes de crètes culminent néanmoins à 3.000 mètres d'altitude ; à cette altitude, neiges et glaces s'accumulent en hiver et fondent au printemps, provoquant un premier pic d'écoulement saisonnier (nival). A la fin de l'été et à l'automne, les orages méditerranéens gonflent à dates régulières le fleuve : comme en 2010 dans le département voisin ['Guigne à Draguignan']
Je conclus en citant Philippe Gourbesville, dont l'étude apporte des cartes et photos très éclairantes ('Le bassin-versant du Var et la crue de 1994'). << Si, par chance, la crue n'a pas provoqué de victime ou de blessé, l'ampleur du phénomène a surpris la population locale qui se pensait à l'abri de ses digues. De nombreuses infrastructures ont été endommagées et en particulier des chaussées - routes nationales et départementales - des ouvrages d'art et de nombreux bâtiments. L'estimation des dommages directs liés à cet événement s'élève à 23 millions d'euros. L'aéroport a été contraint d'interrompre ses opérations pendant une semaine. De manière anecdotique, le centre de gestion administratif des crues était implanté dans les sous-sols de la cité administrative située en bordure du fleuve. Cette dernière fut l'un des premiers bâtiments inondés...>> A partir de 2014, grâce à l'aménagement de l'Eco-vallée, les crues du Var apparaîtront comme naturelles. Sans doute pas indolores.
On peut facilement ironiser sur les reconversions possibles du stade de football en cas de crues : Jean Dujardin (incrustation) penche pour le surf...
PS./ Geographedumonde sur le risque d’inondation : Nogent secret, Donner sa langue au chat alsacien, Ne pas confondre 'jeter un pavé dans la mare' et 'ne pas se mouiller', Le journaliste, le climatologue et l'industriel, Vilaine Nina, Daccalage, Ni toit ni portes, Ce n'est pas en France qu'on verrait..., Guigne à Draguignan, Ne pas confondre football-spectacle et catastrophe à l'heure de pointe, Communes-sous-mer, Prendre un Paris, celui de 1910, Toulouse, si j’ose…, Certaines catastrophes prennent corps en silence, Wild wet Midwest, Du risque climatique lointain au risque terroriste immédiat, Que la Marne en furie dévale dans la Seine, Déjouer les tours du sort, De Batavia à Jakarta et De la croissance des prix de l’immobilier au risque de crue.
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Parmi les partenaires publics : l'Etat (20 millions d'euros), le département (20 millions), la ville de Nice (16 millions d'euros), la communauté urbaine (6 millions d'euros), la région (7 millions).