Il était une fois le pic pétrolier

par Aerobar Films
mardi 11 novembre 2008

Héros mythique des altermondialistes, des écologistes puis plus récemment des spéculateurs sur les marchés des matières premières, le pic pétrolier correspond à la date où la production mondiale de pétrole atteindra son maximum historique.

Et si ce fameux Peak Oil était passé ? La prise en compte de la crise naissante perturbe sensiblement les modèles prévisionnels de production, qui supposaient une croissance régulière de la consommation.


Ces dernières années, des jours et des jours de calcul sur Excel ont tenté d’approcher, de façon plus ou moins précise, quand surviendrait ce fameux moment futur où la production de pétrole mondiale atteindrait son maximum absolu.

On avait d’un côté les piquistes, qui pensaient que la géologie allait ainsi décapiter l’économie mondiale en provoquant une pénurie mondiale de pétrole ; leurs penchants anticapitalistes ou anti-états-uniens les poussaient alors à chercher à démontrer l’imminence de la Fin du Monde et de l’American Way Of Life. De l’autre côté, il y avait l’AIE, le CERA, tous ceux que les piquistes appelaient les terraplatistes, car ces derniers utilisaient prétendûment des raisonnements simplistes du style "puisqu’il y en a aujourd’hui, il y en aura encore demain".

Or les piquistes eux-mêmes étaient dans un sens terraplatistes : ils considéraient que l’offre, quelle que soit son augmentation, serait toujours absorbée par la demande d’un monde en plein développement économique. Bref, ils n’avaient pas vraiment de modèle prospectif robuste sur le plan économique.

La crise dans laquelle nous sommes en train de plonger, si elle se révèle effectivement aussi sévère que nous l’annonce le dernier Prix Nobel d’économie, est pourtant bien partie pour endommager sérieusement et durablement la croissance mondiale. L’industrie automobile commence à dévoiler ses miteux résultats de septembre, et comme disait l’autre, le pire est à venir : la grande consommation, l’immobilier, les projets d’infrastructures (mêmes les plus verts) voient leur activité freiner brutalement. Plus généralement, quasiment tout le secteur privé est en train de réduire d’un coup la voilure en prévision de la tempête qui s’annonce : gel des embauches, réduction drastique des OPEX, délocalisations à marche forcée, toute la panoplie y passe.

Sans aller jusqu’à évoquer le spectre de la Grande Dépression de 1929, ce que les journalistes adorent faire en ce moment, contentons-nous d’imaginer que cette récession ressemblera à celle du début des années 80. Si on extrapole alors la production des dix prochaines années sur la base de la consommation de cette époque, le résultat est sans appel :

Selon cette hypothèse, la consommation va baisser dans les 3 prochaines années, pour ensuite reprendre mollement pendant au moins une décennie. Compte tenu de l’état des réserves probables et des monstrueux investissements nécessaires pour maintenir le débit global de production, il n’est pas impossible qu’on ne parvienne jamais à remonter au niveau maximal que nous avons atteint dans l’indifférence générale en... 2006. Il est à noter que cette hypothèse est cohérente avec nos dernières prévisions en matières de prix 2009. En moyenne mensuelle, c’est juillet 2008 qui fut le record en termes de production. Effet JO ou, plus pragmatiquement, robinets ouverts à fond chez tous les producteurs qui voulaient profiter des prix record ?

Certains pourraient reprocher à cette hypothèse qu’elle fait abstraction des politiques d’efficacité énergétique qui ont été mises en oeuvre lors du second choc pétrolier et qui sont toujours valides : on ne pourrait donc réduire une nouvelle fois la consommation aussi drastiquement.

Quand on voit qu’aujourd’hui, les 4x4 sont au catalogue de tous les constructeurs mondiaux, que nous avons de visu constatés qu’ils forment la catégorie la plus représentée aux USA comme en Chine, et que même en Europe la voiture de moins de 50 ch est jusqu’à présent en voie de disparition, on peut raisonnablement penser que nous sommes loin d’avoir conservé la vertu auquel le pétrole cher d’alors nous avait forcé. La conversion du prix du pétrole en heures de travail montre d’ailleurs que sur le long terme, c’est la monnaie qui se dévalue plutôt que le pétrole qui s’apprécie.

Soulignons de plus que nous n’avons pas appliqué de facteur de proportionnalité au clone de la courbe 1979-1989, ce qui fait que notre point bas, prévu en 2010, est 10% en-deçà du pic de 2006, alors que son équivalent (1983) était 15% inférieur au pic local d’alors (1979).

L’Histoire saurait ainsi remercier ses premiers prophètes : un des piquistes historiques, Kenneth Deffeyes, étaient l’un des rares à maintenir sa position d’un pic déjà passé : il l’avait positionné à l’automne 2005, précisément le jour de Thanksgiving.

Mais avoir raison sur la date ne suffit pas à dissimuler la faille profonde qui était dans le raisonnement : c’est parce que le monde entre en crise que la consommation de pétrole baisse, et non l’inverse.

Jamais deux sans trois, énonce le diction. De même qu’en 1973 et 1979, le pic marque la dernière année où tout va au mieux - et non celle où la situation s’aggrave.

Ces messieurs d’ASPO-France viennent de publier une très intéressante étude intitulée Forecasts of liquids production assuming strong economics constraints. Elle procède de la même approche que la nôtre, par analogie avec l’impact de crises économiques passées sur la consommation, mais en beaucoup plus sérieux : à lire donc absolument !



Leurs conclusions restent assez proches des nôtres : soit le pic est pour maintenant si la crise actuelle s’avère légère (courbe en pointillés "soft crisis") soit il ne surviendra pas avant 2020 (courbe "hard crisis").

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