Il n’y a pas de pilote dans la zone euro

par Bernard Dugué
mardi 29 novembre 2011

Les gouvernants de la zone euro sont perdus. Il faut enfin le reconnaître. Il n’y a ni vigie ni capitaine pour manœuvrer cet immense navire économique qui peine à avancer dans un monde incertain mais qui avance inexorablement. Nos dirigeants en sont tellement perturbés qu’ils en oublient la langue de bois, à l’image de Xavier Bertrand qui n’a pas la partie facile avec le dossier chômage et qui vient de déclarer : « tant que la situation économique ne s'améliorera pas, je ne vois pas comment les chiffres de l'emploi pourront réellement s'améliorer ». Il fut un temps où le même aurait pu dire « la situation est difficile mais la courbe est sur le point de s’infléchir vers un ralentissement de l’augmentation du chômage et comme le gouvernement prend des mesures efficaces, on aura une remontée de l’emploi une fois que ces mesures auront pris effet ». Saluons pour une fois le bon sens pratiqué par le ministre du travail avec cette formule qu’on peut imaginer transposée dans d’autres circonstances. Par exemple Loïck Peyron : « tant qu’il n’y aura pas de vent, je ne pourrais pas rattraper Titouan qui a 500 miles d’avance » ou encore Hubert Poirot, maraîcher à Concarneau : « tant qu’il ne pleuvra pas, les choux ne pousseront pas ». Une chose est certaine, l’économie européenne n’est pas orientée vers la croissance et le scénario se dessine à la japonaise. Traduction, chômage en hausse et crise sociale. Et les économistes, que proposent-ils ?

 

Le survol des déclarations émises par les analyses mais aussi nos copilotes Merkel et Sarkozy me laisse perplexe, pour ne pas dire pantois. Je ne comprends rien à ces mesures aussi, je vais essayer d’expliquer quelque chose que je ne pige pas et si ça se trouve, je m’en tirerai mieux que les officiels médiatiques autorisés à parler dans leur milieu. Entre les agences de notation, les eurobonds, les opérations de la BCE, les aides du FMI, les engagements budgétaires, les traités communautaires, je ne vois rien de tangible à part que nous sommes dans la merde.

 

Je suis tombé sur une dépêche annonçant l’éventualité d’une création d’eurobonds d’élite. Une idée à creuser. Le principe, c’est de permettre aux pays européens bénéficiaires du AAA d’émettre des obligations à taux réduit, 2 à 2.5%, pour ensuite prêter aux pays les plus en difficultés. On peut supposer que le taux final sera plus élevé, 3 à 4 %. Si je comprends bien, un pays doté d’une bonne santé financière pourra jouer le rôle d’un banquier et emprunter à taux très bas sur les marchés pour ensuite faire quelques bénéfices sur le dos des pays en difficultés. Cette opération ne semble pas très morale mais elle l’est plus que quand ce sont les « vilains marchés » qui eux, osent prêter à des taux bien plus élevés, 7-8 et plus, au risque d’asphyxier les pays les plus en difficulté. L’adage « on ne prête qu’aux riches » doit être précisé ainsi « plus on est riche, plus les taux baissent et inversement ». C’est aussi le principe du micro crédit. Sortir de la misère de pauvres paysans indiens en leur prêtant à des taux dépassant les 10%. Ce qu’il faut préciser, c’est que ces eurobonds ne peuvent être mis en place que grâce à des recettes fiscales supplémentaires. Sinon, l’opération se retourne contre les pays émetteurs qui deviennent alors surendettés plus qu’ils ne l’étaient et risquent de perdre leur note maximale. Qui dit fiscalité dit baisse de consommation et engrenage fatal pour la zone euro. Même si le sauvetage de la finance est assuré pour quelques mois, ce qui satisfera sans doute Jacques Attali, l’un des chantres des eurobonds mais semble-t-il, dans une version différente.

 

Le FMI serait prêt à aider l’Italie, c’est du moins ce qui se dit. Mais à quel prix ? D’après les informations disponibles, le rôle du FMI serait de permettre à l’Italie de souffler, c’est-à-dire d’obtenir un délai convenable, disons deux ans, pour réaliser des opérations de restructuration interne. Ce qui, traduit en langage clair, signifie que l’Italie doit réaliser une réforme budgétaire considérable visant à faire entrer des recettes et surtout, effectuer d’importantes coupes dans les dépenses publiques. Ce qui favorise le chômage et la récession. L’Italie devrait aussi revoir le régime des retraites. Le FMI ne plaisante pas avec l’argent. Il aide les pays à condition qu’ils obéissent face à des impératifs de « bonne gouvernance économique ». Au final, les historiens retiendront que le FMI a aidé un certain nombre de pays à émerger et se doter d’un modèle économique peu ou prou industriel. Mais d’un autre côté, lorsqu’il aide la Grèce et l’Italie, le FMI accompagne les pays avancés dans la décomposition de leur modèle social.

 

La BCE rachète des obligations paraît-il ? Les statuts de la BCE lui interdisent de participer au financement des Etats membres. Ce qui signifie qu’elle ne peut participer à l’adjudication d’obligations publiques en euro. Par contre, elle peut intervenir sur les marchés secondaires pour racheter des obligations déjà émises et c’est ce qu’elle a fait il y quelques jours, rachetant de la dette irlandaise, espagnole et italienne. Le mécanisme ressemble un peu à de la cuisine entre amis. Et vas-y que j’achète 5 milliards d’italienne et 10 d’espagnole. Venez, chers amis, venez vendre vos obligations. Evidemment, les opérations se font dans les salles de marchés et ce sont les traders qui informent la presse de l’intervention de la BCE. Au final, les obligations sont retirées de la circulation. Elles sont « stérilisées » pour ne pas faire fonctionner la planche à billet, contrairement à ce que font la FED et la banque d’Angleterre. Cette « stérilisation » obéit bien évidemment aux angoisses des Allemands qui seraient encore hantés par le désastre inflationniste des années 20. Il faut néanmoins examiner concrètement ce qui se passe. La dette est rachetée et donc, les vendeurs de dette reçoivent pas mal d’argent. Ces vendeurs, ce sont les opérateurs parmi lesquels on trouve les gestionnaires d’épargne comme l’assurance-vie et les gestionnaires de patrimoine et tous les investisseurs. Quand un gestionnaire vend de la dette, il récupère de l’argent mais son premier commandement est de ne pas le faire dormir, alors il place son argent au mieux, un peu de métaux précieux selon la tendance, un peu de pétrole et pas mal d’actions. Ce lundi 28 novembre, le CAC 40 est tonique, il monte de 5.5 %. Or, le vendredi 25, la BCE avait racheté des dettes européennes. Ce qui pourrait expliquer cette augmentation des bourses européennes. L’argent récupéré des dettes vendues est venu se placer sur le marché boursier conformément au principe des vases communicants. Et voilà peut-être l’énigme résolue car on se demande pourquoi les actions montent alors que les tendances de la production industrielle, de l’emploi, et les perspectives de récession évaluées par l’OCDE constituent de très mauvaises nouvelles. Il faudra se résigner à ne plus chercher une logique précise.

 

Autre cuisine financière assez subtile, le financement du FMI par la BCE. On sait que la banque centrale ne peut financer directement des prêts souverains mais elle peut intervenir auprès du FMI qui lui, comme on l’a vu, se prépare à intervenir en Italie et vu les montants en jeu, la BCE devrait être mise à contribution. On n’a le sentiment que ces gens s’arrangent entre eux. Si vous avez l’impression que la gouvernance financière ressemble à une partie de foot où l’une des équipes joue avec des cages de 7 mètres et l’autre de 9, eh bien vous avez à peu près compris le principe de la gouvernance de la zone euro qui tente d’élargir ses mécanismes et ses traités pour sortir d’une impasse financière et ne pas laisser le collapse financier gagner. En vérité, il n’y a pas de bonne solution. Tous ceux qui prétendent résoudre la crise sont des ignorants ou des menteurs. Prenons la mutualisation complète des dettes européennes. Hormis les grincements de dents de la part des Etats vertueux, cette mesure n’aura pour effet que de niveler l’endettement européens et si les agences de notation intervenaient, il y a fort à parier que le AAA ne serait pas attribué à l’Europe, comme c’est le cas aux Etats-Unis où il y a une même crise. En ce moment, les retraits sur l’assurance-vie s’intensifient. Si cet argent s’investissait dans la pierre, cela ne ferait que renforcer la récession car cet argent serait englouti dans la bulle immobilière et on connaît les effets en observant le Japon après 1990. Les analystes avertis connaissaient depuis deux ans ce scénario à la japonaise et maintenant, un grand journal vient de titrer sur une décennie 2010 pourrie en Europe.

 

La zone euro traverse une mauvaise passe. Ceux qui imputent à l’euro la cause des malheurs financiers sont des menteurs. Ceux qui pensent qu’une gouvernance économique de l’euro adossée à une dose de fédéralisme sont aussi des menteurs. Le problème est anthropologique, idéologique, moral et technologique. Et ce problème est le même au Etats-Unis, au Japon ou en Europe. Le national-capitalisme voit se finaliser sa logique. Dans un monde en compétition, les Etats deviennent aussi des compétiteurs. La première phase a vu les plans de licenciement se succéder dans le privé, concurrence oblige. La seconde phase se situe dans le prolongement logique des mécanismes économiques mais pratiqués à l’échelle de l’Etat. En Grèce, Italie ou Espagne, la réduction des dépenses publiques et de la masse salariale des fonctionnaires ressemble de près à un licenciement économique ou à une politique de réduction des salaires. L’Etat tend à devenir une entreprise comme une autre, dont les investissements se font non pas par émission d’actions mais d’obligations. Mais quand l’économie arrive à ses limites, les créances ne sont plus assurées. La croissance est un mythe. La plupart des politiciens ne comprennent rien à l’économie. Hervé Morin croit que les 37 heures sont la solution miracle. S’il mettait les pieds dans une entreprise, il saurait que ce n’est pas le travail qui crée le carnet de commande mais l’inverse. Pour le reste, on notera les quatorze sommets européens qui se sont succédés depuis le début de la crise grecque en décembre 2009. Rien se s’est amélioré depuis et c’est même l’inverse.

 

La zone euro cherche un pilotage mais rien ne se dessine. Les dirigeants sont désemparés, les peuples apeurés et les penseurs devenus muets. Bref, on navigue dans le brouillard et l’on ne comprend plus trop bien ce qui se passe dans toute cette cuisine financière. On sait simplement que les Français seront inégaux pour traverser cette période. On sait aussi que la crise touche les pays avancés, les mêmes qui étaient dotés d’armes lourdes et se firent la guerre en 1940. Europe, Japon, Etats-Unis. La Russie est un cas à part. Bref, les pays avancés disposent des technologies les plus performantes mais ils ne savent pas comment inventer des sociétés équitables où chacun a les moyens d’inventer son existence. Il y aurait pourtant une solution mais je ne la présente plus, lassé que je suis par la bêtise contemporaine.


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