Il suffit de… il n’y a qu’à…
par maltagliati
mardi 5 juin 2012
Parmi les solutions miracles pour nous sortir de la crise historique que nous traversons, la récurrente idée de génie : il n’y a qu’à autoriser la Banque centrale à prêter à l’État à 0%. Ou plus généralement : il suffit de donner aux États la « libre » création de monnaie.
Économiquement.
Je ne vais pas vous entraîner dans la technique des mécanismes économiques et financiers les plus complexes pour vous montrer à quel niveau de stupidité peuvent s’élever (ou s’abaisser) les partisans de cette absurdité. Je crois qu’il faut simplement faire appel au bon sens, lequel nous dit deux choses.
Primo. Le bons sens nous dit où l’on a trouvé cette solution miracle du distributeur à imprimer des billets ou de la main droite qui prête à la main gauche à 0%, et c’est bien sûr dans la pratique américaine depuis quelques années. Par les opérations de Quantitative Easing, la Federal Reserve injecte des liquidités en rachetant des Bons du Trésor à taux d’intérêt quasi nul.[1] Elle prête ainsi directement à l’État américain à taux zéro. D’aucuns érigent en solution définitive pour un développement durable ce qui est en fait l’expédient ultime trouvé en dernier recours par la Banque centrale des États-Unis. Une manière de repêcher des effets insolvables dans le circuit et de les remplacer par de la monnaie circulante. Ceci transforme en revanche la Banque centrale en une gigantesque Bad Bank déficitaire où l’on entrepose des effets dont plus personne ne veut en attendant que l’orage passe. Mais ne faudra-t-il pas tôt ou tard solder ? Et ce privilège n’est-il pas celui de la plus grande puissance économique mondiale, dont la monnaie est aussi monnaie « universelle » ? Un privilège dont elle abuse éhontément, surtout depuis qu’elle a rendu cette monnaie inconvertible.
Deuxièmement. Le bon sens nous dit aussi que créer de la dette en permanence, de plus en plus de dette, ne peut être une solution. Non qu’il soit impossible de vivre avec un certain endettement,… comme on nous invite tous à le faire. Mais faire de l’endettement systématique le principe même du fonctionnement, affirmer qu’il peut dépasser toutes les limites, cela ne veut rien dire d’autre que considérer que l’argent est un système purement arbitraire, qui n’a aucun sens réel. Or c’est bien là où veulent en venir nos simplificateurs extrêmes : par une pétition de principes à peine déguisée, affirmer que la Dette des États est une question dépourvue de sens qui n’a été « inventée » que pour mettre la pression sur le dos des « exploités » que l’on culpabilise afin d’en arracher de nouveaux « sacrifices », et en les culpabilisant en outre sous l’argument qu’ils ont « trop consommé ». Par cette pétition de principe, ils en arrivent à ce qui constitue leur argument « de fond » : il faut, mettre dans les mains des États, par prêt à taux zéro interposé ou directement par la machine à imprimer, des moyens illimités.
L’argent est un système de mesure qui n’a rien de conventionnel, au sens d’arbitraire. Il s’agit bien sûr non d’une réalité « naturelle » mais d’une réalité « historique », créée par l’homme. L’argent s’est développé depuis cinq siècles en une réalité universelle qui organise l’activité des hommes, la répartit, l’oriente. Ce qui s’exprime dans une crise du système d’argent, c’est donc bien la crise sous-jacente qui touche l’activité humaine elle-même. En l’occurrence le fait que les États (nos États, ceux des pays développés) ont mobilisé l’économie autour d’eux. Si d’aucuns se plaignaient il y a cent cinquante ans de l’hypertrophie de la fonction publique en France, alors qu’elle comptait 130.000 fonctionnaires, que dire aujourd’hui qu’elle en compte plus de cinq millions, sans compter tous les services « privatisés » (un bien grand mot quand on sait que c’est l’État qui fixe le prix de l’électricité, les péages d’autoroute etc.) qui leur sont directement rattachés. Cette évolution (cette Révolution du tout-État) s’est faite principalement à la faveur de la Grande Guerre du XXème siècle (1914-1945) grâce à l’extension d’activités improductives (de destruction d’abord, de consommation ensuite) qui composent aujourd’hui la plus grande partie de notre fameux « P.I.B. » et que nous payons (ou plutôt faisons semblant de payer) par un endettement insensé.
Ce que la crise financière nous apprend, c’est que ce modèle dit « économique », mais qui est en fait notre modèle de société, ne tient plus (car il n’a jamais tenu que par une fuite en avant insensée, qu’on appelle croisance. Ne refusent de le voir que les plus enragés défenseurs de ce modèle qui sont, aussi incroyable cela paraisse, les partisans du couple Mélenchon – Le Pen, tous les gens assis sur leurs privilèges (parfois rebaptisés « acquis sociaux ») qu’ils veulent soit protéger nationalement pour eux soit étendre absurdement à tous - comme s’il pouvait n’y avoir que des rentiers syndiqués, sans qu’existent parallèlement ceux qui travaillent pour leur assurer cette rente ! Leur critique des superprofits et autres parachutes dorés, du bling-bling et de la croissance des inégalités est tout bonnement un leurre ; ils s’attachent à des à-côtés du système sans en voir ou plutôt pour ne pas en voir la réalité fondamentale.
« Identifier Mélenchon à Le Pen, vous allez un peu loin, Maltagliati ! » Eh bien, non ! L’économie de type « social-démocrate » ou « keynésienne » qui se présente sous le label de gauche n’a rien à voir avec un quelconque progrès social. Elle est réactionnaire, car elle n’est que l’extension au temps de paix de mécanismes sociaux mis en place lorsqu’à la faveur de la Grande Guerre les États européens puis mondiaux ont mobilisé l’économie à leur service. C’est ce que j’ai appelé L’âge d’or de l’État. Ce n’est pas une économie sociale, c’est tout simplement une économie de guerre adaptée au temps de paix. Elle a trouvé ses faveurs chez les libéraux autant que chez les socialistes (avec des degrés divers d’hypocrisie), et c’est cela qui explique le phénomène majeur de la pensée politique et économique contemporaine : la pensée unique, dans laquelle tous se retrouvent en bataillant seulement pour des questions de dosages. Mélenchon en défend une version plus « consommatrice », alors que Le Pen en est encore à la version « de guerre ». Les autres balancent. C’est la seule nuance…
Politiquement.
Derrière cette discussion économique, un leitmotiv : la toute-puissance de l’État. Car l’Argent, c’est le nerf de la guerre et financer gratuitement les déficits de l’État, c’est mettre dans ses mains la puissance absolue. Cette puissance a mené à fausser tout le jeu politique.
Primo. L’endettement généralisé pratiqué par les gouvernements depuis quarante ans dans TOUS les pays « développés » a permis de contourner le fonctionnement de la démocratie. Il est évident que si vous terminez un mandat en disant : « J’ai fait ci, j’ai fait ça,… » mais que vous omettez de montrer la facture, à savoir un pays endetté pour des dizaines d’années d’un montant qu’on ne pourra que renouveler, jamais rembourser, tout débat politique est faussé. On vient d’inventer a posteriori la fameuse règle d’or (de la même manière qu’on a interdit l’implantation de supermarchés en zones suburbaines après que tout le commerce urbain ait été tué). On s’en moquait il y a peu sous les quolibets de « gestion de grand-papa » etc. ; on n’y arrive maintenant (trop tard) que parce qu’il n’est évidemment plus question de faire un euro de déficit supplémentaire alors qu’on n’arrive pas à renouveler les anciens… Le débat actuel entre austérité et relance est un leurre, car il est évident que l’austérité va tuer ce qui reste et qu’on n’a pas le premier centime pour relancer. Un siècle de gabegie, dont les 40 dernières années de folie nous ont mené à l’impasse totale.
Deuxièmement. Et ceci est beaucoup plus grave. Cette politique d’endettement illimité a permis aux gouvernements de mener à bien la corruption du peuple. A travers la guerre d’abord, à travers la consommation ensuite. Jean-Jacques Rousseau opposait à ceux qui lui affirmaient qu’un peuple n’a jamais que le gouvernement qu’il mérite – ce qui quelque part est vrai en somme – cette vérité bien plus grave qu’au bout d’un certain temps, ce gouvernement arrive à modeler le peuple à la mode de son régime. Depuis un siècle (août 1914), le peuple a été corrompu, par la guerre d’abord – la guerre totale, dont il a été la principale victime alors que jusque là les guerres touchaient d’abord les militaires – par la paix ensuite, et ce régime dit « de consommation » qui l’a transformé en peuple assisté, complètement atomisé d’une part et coupé de ses réalités fondamentales. Un peuple friand de pain et de jeux, qui plus on l’avilit et on l’infantilise, plus il en redemande.
« Quelle vision de l’humanité, Maltagliati ! » - Je ne parle pas des êtres humains, qui sont ce qu’ils sont et que je n’ai pas à juger. Je parle du peuple, de ce qui fait le nœud, le cœur de la population aujourd’hui. Et quoique vous fassiez ou pensiez, la vie sociale est morte sauf au moment de brûler du carburant dans les embouteillages, sauf à l’heure où s’emplissent et se vident les supermarchés, surtout à l’heure où tous se calfeutrent chez eux devant leur téléviseur. Il y a sûrement des humains très bien et prêts à faire de belles choses, mais ils n’ont aucune présence sociale, celle-ci étant réservée par le fait même de l’artificialité du système à l’esbroufe, à l’égoïsme et à la concurrence débile. Les êtres humains deviennent bien ainsi en masse, à force de fonctionner ainsi. Ils le deviennent tous un peu, à leur corps défendant, ils le deviennent franchement, en se livrant à la facilité. C’est cela que la Crise est aujourd’hui en train de renverser. Paradoxalement, et provisoirement, en renforçant les mécanismes de défense des « acquis » (ce que j’appelle plus haut le couple Mélenchon – Le Pen), mais plus sûrement en nous invitant résolument à redevenir des HUMAINS et à balayer ces illusions passéistes et autres miroirs aux alouettes.
MALTAGLIATI
[1] La Banque centrale européenne que le traité européen interdit de pratiquer de tels financements, a trouvé une variante légale (LTRO) : elle prête à un terme de trois ans et à taux quasi nul en échange du dépôt en garantie des mêmes obligations d’État. On s’étonnera que des gens qui ne sont pourtant pas des partisans du « faux monnayage » y aient vu autre chose qu’une nouvelle façon de faire fonctionner la planche à billets. Comprenne qui pourra.