Ils n’ont qu’un mot à la bouche : croissance, croissance et croissance...

par ThatJazz
mercredi 30 janvier 2008

Comme moi, vous regardez la télé, vous lisez les journaux et quel est THE préoccupation du moment, le mot que vous entendez à longueur de lignes et d’images ? La croissance !

Vous l’aviez compris, nous avons une croissance molle et, à entendre nos élites, c’est terrible. Le pays va mal certes, mais ce n’est pas à cause de la dérégulation du capitalisme financier ni à cause de la mauvaise gestion des entreprises ni à cause de la bureaucratie et des énormes et inutiles dépenses de l’Etat, non c’est à cause de la croissance "molle". Si on avait une croissance dynamique, tout irait bien. Vous vous souvenez peut-être, pour ceux qui l’ont lu, que dans un post précédent sur les banlieues je vous avais dis que le mantra de la politique sociale était "police" pour la droite et "logements sociaux" pour la gauche ? Eh bien, le mantra économique tous bords politiques confondus est "croissance".
La question est, pourquoi ?
L’exemple dont on nous rebat les oreilles est la période de croissance des Trente dites "Glorieuses". Apparemment c’était une période idyllique où la corne d’abondance avait les vannes grandes ouvertes grâce à la reprise de l’économie après-guerre. Il est vrai que cette période de l’Histoire a grandement amélioré les conditions de vie des populations occidentales ; seulement, à quel prix paie-t-on aujourd’hui ces quelques années de développement ? Nous avons détruit 80 % de la biodiversité en Europe, engagé une dynamique de réchauffement climatique incontrôlable, bétonné à outrance. Les allergies, les maladies respiratoires, cardiovasculaires, les cancers ont énormément augmenté. Cyniquement, je pense qu’une grande partie d’entre nous aurait pu supporter ces conséquences si notre niveau de vie et de consommation était resté le même, mais ce n’est plus le cas. Vous qui lisez, que pouvez-vous répondre à la question : vivez-vous bien ? Souvent, c’est non... Vous êtes comme tout le monde, vous galérez.
Mais sur quoi se base cette fameuse croissance ?

Il existe principalement deux politiques de relance de l’économie : celle de Keynes et la politique dite libérale. La politique de Keynes se base, pour simplifier, sur l’endettement de l’Etat : l’Etat s’endette pour offrir des aides à la population et/ou lancer une politique de grands travaux. Plus aisée, la population va consommer et donc relancer l’industrie qui va embaucher. Le chômage va régresser, et donc les gens consommeront plus et rembourseront petit à petit la dette de l’Etat jusqu’à le rendre bénéficiaire. L’exemple le plus connu est la politique du New Deal aux Etats-Unis après la crise de 29. Seulement cette politique nécessite un endettement de l’Etat faible au départ, sinon, la pente amorcée est très difficile à relever. Par exemple, la politique de relance de Bush se fonde sur les théories de Keynes, mais comme les Etats-Unis sont actuellement très endettés, elle renforce l’impression que l’économie américaine va très mal et ira finalement à contre-emploi. Autant dire qu’en France une politique de relance keynésienne serait impossible à mettre en pratique tant qu’on a 1 500 milliards d’euros de dette et 45 milliards d’euros de déficit du commerce extérieur. Pour l’appliquer, il faudrait, par exemple, taxer les revenus des actions, les fameux stock-options et, entre autres, réduire drastiquement le train de vie de l’Etat, ce que personne n’est prêt à faire.
La deuxième politique, la libérale, actuellement testée par le gouvernement de Sarkozy, préfère se focaliser sur les entreprises. Elle part du postulat que, si on allège au maximum les charges des entreprises, qu’on les subventionne, qu’on "flexibilise" le marché du travail, alors les entreprises embaucheront. Si les entreprises embauchent, le chômage recule, le moral des ménages remonte, les ménages consomment, l’économie est relancée avec une faible implication de l’Etat. Cette politique fonctionnerait si, au lieu d’être en 2008, nous étions en... je sais pas...1868 ? Cela me fait penser que j’ai oublié de vous dire que les deux politiques datent du XIXe siècle. Cette politique fonctionne dans le cadre d’un capitalisme traditionnel, où les entreprises appartiennent à une seule famille ou à un petit groupe d’actionnaires d’un même pays, l’argent perçu n’est pas trop dispersé. Aujourd’hui, les entreprises sont multinationales et ont des centaines d’actionnaires. Les facilités de l’Etat leur servent à rémunérer les actionnaires et à faire plus de bénéfices, d’autant plus si la conjoncture n’est pas très bonne, comme aujourd’hui.

Et, là, j’imagine vos yeux ébahis : "Comment ! Il n’existe que deux politiques de relance et aucune ne fonctionne ? Et, en plus, depuis le XIXe siècle personne n’a pensé à en inventer une autre ?" Eh bien, non et, d’ailleurs, ces deux politiques étant antagonistes, c’est difficile d’en faire une synthèse. C’est pas faute d’avoir essayé, par exemple en laissant le système social s’endetter, en hurlant après le libéralisme tout en assurant ne pouvoir rien faire contre les délocalisation, à part saborder le droit du travail. J’imagine que ça vous rappelle quelque chose ! Par contre, vous aurez remarqué une chose, ces deux politiques reposent sur la consommation.

Or, qu’est-ce que la consommation ? Vous avez certainement remarqué qu’à la télé, des soi-disant experts nous appellent le plus naturellement du monde "les consommateurs" ; moi, lorsque je serais en couple, je deviendrais une "ménagère de moins de 50 ans". Réjouissant isn’t it ? Puisque l’économie repose sur la consommation et que l’économie doit croître, il est donc théoriquement nécessaire que nous consommions de plus en plus. S’il faut que nous consommions de plus en plus, il faut que nous ayons des désirs d’objets, et que la société nous encourage, par des moyens plus ou moins honnêtes, à se les approprier (cf. article sur Edward Bernays). Il est donc nécessaire que nous ayons du superflu qui nous donne un statut social (écran plat, ordinateur, téléphone portable...) et que ce superflu soit le plus neuf possible. Vous vous sentez minables quand vous avez un portable qui ressemble à un talkie-walkie, votre Fiat Panda 1988 marche super bien, mais elle fait vraiment vieux, de même que votre tube cathodique des années 80. Il faut acheter du neuf et jeter le vieux, c’est la base. Mais parfois, le vieux mettant du temps à vieillir, il faut lui donner un petit coup de pouce et fabriquer des objets à durée de vie courte. Exemple :
- l’électroménager : les premiers appareils étaient certes chers, mais conçus pour durer 10/15 ans. Aujourd’hui même le bas de gamme est devenu relativement cher et la qualité est inaccessible pour la majorité. Votre électroménager dure donc en moyenne de 2 à 5 ans avant d’avoir une panne dont la réparation coûte plus cher que l’objet.
- l’ameublement : auparavant, on vous proposait des meubles banalement en bois. Les premiers meubles en kit étaient en bois, et c’était la révolution de pouvoir se monter une étagère soi-même et pour moins cher. Problème : le bois dure longtemps et les styles sont souvent indémodables. Donc, on invente le Novopan (ou sciure agglomérée avec de la colle chimique cancérigène) et des meubles peu solides et vite démodables. Les prix augmentant, l’agglo devient lui-même cher, le bois totalement inaccessible et, donc, vous voilà obligé d’acheter des meubles de mauvaise qualité qui dureront au maximum 5 ans voire 10, mais en ressemblant à rien à la fin. Pour vous donner un exemple, mon record perso est un meuble micro-ondes qui a mis une semaine avant de se casser la g***** (pour les médisants, il avait été monté par un cousin bricoleur et non par moi) et qui valait quand même 59 €.
- le hi-fi : télé pourrie, radio pourrie, etc., je ne vais pas vous faire un dessin.
- les vêtements, les chaussures : vous vouliez avoir des chaussures en cuir et des vêtements en coton ? Privilégiés !! Aujourd’hui, impossible d’avoir des vêtements en fibres naturelles sans se ruiner et des chaussures en cuir pour moins de 80-90 €. Vous achetez donc des fringues en polyester et des chaussures en plastique. Outre que ça pollue énormément de les produire, ces produits ont une faible durée de vie. Les chaussures durent une saison, voire deux, et les vêtements un an ou deux. Vous devez donc racheter régulièrement, sans parler de la mode qui vous encourage à refaire régulièrement votre penderie.
- la nourriture : c’est super de manger cher et chimique hein ?

Evidemment, je ne peux pas tout lister, mais vous m’avez comprise. Et vous comprenez une chose : cette consommation de base, sur laquelle repose l’économie, c’est la vôtre. L’économie a besoin qu’une frange importante de la population n’ait pas suffisamment d’argent pour acheter des produits de qualité : nous sommes des roulements à billes. Pour les personnes plus aisées, on peut facilement les dompter par l’image : comment tu gagnes 2 000 € par mois et t’as même pas d’i-Phone ??? par exemple. Il faut que la société tout entière soit maintenue dans un état infantile d’insatisfaction, mais que les classes plus aisées aient conscience de leur "chance" de pouvoir avoir plus de choses que les pauvres qui eux doivent rêver de s’enrichir pour enfin pouvoir vraiment consommer.
Cela nécessite quand même que les gens aient une relative confiance en l’avenir - le fameux moral des ménages ! - pour qu’ils ne soient pas tentés de se replier sur des valeurs telles que l’épargne et la tempérance.

Vous vous dites donc : "Mais alors, quand bien même on aurait de la croissance, on vivrait pas mieux, on nous prend uniquement pour des vaches à lait !! "


Et vous auriez raison ! Parce que si vous associez cette nécessité aux politiques exposées plus haut, vous verrez que pour booster la croissance, on vous rognera dans la joie vos acquis sociaux (Sécu, retraite...), comme ça vous consommerez du service : mutuelles, sécurités sociales privées, caisses de retraites complémentaires. Et pour éviter que vous vous révoltiez, on vous fera peur avec quelque chose : terrorisme, récession, banlieues qui flambent... Donc cette recherche de croissance, en plus de détruire la planète depuis quarante ans, vous appauvrit au profit de quelques-uns et menace vos droits. Et quand bien même on en aurait, vous ne le verriez même pas.


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