Immobilier, mensonges permanents ?

par Laurent CRIADO
mardi 13 octobre 2015

Pas un jour ne passe sans qu’on nous serve une prévision sur l’évolution des prix de l’immobilier. Fédérations, réseaux, sites d’annonces immobilières, banques, courtiers en crédit, constructeurs, promoteurs… Chacun y va de son communiqué pour soutenir que l’immobilier repart à la hausse, direction les étoiles ! C’est simple, les indices sectoriels fleurissent plus vite que les végétaux au printemps ! L’immobilier va-t-il baisser, augmenter ou rester stable ? Quelques pistes pour mieux décrypter ce jeu de poker menteur.

Au préalable, interrogeons-nous sur la fonction réelle de l’immobilier. Le logement n’est-il pas un besoin fondamental pour la survie de l’homme ? N’est-ce pas d’ailleurs le sens de l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme ? 

Se sentir en sécurité, avoir un toit pour soi, pour sa famille, est un besoin primaire tel que le décrit Maslow. Le fait d’assimiler un logement à un véhicule d’investissement ne le détourne-t-il pas de sa fonction primaire ?

Il n’y a jamais eu de loi du marché immobilier

Les professionnels du secteurs, les « experts », évoquent toujours les lois du marché lorsqu’ils s’expriment sur l’immobilier. Argument favori : le marché immobilier répond à la loi de l’offre et de la demande, justifiant tous les excès. Cette loi voudrait que tout ce qui se passe sur ce prétendu marché est normal et découle du fonctionnement autonome entre acheteurs et vendeurs. En théorie, pourquoi pas. Sauf qu’en ce qui concerne l’immobilier, il n’y a jamais eu aucune autonomie, tant l’interventionnisme de l’Etat est omniprésent.

Il n’y a jamais eu de fonctionnement libre du marché étant donné que l’immobilier est détourné de sa fonction primaire de logement. Tant que l’immobilier sera réduit à un véhicule d’investissement parmi tant d’autres, le marché libre ne fonctionnera pas. Il existe trop de deniers publics alimentant le secteur pour soutenir la spéculation et la bulle immobilière.

Depuis la fin des années 90 et la flambée des prix de l’immobilier, tout a été fait pour alimenter cette montée. Défiscalisations à gogo, baisse des taux d’emprunts, allongement des durées de remboursement des crédits ont contribué à escamoter le problème de la hausse vertigineuse des prix.

Jean-François Filliatre s’exprimait sur BFM TV lors du salon Patrimonia, résumant très simplement « l’arnaque » mise en place :

« En immobilier on a inventé un truc absolument génial en terme de com qui était qu’on avait des prix qui flambait et on expliquait que le pouvoir d’achat immobilier augmentait ».

Tout est dit.

Il n’existe aucun indicateur fiable sur les prix de l’immobilier

Dès 2009, Benoist APPARU, alors Secrétaire d’Etat au Logement avait lancé un chantier pour réformer la statistique immobilière devant la prolifération des indices et leur manque de fiabilité. Aux dernières nouvelles, cette réforme n’est toujours pas entrée en vigueur.

Il est bon de rappeler que même l’indice des notaires n’offre pas un caractère irréfutable de l’exactitude des prix. Ce n’est pas moi qui le dis, mais une notice explicative disponible sur leur site web. Pour résumer, le système est basé sur le volontariat et ne représente que 85 % des transactions. En sachant que les modes de calculs changent au cours des années, il est donc ardu, sinon impossible, de suivre une évolution si on modifie constamment le baromètre en cours de route.

Quid des autres indices ? Il est toujours impératif de connaître la méthodologie employée par un indice. Comment est-il alimenté ? Sur quoi se base-t-il ? Et surtout, qui en est l’émetteur ? Existe-il un conflit d’intérêt entre l’activité de l’émetteur et ce qu’il prétend quant à l’évolution des prix de l’immobilier ?

Multiplier les sources pour déterminer le prix d’un bien est impératif car ces indices ne sont pas à prendre pour argent comptant.

Récemment, une annonce pour un château en région Centre Val-de-Loire affichait un différentiel tarifaire de 138 000 € d’une agence à une autre, représentant un grand écart de 23 % ! 735 000 € dans l’une, 597 000 € dans l’autre. Du grand n’importe quoi.

Intéressant quand on sait qu’une des méthodes utilisée pour la détermination d’un prix de vente est basée sur la comparaison avec les biens similaires.

Jean-François Filliatre, toujours lors du salon Patrimonia, résumait encore très bien les indices concernant les prix de l’immobilier :

« Les statistiques du marché immobilier, c’est quand même un véritable bazar ».

Il soulevait également une information capitale en faisant un parallèle avec la bourse :

« On analyse un rebond technique comme étant une tendance ».

Déduire des tendances de fond en se basant sur des micro-phénomènes, le plus souvent discordants, voilà qui décrédibilise la statistique et jette la suspicion sur la véracité des données. C’est contre-productif.

La seule manière, intellectuellement honnête, de déterminer le prix d’un bien est de se baser sur ses qualités intrinsèques plutôt que sur des ratios financiers ou des indices flous et/ou arrangés.

Le même bon sens qui préside lorsque vous achetez une voiture, doit s’appliquer à l’immobilier. Ne vous posez-vous pas la question de savoir si la voiture que vous convoitez est une épave en puissance ou si elle va traverser les années sans pannes majeures ?

En immobilier, ce pragmatisme est rarement de mise. C’est une erreur qui se paie cher pour l’acheteur.

Pourquoi l’immobilier devrait forcément repartir à la hausse ?

En ce moment, les articles prophétisant le redémarrage de l’immobilier (neuf, ancien, maisons, etc.) nous content tous la même jolie histoire : la baisse est derrière nous… ça repart… achetez sans tarder… et toute la salade habituelle.

Seulement voilà, la question est de savoir si l’économie française ne gagnerait pas à observer des prix immobiliers modérés, pour ne pas dire décents, afin de permettre des investissements dans d’autres secteurs. Non seulement l’industrie ou la technologie, par exemple, mais aussi les commerces de proximité ou encore l’artisanat.

Même si je m’interroge sur la qualité des indices, celui-ci vaut tout de même le détour :

Il nous montre qu’en partant d’une base 100 en 1975, la courbe des prix en Allemagne est quasiment lisse. Les prix ont été multiplié par un peu plus de 2 jusqu’en 2015.

En France, sur la même période, les prix ont été multipliés par plus de 10 !

N’est-ce pas là le début d’une explication entre la différence de compétitivité France / Allemagne ? Cet argent consacré à alimenter des prix immobiliers délirants manque cruellement à l’économie productive, la consommation se retrouvant de facto en berne chronique, si je puis dire.

Pourquoi les prix doivent baisser

La baisse engagée depuis quelques années, dans toutes les régions, même à Paris que l’on nous présentait comme l’exception, la citadelle imprenable, est encore insuffisante pour compenser la hausse vertigineuse des années 2000.

Les prix peuvent encore baisser. Les prix doivent encore baisser.

C’est d’ailleurs l’avis de Henri Buzy-Cazaux qui s’exprimait sur BFM TV lors du salon Patrimonia :

« Je vois même un potentiel de baisse, très clairement sur les marchés tendus, dont le marché parisien ».

« Sur les marchés qui n’ont pas suffisamment marqué ce mouvement là (…), il y a un potentiel de baisse ».

Pourquoi les prix doivent baisser ? Ne serait-ce que pour permettre aux gens de se loger avec dignité, déjà. Rendez-vous compte : il y a quasiment 1 million de personnes mal-logées rien qu’en Ile-de-France, représentant à elles seules un quart des mal-logés en France !

J’avais d’ailleurs lancé une piste de réflexion sur les franciliens rémunérés au smic qui subissent tous les inconvénients de la région sans profiter de ses avantages. Travailler pour mal se loger et mal se nourrir. Travailler pour survivre. Les esclaves des temps modernes, en somme.

C’est toujours d’actualité, surtout quand on connaît la progression himalayenne des prix parisiens  : en vingt ans, les prix ont quadruplé.

On peut donc légitimement se demander si l’immobilier n’est pas un boulet pour l’économie française. Cette frénésie spéculative ne s’est-elle pas réalisée au détriment de tous les autres secteurs ?

Les bénéfices d’une baisse conséquente des prix de l’immobilier

Un logement décent pour chaque individu serait le bénéfice numéro un et c’est déjà beaucoup.

Pour l’économie, je crois qu’il faut arrêter d’agiter le spectre d’une catastrophe. Peut-être y aurait-il une période charnière à passer, mais sur le long terme, les bénéfices seraient bel et bien au rendez-vous.

Même si j’émets toujours une réserve quant à la fiabilité des indices et autres études, celle de Century 21 nous éclaire un peu : la baisse des prix, conjugués à la faiblesse des taux du premier semestre 2015 s’est traduit par une hausse de 18.1 % des transactions du réseau, sur un an, au troisième trimestre 2015.

Légitimement, on peut se demander si des prix réalistes n’ont pas une incidence directe sur le retour des acheteurs et une hausse du nombre de transactions.

L’embellie des transactions créerait de l’activité dans les agences, dans les banques, chez les courtiers, pour les entreprises de diagnostic, autant de bénéfices concrets pour la bonne santé de l’économie française et de tous ses acteurs. Pour faire face à cette demande supplémentaire, la logique voudrait que des embauches soient nécessaires. Des rentrées fiscales en plus pour l’Etat, assorties de dépenses en baisse du fait de chômeurs en moins.

En ce qui concerne l’activité de construction de logements neufs, la hausse des coûts de construction n’est pas aussi évidente que les raccourcis pris par certains pour tenter d’expliquer la hausse des prix de vente au client final le laissent entendre.

Une étude de la FFB de 2013 révèle quelques points intéressants :

En page 7 du document, on constate, sur le graphique 1, que la part du coût de la construction dans le prix de vente des logements s’inscrit dans un mouvement baissier depuis 1977, même s’il y a eu quelques soubresauts. En 1977, cela représentait 59.8 % du prix, en 2011 cela représentait 48.2 %.

Toujours en page 7, on relève que le coût du foncier pour du logement collectif neuf représente 15% dans les grandes villes de province et 30 % en première couronne d’Ile-de-France. La marge des promoteurs reste la même. L’augmentation des prix de vente est la répercussion de la hausse des coûts pour les promoteurs, en particulier le foncier dans les zones tendues. La raréfaction du foncier dans les zones tendues augmente également les coûts de viabilisation des terrains nécessitant des travaux complexes. Bien sûr, il y a aussi une incidence due aux normes plus rigoureuses, mais ce n’est pas la raison principale.

Un autre article concernant la construction neuve de maisons individuelles nous montre que sur une communauté de communes du sud libournais, le prix du terrain représente quasiment la moitié (47 %) du coût de construction de la maison.

Combien de communes sont dans ce cas ?

Si l’immobilier était négocié à des prix plus justes sur tout le territoire, beaucoup de personnes pourraient prendre le risque de réinvestir des déserts économiques car la charge de loyer ou de remboursement de crédit serait moindre. La part de risque ne serait plus du tout la même. Même avec des salaires moins élevés qu’en région parisienne, le reste à vivre serait nettement plus important. Se mettrait en place un cercle vertueux car de nouvelles implantations dans ces zones créeraient une demande de commerces. Nombre de personnes pourraient créer leur entreprise en investissant leur reste à vivre.

Dans le même temps, si un vrai plan de rénovation des habitats était engagé au niveau national et qu’on le combinait à un grand plan de réduction de la consommation d’énergie des habitats, le potentiel de croissance serait énorme. Cela permettrait en plus de réfléchir sereinement au futur de la politique énergétique française. En consommant moins, on a moins besoin de grosses unités de production.

A condition de régler préalablement le problème du travail au noir et/ou de la concurrence déloyale avec les travailleurs détachés, le gisement de croissance en terme d’emplois serait énorme dans les entreprises locales. Les chantiers seraient situés en France, donc non délocalisables. Plus d’embauches pour faire face à la demande, plus de cotisations sociales, moins d’aides de l’Etat pour la pierre, etc. Tout le monde y gagnerait.

Imaginez à présent que grâce à la part rendue disponible du fait d’une baisse généralisée et conséquente de l’immobilier, des millions de ménage pourraient réinjecter des milliards dans tous les secteurs d’activité et on glisserait vers une économie productive et non plus spéculative. Un modèle bien plus sain et louable à bien des égards.

La France serait tirée vers le haut, toute la population en profiterait.

Il est grand temps d’arrêter les mensonges sur l’immobilier et de se poser les bonnes questions sur son rôle dans la vie sociale et économique du pays. Il est encore plus urgent d’y apporter des réponses rapides et efficaces.

Laurent CRIADO

Site Internet : www.guidepratiqueachatimmobilier.com


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