Immobilier : qui seront les dindons de la farce ?

par Laurent CRIADO
lundi 4 avril 2016

Dixit les professionnels, 2015 est un millésime exceptionnel pour le marché immobilier : 800.000 transactions dans l’ancien, un niveau comparable à celui précédant la crise de 2008.

Baisse des prix et taux de crédits au ras des pâquerettes ont poussé les acheteurs à revenir sur le marché. Résultat des courses : une reprise qui a émoustillé les professionnels de l’immobilier. Qu’en est-il vraiment ? Est-ce le moment d’acheter ? Réponses.

1. L’embellie de 2015 est-elle un mouvement de fond ?

Les professionnels sont certes ravis de l’année 2015 qui a redonné des couleurs au marché, mais les fondamentaux et plusieurs avis d’experts laissent penser qu’il s’agit plus d’un soubresaut que d’une tendance pérenne. En outre, cette embellie dissimule un fait capital, à savoir que les prix ont poursuivi leur baisse, certes faiblement, mais le phénomène s’est répété l’année dernière en affichant un recul au niveau national.

La FNAIM, prudente

Malgré la tendance baissière amorcée en 2011, la France fait figure d’exception en Europe. Après la crise de 2008, tous les pays qui avaient connu le même phénomène de hausse sur la période allant de 1997 à 2007 ont vu les prix de l’immobilier chuter fortement alors que chez nous seule une timide correction a eu lieu ainsi qu’en atteste la note de conjoncture de la FNAIM, en date de juillet 2015.

Cette même note qui dénote cette « singularité » rejoint l’avis de Jacques Friggit, constamment décrié par ceux qui rêvent de prix toujours plus hauts, que le marché a été soutenu, et l’est toujours, par des conditions de financement (baisse des taux, durée, etc.) qui alimentent artificiellement la capacité d’endettement des emprunteurs. Une façon policée de dire que le marché est sous perfusion et entretenu par l’intervention incessante de l’Etat. Une façon aussi de préparer les futurs vendeurs à perdre de l’argent car la correction aura lieu et qu’il sera difficile, voire impossible, pour ceux ayant acheté trop cher, de revendre sans essuyer de lourdes pertes.

La Banque de France, factuelle

Cette même note de la FNAIM évoque, en revanche, le fait que la France n’a pas vu augmenter les défaillances d’emprunteurs. Ce n’est malheureusement pas ce qui se dégage de la lecture du baromètre de la Banque de France sur le surendettement.

Dans ce baromètre, on peut lire, en page 4, que les dossiers de surendettement liés à l’immobilier sont en hausse constante et qu’il s’agit d’un mouvement de fond. En effet, depuis le premier trimestre 2011, le pourcentage de dossiers liés à ce type d’endettement est passé de 8.8 % à 13.5 % au dernier trimestre de 2015, la hausse étant continue depuis 2011, tout comme le montant moyen d’endettement.

Une étude de décembre 2015 de la Banque de France ayant pour objet (l’) « Evaluation des risques du système financier français » s’intéresse à l’immobilier.

Le point 2.3, dès la page 16 de l’étude, analyse les risques immobiliers. Il en ressort que le regain d’activité de 2015 semble se maintenir même si les prix restent orientés à la baisse. Il est également mis en avant le fait que ce regain d’activité ne semble être qu’un effet d’aubaine, ou en tout cas perçu comme tel : la baisse des taux de crédit du début de l’année et leur remontée au cours de l’été qui a fait passer à l’acte certains acheteurs.

Dans ce contexte, deux scénarios sont envisageables pour la Banque de France :

- Un premier scénario de correction abrupte des marchés immobiliers qui n’ont que peu baissé suite à la hausse vertigineuse des prix dans les années 2000 ;

- Un second scénario dans lequel la récente reprise de l’activité est purement conjoncturelle et laisse rapidement la place à une poursuite de la baisse des prix et de l’activité sur le long terme.

La Banque de France se montre aussi prudente que la FNAIM sur une potentielle remontée des prix. En réalité, elle penche, assez clairement, pour des scénarios baissiers.

En toile de fond, dans le premier scénario on remarque que les biens sur lesquels la correction n’a pas été suffisante sont exposés à la baisse. Cette hypothèse va concerner les villes peu attractives, les biens avec de forts travaux, avec beaucoup de nuisances, etc. Autrement dit, une large part des biens dans l’ancien, mais également dans le neuf si vous êtes l’heureux propriétaire d’un appartement situé derrière une autoroute ou sous une ligne à THT. Seuls les biens affichant de solides prestations pourront résister au mieux, sans aucune certitude qu’ils échapperont au mouvement baissier, même si la baisse devrait être plus modérée dans ce cas.

Dans le second scénario, une baisse durable viendrait corriger progressivement l’envolée des prix amorcée en 1997.

La Coface, lucide

Dans sa publication du 24 novembre 2015, concernant la construction, la Coface écrit ceci :


« L’ajustement à la baisse des prix de l’immobilier n’est pas encore suffisant pour que le marché se stabilise durablement. La France est le sixième pays de l’OCDE où le prix de l’immobilier est le plus surévalué par rapport aux revenus des ménages. Sans réelle amélioration du marché du travail pour soutenir les velléités d’accession des ménages les plus modestes, les prix resteront donc orientés à la baisse en 2016 ».

Sébastien de Lafond, Président de Meilleurs Agents, réaliste

Interviewé le 21 mars lors de l’émission « Intégrale Placements » sur BFMTV, voici deux extraits de ses propos.

A partir de la 58ème seconde : « (…) le marché est vraiment sous perfusion, sous amphétamine de la baisse des taux. Le principal élément qui dynamise le marché depuis le début de l’année sont des taux bas et des taux qui continuent de baisser (…) ».

A 2:15 : « (…) probablement sans cette baisse des taux très forte depuis le début de l’année, la plupart des marchés seraient en baisse, les prix baisseraient (…) ».

Conséquence

Autant de points de vue et d’analyses qui dessinent un mouvement de fond baissier en lieu et place de la hausse rêvée par certains. L’embellie de 2015 sur le nombre de transactions dans l’ancien est liée à la baisse des taux et à la faible baisse des prix qui s’est opérée au niveau national, comme on s’en doutait.

Autre constat : la correction à la baisse n’a pas été suffisante pour absorber l’envolée démentielle des années 2000 et les prix devront s’ajuster en conséquence, brutalement ou sur plusieurs années. Sans cette baisse, le marché n’aura pas de base solide car il s’est construit sur du sable et une politique d’illusion à laquelle la faiblesse des taux de crédit a largement contribué.

Le problème qui se pose est donc le niveau des taux de crédit, clé de voûte du marché immobilier. Peuvent-ils rester indéfiniment aussi bas ? Peuvent-ils descendre encore plus bas ? Si les taux s’écroulent ou qu’ils remontent, que se passera t-il ? N’est-il pas dangereux que le maintien du marché soit conditionné à cette seule faiblesse des taux ? N’est-ce pas s’exposer à des pertes si on achète aujourd’hui et que l’on est obligé de revendre à court ou à moyen terme ? N’a-t-on pas ouvert une boîte de Pandore ?

Acheter aujourd’hui à un degré d’incertitudes aussi élevé relève du suicide économique si le bien n’est pas âprement négocié pour tenir compte de cette baisse plus que probable dans les années à venir. D’autant plus que le principal vecteur de maintien du marché, les taux de crédits, risque d’être remis en cause dans une forme plus globale.

2. Les crédits immobilier à la française, bientôt finis ?

Aujourd’hui le marché immobilier français a la spécificité d’être financé, dans 99% des cas, par des crédits à taux fixes. Considérant la faiblesse des taux auxquels les banques prêtent, le risque pour les banques est réel. En effet, si les taux auxquels elles se financent augmentent, elles peuvent se retrouver en manque de fonds propres. Ce faisant, le comité de Bâle, l’instance qui régule le système bancaire international, planche sur des mesures de réduction de ce risque.

L’idée est d’augmenter les fonds propres des banques, sur les profils d’emprunteurs disposant de peu ou pas d’apports personnels, afin de limiter les risques. Le durcissement d’obtention des crédits immobiliers risque d’exclure une partie des candidats à l’accession à la propriété, principalement les jeunes et les primo-accédants, ayant par définition peu ou pas de fonds propres. Cet article de LavieImmo détaille l’avis de plusieurs spécialistes annonçant que si la mesure Bâle IV était adoptée en l’état, environ un tiers des crédits immobiliers disparaîtrait.

L’autre idée est de rompre avec la spécificité française des taux fixes et de proposer des taux variables. Objectif : supprimer le risque pesant sur les banques et le reporter sur l’emprunteur final, c’est-à-dire, vous.

Conséquence

Quel que soit le scénario exploré, il est potentiellement nuisible au marché immobilier et à l’économie française. Si les taux restent fixes et que les conditions d’obtention de crédit se durcissent, un tiers des crédits disparaîtrait. En clair, ça signifie que le marché, neuf comme ancien, se gripperait puisqu’il n’y aurait plus de nouveaux entrants. Les candidats à l’achat pour se loger, ou même les « investisseurs » dont le modèle repose sur le financement à crédit du bien à 100 %, ne seront plus là. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle les fédérations LCA, FFB, FNAIM et FPI n’en veulent pas.

Sans ces nouveaux entrants, l’ajustement ne peut se faire que par la baisse des prix, encore une fois, pour les faire revenir dans la course. Autrement dit, ceux qui auront acheté trop cher un bien aux qualités intrinsèques insuffisantes seront les dindons de la farce s’ils doivent vendre à brève échéance après l’achat. Et les raisons de revendre à court ou à moyen terme ne manquent pas : perte d’emplois, mutations, divorces ou séparations, maladies, événements extérieurs qui dégradent la valeur du bien (salle de shoot, camps de migrants, site d’enfouissement de déchets nucléaires, usines, taxes locales qui explosent, etc.).

Il est impératif de fonder l’achat d’un bien sur ses qualités intrinsèques et non pas sur son prix « par rapport au marché », même si certains vendeurs pensent le contraire parce que ça les arrange.

Autre perspective : si les taux variables sont introduits en France par les banques pour fluidifier le marché, vous serez également les dindons de la farce. Si les taux remontent, l’emprunteur paiera en fin de compte plus de mensualités. Et comme les taux bas sont actuellement la seule mesure qui maintient le marché en vie, là encore, les prix chuteront. Ceux qui auront acheté excessivement cher un bien sans réelle qualité en seront pour leur frais avec l’épouvantail d’une saisie-revente s’ils n’arrivent pas à supporter le coût du crédit.

Il est précisé dans les articles de presse relatant les idées du comité de Bâle qu’elles n’entreraient pas en vigueur avant 2018. Tiens, tiens… 2018, c’est l’année envisagée pour la mise en place de la réforme sur les valeurs locatives cadastrales. Je l’évoquais dans mon article de novembre 2015.

Pour mémoire, il s’agit de la base sur laquelle est assise le calcul des taxes locales, calcul qui n’a pas été réformé depuis sa création en 1970.

Les habitations qui à cette époque étaient considérées comme « luxueuses », toutes les constructions d’après guerre, les logements collectifs des années 60 et 70 étaient taxés plus lourdement que le « pauvre » appartement des années 1900 ou le pavillon de banlieue de la même époque. Sauf que la roue a tourné, les logements collectifs se sont dégradés avec leur environnement et les petits pavillons des années 1900 ont grandi et bénéficient désormais de prestations modernes, dans des environnements plus attrayants. Le hic, c’est que la fameuse valeur locative cadastrale n’en a presque pas tenu compte. Des transferts très importants de charges vont donc se faire de contribuables à contribuables. Et le petit pavillon risque de coûter très cher à ses propriétaires en taxes locales.

Le PTZ version 2016 prévoit pour les achats dans l'ancien, qu'au moins 25 % du montant global de l'opération soient consacrés à des travaux d'amélioration. La question que l'on peut se poser est la suivante : n'est-il pas risqué de faire aujourd'hui des travaux d'amélioration sur un bien ancien sachant qu'avec la réforme de la VLC, prévue pour 2018, on ignore à quelle sauce on sera mangés ? Une sauce aux marrons ?

En effet, améliorer un logement ancien bénéficiant d'une méthode de calcul ne tenant pas compte, actuellement, de tous ces travaux pour établir la base d'imposition locale, n'est-ce pas là prendre le risque de s'exposer à de très fortes hausses d'impôts dans les deux ou trois ans à venir ?

N'est-ce pas risqué pour ces ménages bénéficiant aujourd'hui du PTZ 2016 ? Ce sont des ménages qui sont au cordeau financièrement et, pour une partie d'entre eux, ils devront sans doute supporter ces hausses. En auront-ils les capacités financières tandis qu’ils sont déjà à leur limite d'endettement ?

Enfin, espérons qu’aucun dirigeant ne ressorte l’idée qu’avait lancée Nicolas Sarkozy en 2006, en pleine campagne présidentielle. Dans les grandes lignes, il souhaitait généraliser le crédit hypothécaire sur la valeur du bien et non plus le contractant, à l’image de ce qui se pratique aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni. Sur le papier, l’intention est louable puisqu’elle permet aux emprunteurs exclus du système de crédit actuel de pouvoir accéder à la propriété. En théorie. Malheureusement, c'est ce type de crédit hypothécaire qui est à l'origine de la crise mondiale de 2008.

Conclusion

La hausse des prix des années 2000, nourrie par l’interventionnisme effréné de l’Etat (à travers diverses mesures fiscales), mais aussi par la voracité spéculative de certains et par la distribution de crédits en nombre a engendré un monstre.

Aujourd’hui, se lancer dans un projet d’achat immobilier est extrêmement délicat. On se demande si c’est le moment d’acheter, si on ne risque pas de perdre de l’argent, aussi bien à l’achat qu’à la revente.

Le monstre a transformé une situation simple, acheter pour se loger et « mettre un toit au-dessus de sa tête », en une salle de casino. Le risque financier est permanent.

Malheureusement, lorsque ce « marché » s’ajustera, bon nombre de gens seront ruinés et beaucoup rejoindront les statistiques des surendettements immobiliers. C’est cela l’enjeu : ne pas pouvoir faire face à une baisse des prix dans l’avenir. Je le répète souvent, mais on n’achète pas un âne au prix d’un cheval de course.

Si vous êtes dans l’optique d’un achat immobilier, il est plus qu’impératif de vous prémunir contre un décrochage du marché à moyen terme. Anticipez une baisse des prix dans les prochaines années, qui est le scénario ayant le consensus de tous les professionnels du secteur. Le bien et son environnement doivent être scrupuleusement décortiqués et analysés. Vous tiendrez compte de chaque défaut, de chaque nuisance pour ajuster votre proposition d’achat. Et si le vendeur, trop gourmand et convaincu que son offre est une bonne affaire, ne veut pas entendre raison, passez votre tour et méditez cette citation : « dans une bonne affaire, il y a toujours un pigeon ; si vous ne savez pas qui c’est, c’est que c’est vous ! »

Remarque importante : je précise que le terme « marché immobilier » est utilisé pour une plus grande perception générale, même si ce « marché » est à cent lieues d’en être un, l’ajustement naturel entre vendeurs et acheteurs étant constamment contrarié par l’Etat.

Laurent CRIADO

Site Internet : guidepratiqueachatimmobilier.com

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