Infocrise : le mystère Lehman Brothers et un scénario à la japonaise pour l’Europe

par Bernard Dugué
mardi 24 novembre 2009

Ce lundi 23 novembre, le plus célèbre des journalistes économiques, Jean-Marc Sylvestre, était l’invité du Cecogeb pour une conférence sur l’évolution de la crise économique. L’intérêt de ce type de manifestation est d’entendre un discours construit et par voie de conséquence, de se faire une idée plus consistance et raisonnée d’une série d’événements dont la logique nous échappe lorsque ces faits sont dispersés dans les dépêches médiatiques et de plus, commentés dans les fenêtres réduites du timing anti-zapping. En effet, comme l’a expliqué Sylvestre en liminaire de son exposé, le spectateur zappe, et parce qu’il zappe, il faut lui livrer en moins d’une minute une analyse.


Que retenir de cette conférence ? Sylvestre a d’abord présenté cette crise de 2008 sous l’angle d’une crise du crédit, autrement dit, une crise de disponibilité monétaire pouvant être injectée dans le système et favoriser sa croissance. Ce n’est pas la première, ni la dernière et si l’on se réfère aux quatre dernières décennies, la crise de 2008 est la cinquième, la première étant datée du premier choc pétrolier en 1973, puis second choc en 1980. Ensuite, crise de croissance des States en 1992 et enfin, crise de la nouvelle économie vers 2000. C’est intéressant. On constate la place du crédit qui chemine avec l’économie. Il y aurait bien des choses à méditer. Mais retenons de ce propos l’idée qu’une crise prépare la prochaine. D’après Sylvestre, la crise de 2008 a été préparée par celle de 2000 et plus précisément, par la réponse des autorités monétaires américaines qui ont injecté généreusement et intempestivement de la monnaie dont les banquiers se sont servis pour monter des opérations fructueuses, notamment avec des produits si complexes qu’ils échappaient à la compréhension des directeurs financiers. Le rôle de la finance a été important. Il faut savoir qu’aux Etats-Unis, cette finance emploie 5 % de l’emploi, génère 10 % du PIB et surtout, récupère 50 % du profit. Bref, il y a un déséquilibre dans la circulation des flux monétaires et de la collecte des profits. A retenir donc, la crise de 2008 a engendré une réponse pouvant créer le terrain pour la prochaine crise du crédit, en 2013, 2015, 2017, 2019 ?


-----------------


Une énigme. Une crise se présente sous de multiples facettes. Comme l’a fait remarquer le conférencier, quatre phases se succèdent. 2007, crise immobilière (les fameuses subprimes et la bulle), 2008, crise du crédit (la faillite de Lehman Brothers et la course au G-20), 2009, crise économique (chômage, fret, consommation) et pour finir, 2010, crise sociale. Voilà un scénario intéressant, et cette énigme, pourquoi les autorités ont laissé Lehman Brothers s’effondrer ? C’est ce mystère qui m’a interpellé. JM Sylvestre a en effet évoqué le cas de cette banque que les autorités auraient pu sauver alors qu’elles ne l’ont pas fait. Il n’a pas apporté de réponse. Néanmoins, le sort de cette banque pourrait bien s’expliquer dans le contexte global des événements. Nous étions en septembre 2008. Cet événement a créé une onde de choc phénoménale dans le monde financier et politique. Si ce prestigieux établissement a fait faillite, alors tous les autres risquent de sombrer. On imagine aisément la panique des épargnants, et le fond de guerre civile pouvant en résulter. Bref, une situation possible de chaos social et économique. Dans le sillage de cette faillite, les dirigeants des grandes puissances occidentales ont déployé des moyens considérables pour consolider le système et se prémunir contre un effondrement systémique dû aux effets domino liés à l’interdépendance des structures. Gordon Brown a osé nationaliser les grandes banques britanniques dans ce pays où le libéralisme est une valeur sacrée. Les Américains sont aussi intervenus dans les affaires privées de la finance, comme l’Allemagne et la France. Et finalement, on comprend pourquoi il fallait laisser tomber Lehman Brothers, pour produire un électrochoc, une propagande, préparer l’opinion et justifier ensuite l’intervention des Etats pour colmater un système devenu instable et susceptible de générer d’autres secousses systémiques. Le cas Lehman a permis de rendre visible l’état général de la finance. C’était une manière de laisser émerger une pathologie aiguë afin de mobiliser les acteurs politiques pour une réponse thérapeutique de grande envergure, adaptée pour traiter le mal chronique systémique touchant l’ensemble de la finance. Sans cette faillite il n’y aurait pas eu de réponse systémique des autorités. Avec les conséquences que l’on sait. Quand un système est malade, il vaut mieux opérer à grande échelle plutôt que le maintenir en l’état avec des béquilles pour avancer ainsi une décennie, avec des établissements aux actifs toxiques risquant de créer d’autres faillites.


----------------


Un scénario à la japonaise. Passons maintenant au volet géopolitique. Le G-20, comme l’a suggéré Sylvestre, a pris l’apparence d’un G-2, entre la Chine et les Etats-Unis. Les Chinois produisent, ne consomment pas trop et épargnent en permettant aux Etats-Unis de consommer et de financer leur dette. Pendant ce temps, l’Europe souffre d’un euro fort, pas prêt de se déprécier et de plus, les pays européens ont créé une énorme dette qui risque de peser lourd. J’ai donc posé la question à JM Sylvestre sur un scénario à la japonaise pour la zone euro. Ce scénario est calqué sur la situation du Japon à la fin des années 1980, quand la bulle spéculative est arrivée, et que le yen s’était apprécié suite aux accord du Plaza en 1985. Le Japon a pris un sacré coup dans son économie. Le nikkéi a chuté vertigineusement et du coup, l’activité économique s’est contactée, restant dans cet état pendant presque deux décennies. Sylvestre n’a pas été très optimiste sur la résorption de ces dettes européennes. Un défi presque impossible. Il n’a pas répondu directement à la question sur ce scénario à la japonaise mais dans une autre intervention, il a précisé la crainte d’une contraction de l’économie en Europe et comme l’euro ne risque pas de baisser, on voit bien le risque. Non pas un risque économique, car même contractée, avec une croissance molle, l’Europe survivra économiquement, comme le Japon de 1990, mais socialement, le risque est présent car le chômage massif constitue une épée de Damoclès. Les gouvernants vont-ils trouver les solutions pour résoudre ce grave problème présentant deux volets, le déclin des classes moyennes et l’augmentation de la précarité avec des inégalités qu’une société enracinée dans l’égalité risque de ne pas supporter ?


Lire l'article complet, et les commentaires