Internet et économie
par bozobe
vendredi 27 mars 2009
Internet bouleverse nos relations marchandes dans tous les secteurs économiques. Pourtant, son effet se ressent de façon très différente selon les secteurs, et surtout de façon inattendue. L’essai qui suit est une tentative de faire une synthèse rapide de ces changements, avec comme source principales les études du PEW Internet Project, et comme source secondaire L’âge de l’accès de Jeremy Rifkin.
Au début des années 2000 Internet allait engendrer une dématérialisation croissante de l’économie. De nombreux économistes, commentateurs, et intéressés se voyaient déjà dans un monde sans boutiques. La baisse de fréquentation des centres commerciaux était interprétée comme le début d’une tendance durable vers l’achat massif de produits de grande consommation sur Internet. La théorie avait de quoi plaire : la gestion matérielle des stocks, l’acheminement et le traitement des produits, ainsi que les investissements immobiliers étaient optimisés, ainsi que les coûts réduits. Pourtant la révolution n’a pas eu lieu.
Depuis les années 2000, l’importance des boutiques en chair et en os dans la vente au détail s’est renforcée. Par exemple Inditex -qui possède la marque Zara- a bâti un modèle économique qui évite presque tout investissement publicitaire pour faire de lourds investissements immobiliers. La stratégie est payante. De même, les études de consommateurs ont montré qu’Internet n’est pas un concurrent important des centres commerciaux et des boutiques. Certes, Internet a rendu caduc le modèle de distribution et de vente de la musique. Néanmoins, dans le processus d’achat, il a un rôle complémentaire aux boutiques.
Le secteur de la téléphonie est paradigmatique. Les produits sont montrés sur Internet, avec de fiches techniques détaillées sur chaque produit. La quantité et la qualité des informations sur Internet est même un facteur qui pousse les consommateurs à dépenser plus en boutique. Une étude sur la vente de téléphones portables aux Etats-Unis a montré que les consommateurs utilisaient de façon importante Internet pour regarder les fonctionnalités des produits qui les intéressaient, pour comparer des produits et leurs prix entre eux. Une fois l’information trouvée sur Internet, dans plus de 90% des cas, le consommateur se déplace en boutique pour effectuer l’achat. Les relations entre consommateurs et vendeurs ont été inversées : maintenant le consommateur a toute l’information qu’il souhaite en main avant d’entrer en boutique, il est en situation de négocier. Pour un tiers des utilisateurs la comparaison sur Internet des différentes compagnies leur a permis d’économiser de l’argent en trouvant un forfait moins coûteux. Pour un autre tiers cela n’a pas changé leur choix de téléphone ou de compagnie. Pour un tiers des personnes interviewées Internet leur a fait dépenser plus d’argent : ils ont trouvé un téléphone plus attrayant avec plus de fonctionnalités. Internet permet aux consommateurs de mettre plus facilement en concurrence les sociétés. Paradoxalement, par ce biais, les consommateurs augmentent l’argent qu’ils mettent en moyenne sur un produit téléphonique.
L’expérience vécue par les consommateurs dans les boutiques est, après le bouche-à-oreille, le plus efficace des moyens promotionnels pour mettre en valeur un produit une marque ou un produit, d’après une étude publiée en Juillet 2008 dans le journal Stratégies. Les consommateurs sont donc de plus en plus friands de leurs boutiques. Étonnamment, sur Internet, il y a très peu d’utilisateurs qui notent ou laissent un commentaire sur les produits qu’ils ont achetés. Sur les sites d’e-commerce –en enlevant eBay où la notation est obligatoire- seulement 5% des consommateurs prennent le temps de laisser une note ou un commentaire sur l’achat qu’ils ont effectué. Et l’effet de ces notations est parfois négatif. Il y a une méfiance (justifiée ?) du public vis-à-vis de ces systèmes de notations : il y a peu de participants, et les modérateurs du site peuvent les modifier – le conflit d’intérêt est flagrant et les consommateurs ne sont pas naïfs. Encore faut-il que la notation soit utile. En musique, cela n’est pas le cas : nous avons tous nos goûts personnels.
Internet introduit donc une nouvelle relation avec le producteur : celle-ci est directe, sans filtre. Le secteur de la musique en est particulièrement touché. Auparavant, le secteur de la musique était marqué par un modèle économique avec plusieurs intermédiaires -producteurs, maisons de disque- au pouvoir important, rémunérés pour leur qualité de ‘filtrage’ (de scouting). La musique est un bien économique de qualité très variable ; il est difficile de déterminer à l’avance la réussite d’un morceau ou d’un groupe à moins d’avoir une grande expérience du milieu. Internet a balayé ce modèle : le consommateur peut tout écouter gratuitement, tout connaître, et utilise de plus en plus les radios, ses connaissances, les sites Internet (Myspace) pour découvrir ce qui lui plait. Le consommateur qui télécharge se trouve libre mais isolé ; ravi mais écrasé par l’immense choix auquel il est confronté. Les producteurs se sont aussi adaptés : musiciens et producteurs font leur propre publicité (article AgoraVox) sur le Net.
Dans la plupart des secteurs, Internet a peu chamboulé le marketing : il est devenu un canal de distribution parmi d’autres. L’effet d’Internet se ressent peu dans les secteurs économiques où il y a déjà un nombre faible d’intermédiaires entre le vendeur et l’acheteur, par exemple dans les services. L’effet d’Internet est faible aussi dans les secteurs où la qualité d’un bien ou d’un service peut être mesuré à l’avance.
Internet joue un rôle important dans le secteur de l’immobilier. D’où vient la valeur d’un bien immobilier ? En moitié de l’emplacement du bien – ce qu’on appelle en économie les externalités- et en moitié de sa qualité intrinsèque (est-il bien isolé, situé au Sud, etc..) Pour un consommateur qui cherche à déménager, en particulier dans une ville qu’il ne connaît pas, Internet permet d’obtenir beaucoup d’informations. Un acheteur potentiel peut connaître la moitié de la valeur du bien immobilier sans se déplacer, à travers photos de quartier et forums de discussion. Lors d’une enquête réalisée l’année dernière aux Etats-Unis auprès de 2000 consommateurs, un quart des acheteurs d’un bien immobilier a cité Internet comme la source la plus importante d’information dans sa recherche. Dans le choix d’un nouveau téléphone ou d’un CD de musique, ce taux était plus faible. Ces études rappellent souvent qu’Internet est autant un concurrent qu’un complément, voire un amplificateur des achats dans la ‘vraie’ économie.