IRPP / retenue à la source, une opportunité historique

par JDCh
lundi 8 janvier 2007

Notre minefi, Thierry Breton, a annoncé avant Noël le passage "prochain" (i.e. en 2009) du mode de prélèvement de l’IRPP (impôt sur le revenu des personnes physiques) du mode différé actuel vers une retenue à la source. Il a, de plus, désigné cette semaine un trio (Raymond Viricelle, ancien avocat général à la Cour de cassation, Claude Bébéar, président du Conseil de surveillance d’AXA, et François Auvigne, ancien directeur général des Douanes) pour étudier plus avant les conséquences et les modalités d’un tel changement.

Avant de revenir sur la fameuse retenue à la source, il est sans doute utile de rappeler que :

  • l’IRPP est le principal impôt direct sur les personnes mais il représente moins de 18% des recettes brutes fiscales (cf. graphique) soit environ 55 milliards d’euros (à comparer avec le déficit budgétaire 2006 prévu cette année juste en dessous de 40 milliards et surtout aux presque 75 milliards d’euros rapportés par le fameux triptyque CSG/CRDS/prélèvement social !)

  • l’IRPP repose sur une taxation progressive des revenus dont le calcul s’appuie sur une fonction exponentielle des revenus. Ainsi, 1% des contribuables paient 33% du montant total et 10% en payent 68% ce qui fait que 90% des foyers fiscaux ne paient rien ou fort peu. La combinaison de l’ISF et de l’IRPP fait de la France le "grand pays" (bientôt ex-grand pays) le moins clément en termes de fiscalité sur les particuliers aisés ou riches. A l’inverse, 90% des Français ne peuvent que se féliciter de payer moins d’impôt sur le revenu que la plupart des autres occidentaux sachant que parmi eux, 60% (de ces 90%) ne paient absolument rien !

  • Il est à la fois faux et juste de dire que 90% des Français paient peu ou rien en termes d’impôt sur le revenu. En fait, ceux qui travaillent perçoivent une retraite ou une indemnisation-chômage, paient tous la CSG/CRDS qui est un impôt direct non progressif (légèrement différencié suivant les types de revenu) dont le montant collecté est colossal (pour rappel, 75 milliards d’euros dont plus des trois quarts issus des revenus d’activité ou de remplacement, le quart restant provenant des revenus du patrimoine et plus marginalement des jeux de hasard) et est reversé globalement à la Sécu et à ses différentes branches (maladie, famille et retraite).

  • Il est sans doute enfin nécessaire de constater que notre administration fiscale compte plus de 100 000 fonctionnaires quand un pays comme la Suède n’en a que 3000 avec seulement sept fois moins d’habitants : il y a per capita cinq fois plus de fonctionnaires du fisc en France que dans un pays réformé et modernisé ! (NB : tous ne sont pas affectés à l’IRPP mais il est probable que le ratio soit encore plus défavorable en l’occurrence, vu la complexité dudit IRPP).

Quand Thierry Breton annonce le passage à la retenue à la source, il a donc en tête un nouveau mode de paiement de l’IRPP mais comme 70% des foyers qui paient cet impôt sont mensualisés, cette vision est fort limitative. Une réforme consistant à conserver tel quel le mode de calcul et à en faire effectuer le prélèvement par les employeurs (et organismes versant des revenus de remplacement : retraite et chômage) serait finalement une nanoréforme sans impact autre qu’un peu moins de travail pour nos chers fonctionnaires des impôts (qui, de doute façon, ne peuvent être renvoyés, seront payés jusqu’à leur mort, pourraient peut-être marginalement être réaffectés à d’autres tâches ou administrations et n’auraient simplement pas à être remplacés à leur départ en retraite...). Pas très excitant... Non, ce changement de mode de paiement devrait s’accompagner d’une grande réforme au fond de cet impôt qui ne rapporte pas tant que cela et qui n’est douloureux que pour une minorité.

Il existe d’ailleurs une solution simple : vous créez aux côtés de la CSG, une contribution sur les revenus d’activité ou de remplacement (la CRAR dont le nom est très "sexy" !). Vous fixez le taux un peu en dessous de 10% et vous récupérez plus de 55 milliards d’euros (voir chiffre plus haut de collecte de la CSG qui montre que l’estimation est correcte), en ayant un système d’une simplicité extrême et qui présente quatre énormes avantages (mêmes s’ils sont un peu polémiques...) :

  • l’essentiel des revenus sont taxés et l’impôt associé collecté par un simple ajout d’une ligne de contribution sur les feuilles de paie (ou équivalent). Il reste à nos chers fonctionnaires des impôts à s’occuper des revenus du patrimoine (revenus fonciers, plus-values...) qui doivent concerner un faible nombre de contribuables.
  • La France devient du jour au lendemain un pays où il fait bon gagner sa vie. Les professions à forte valeur ajoutée s’y développent de façon prospère. Les expatriés intellectuels, sportifs, businessmen, financiers ou encore entrepreneurs reviennent... Les sociétés internationales reconsidèrent Paris comme leur possible siège européen... Ces locomotives entraînent le reste de l’économie et tout repart (croissance, emploi...). Un peu simpliste, mais pas utopique du tout...
  • La moitié de Français qui ne paient aucun IRPP ou une somme modique par mois voient leur salaire net baisser le 1er janvier 2009, comprennent ce que veut dire pression fiscale et se mettent à ne plus écouter les démagogues en tous genres qui promettent de coûteuses mesures sociales non financées. Ils savent dorénavant que tout a un prix, deviennent vigilants et accompagnent les réformes nécessaires de notre cher État de leurs voeux et de leurs votes...
  • La multitude de niches fiscales empilées par les années et soutenues par les lobbies corporatistes disparaîtraient ou seraient reconsidérées purement et simplement au motif parfaitement justifié qu’elles profitent principalement aujourd’hui aux plus aisés et qu’elles ont plus à voir avec les revenus du patrimoine (hors du champ de la retenue à la source) qu’avec les revenus d’activités (ou de remplacement).

 

 

Le scénario est provocateur et simpliste, mais il nous faut tendre vers cela.

On pourra bien sûr décider d’une certaine progressivité de la CRAR mais avec un taux marginal qui devra rester en deçà de 20% et qui ne pourra pas être en dessous de 5%.

On pourra aussi accompagner le "choc fiscal" créé pour les foyers les plus touchés par un prêt d’honneur (vous avez bien lu, un prêt, pas une allocation) de 2000 euros remboursés au bout de quelques années (trois à cinq ans) le temps que le "catch up" soit réalisé (le temps que le salaire net amputé de 5 à 10% de CRAR ait redépassé le salaire net d’avant le "choc" ce qui ne devrait pas prendre plus de deux ans). Finalement, que ce soit l’Etat ou les contribuables qui soient endettés, ce n’est pas très différent... et ... il n’est pas plus "immoral" que quelqu’un qui gagne 1500 euros nets par mois paie environ 100 euros mensuels d’impôt sur le revenu que le fait de ne rien lui faire payer parce que sa femme ne travaille pas !

Le libéral (qui gagne bien sa vie) que je suis est évidemment dans son rôle de provocateur quand il écrit tout cela. Ceci dit, même si cette réforme introduit un mauvais moment à passer, la difficulté transitoire serait parfaitement supportable. Le dynamisme économique du pays, la qualité de son débat démocratique et sa détermination collective à ne plus être la France - déclinante, ringardisée par la mondialisation et convaincue de son incapacité à réussir - d’aujourd’hui seraient formidablement enthousiasmants...

Je ne pense malheureusement pas que les inspecteurs des finances qui entourent notre minefi aient pu penser à un scénario si simple et si vivifiant. Il est, d’ailleurs, évident que la période électorale dans laquelle nous rentrons découragerait n’importe quel "renard" de mettre un tel débat politique sur la table : il faudrait être un "lion" et je n’en vois point à l’horizon.

On va donc voir MM. Bébéar et acolytes se pencher sur des questions fondamentales comme :

  • comment introduire le quotient familial dans la feuille de paie d’un homosexuel "pacsé" qui n’a pas fait son "coming out" dans son univers professionnel ? Compliqué, n’est-ce pas... Je suis sûr que certains de mes amis seraient dans l’embarras.
  • Est-ce une atteinte à la vie privée que de demander aux salariés divorcés de donner le montant de la pension alimentaire qu’ils versent à leur ex-épouse pour tenir compte d’un poste de dépense qui peut atteindre un pourcentage très important du revenu net du contribuable ? Vraiment pas évident ni du point de vue du respect de la vie privée, ni du point de vue calcul de la retenue à la source...
  • Comment éviter que le nombre d’emplois à domicile ne baisse fortement pendant la période de transition sachant que la déduction fiscale associée (mais différée) entraînerait forcément un décalage de trésorerie trop lourd pour les classes moyennes qui, par exemple, font garder leurs enfants à domicile ? Pas simple...

On pourrait multiplier les exemples qui feront de cette éventuelle réforme une usine à gaz : une de celles qui complexifiera la vie des entreprises, mettra certains contribuables dans une situation personnelle ou financière très inconfortable, n’aura aucune vertu pédagogique sur la façon dont les Français devraient voir gérer les finances publiques et, comme toujours, démontrera notre incapacité à accoucher de la moindre réforme de fond.

En résumé, je suis "pour" une vraie réforme fiscale de l’IRPP incluant la retenue à la source mais "contre" un simple changement de mode de collecte/paiement de cet impôt.

Pour revenir dans le médiocre débat suscité par cette potentielle réforme, notre minefi a annoncé une année blanche en 2008. Quelle farce ! Autant d’un point de vue bilantiel, il est exact qu’il y a cadeau. Mais celui-ci ne correspond finalement en termes de flux financier qu’aux impôts sur le revenu prélevés l’année suivant votre mort (donc en moyenne dans trente à quarante ans) et de nouveaux contribuables vous auront heureusement remplacés entre temps... De plus et surtout, vous pouvez parier que tous les revenus du patrimoine (notamment plus-value...) qui sont les seuls à véritablement varier d’une année à l’autre ne seront pas concernés par cette retenue à la source et donc garderont un décalage d’un an.

Pour terminer sur une touche d’humour, la seule petite astuce possible à recommander : demander à son employeur de différer le paiement en 2008 de votre bonus 2006 habituellement versé mi-2007 ! Prions le ciel pour que nos amis de Bercy n’y pensent pas dans l’élaboration de leur prochaine usine à gaz !

 


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