Jacques Sapir fait un sort à l’euro (1/2)
par Laurent Herblay
mercredi 1er août 2012
En France, Jacques Sapir est sans aucun doute l’intellectuel qui fait le plus gros travail d’analyse sur les travers de l’euro, publiant de nombreux papiers très fouillés, dont le dernier il y a seulement deux jours. En janvier, il a publié un livre synthétisant ses arguments. Passionnant.
Le procès de la monnaie unique
Même si ce livre est sorti il y a six mois, il reste profondément d’actualité. Le temps passé, bien loin de le démonétiser, n’a fait que confirmer ce que Jacques Sapir écrit depuis longtemps, lui qui avait publié dès 2006 un papier sur « la crise de l’euro : erreurs et impasses de l’européisme » dans la revue Perspectives républicaines. Il dénonce ceux qui « ont cherché à imposer en contre-bande une Europe fédérale par le biais d’une monnaie unique à des peuples qui n’en voulaient pas ».
Il critique l’impasse dans laquelle nous sommes, avec un système bancaire soutenu à bout de bras, des pays qui finiront forcément par faire défaut sur leur dette après une austérité sauvage condamnée à l’échec. Il souligne très justement que la proximité de la crise de la zone euro avec la crise financière en perturbe la lecture, permettant aux défenseurs de la monnaie unique de défendre leur créature en attribuant la responsabilité de la crise aux dettes souveraines par exemple.
Il souligne également à quel point ce débat est devenu tabou. Pour lui, la monnaie unique européenne est devenue « un véritable fétiche au sens religieux du terme. L’euro, c’est la religion de ce nouveau siècle, avec de faux prophètes aux prophéties sans cesse démenties, avec ses grands prêtres toujours prêts à fulminer une excommunication faute de pouvoir en venir aux bûchers ». Pour lui, « l’euro est devenu le symbole du crépuscule de la raison politique et économique ».
Les raisons de la crise de la zone euro
Pour lui, il y en a trois. Tout d’abord, l’euro impose un taux de change unique, qui ne peut pas convenir à des pays aussi différents en matière de productivité, de taux d’inflation structurel ou de spécialisation économique. En outre, les traités imposent un financement de la dette publique uniquement sur les marchés financiers. Ensuite, il souligne le rôle de la surévaluation chronique de la monnaie unique, qui pénalise grandement les économies européennes, comme Airbus…
Enfin, il y voit une crise de la gouvernance européenne, patente depuis deux ans. Après 19 sommets, les dirigeants de nos pays sont toujours dans l’incapacité de présenter une solution un tant soit peu crédible à la crise qui sévit depuis deux ans et demi ! Il souligne également à quel point la reprise par le Front National de ses arguments a parasité le débat, soulignant néanmoins qu’il n’est pas responsable de qui le reprend et que cela sert de rideau de fumée aux partisans de l’euro.
Pour lui, la monnaie unique est une mauvaise réponse à une bonne question, celle des perturbations provoquées par les mouvements anarchiques des taux de change. Pour lui, il y a une solution beaucoup plus simple, à savoir le contrôle des mouvements de capitaux, qui a démontré son efficacité dans les crises des pays émergents, comme le soulignent également Joseph Stiglitz et Paul Krugman. Malheureusement, cette idée est également discréditée de manière bien cavalière.
Suite demain
Source : Jacques Sapir, « Faut-il sortir de l’euro ? », Seuil