Krach ou chantage boursier ? Les dessous d’un 11-Septembre financier

par Bernard Dugué
mardi 22 janvier 2008

Ce billet tente un point de vue décalé sur cette crise boursière déjà annoncée comme la plus grave depuis 1945 par un certain Georges Soros, mais en est-on certain ?

Vent de panique ce 21 janvier 2008, les rédactions affolées, Le Monde sur son site internet met une info majeure à 17 h 50, promettant des informations supplémentaires d’ici quelques minutes. Le Cac 40 perd près de 7 points, plus que lors du 11-Septembre 2001. Plus exactement 6,87 %. Il est assez étrange de se mettre dans la position du journaliste chargé de rédiger le papier où l’on est censé trouver des informations supplémentaires. Quel scoop, quelle révélation subite va nous proposer notre chroniqueur dans cette configuration des plus délicates, où il faut affoler un peu le lecteur, mais pas trop et trouver matière à écrire un commentaire, une analyse substantielle ou apporter des faits nouveaux. Hélas, la bourse a clôturé et le chiffre est définitif. C’est plus confortable quand il y a un attentat. Après l’annonce, on donne le nombre de victimes et puis, quelques heures plus tard, nouveau papier avec un bilan alourdi et quelques revendications sur les commanditaires de l’attentat et puis, le lendemain, des détails sur le déroulement des enquêtes, les indices, etc. Mais là, la bourse a chuté de 7 points et il n’y a aucune revendication. Mystère.

Pourtant, en filigrane, l’on suit les commentaires de DSK et de la presse, on apprend, d’un air distrait, que les marchés n’ont pas apprécié le plan de relance proposé par G. W. Bush. Sans porter un crédit particulier à cette conjonction de deux faits. Pourtant, un enquêteur scrupuleux mènera son investigation et se demandera par quel mécanisme cette chute s’est produite. Les analystes financiers sérieux y voient une sorte de purge effectuée dans le système, à l’instar d’un liquide de refroidissement qu’on purge de ses éléments gazeux pour qu’il retrouve son efficacité. Ainsi, des titres douteux auraient été balancés et bradés au bénéfice d’une moralisation financière. De plus, il est bien connu que les bourses se réajustent après des périodes euphoriques. C’est arrivé à plusieurs reprises, notamment en 1987 et, plus récemment, après la frénésie de la Net économie où des start-up avaient atteint des cotations déraisonnables eu égard à leur potentiel de profit. Justement, les institutions financières ont bien profité ces dernières années, avec des marges de profit démesurées si bien qu’un réajustement semblait nécessaire selon les analystes, comme au bon vieux temps de 1987 et une fois la bulle purgée, l’économie va repartir, lentement, mais sûrement, pour de nouveaux records d’ici cinq ou dix ans.

Cela n’empêche pas la presse d’évoquer une inquiétude des marchés et des investisseurs quant à une possible récession de l’économie américaine. Et, là, cette affaire vire au vaudeville économico-politique. C’est incroyable, aujourd’hui, toutes les places financières, tous les investisseurs ont découvert quelques menaces de récession américaine et se sont donné le mot ou, plutôt, le change. Les cours ont baissé. En vérité, les investisseurs attendaient de Bush une annonce miracle. 140 milliards de dollars a-t-il mis sur la table. Une paille. Pourtant, les banques centrales avaient déjà réagi pour la crise des subprimes, mais en vain. Pas de miracle. Quand le système est vérolé de l’intérieur, on ne peut pas traiter le mal. Mais c’est à se demander si ces financiers ne prennent pas les politiques pour des larbins. Faute de pouvoir dégager suffisamment de profits et de faire surchauffer l’économie pour des rendements substantiels, ces gens-là espéraient que Bush, en grand sorcier de la première puissance, fasse pleuvoir les dollars. C’est un peu se foutre du monde. Du coup, il n’y a pas eu de panique, mais sans doute une fronde, peut-être inconsciente. Tels des gamins capricieux qui n’ont pas eu les jouets qu’ils avaient commandés et qui ont chahuté toute une journée, les investisseurs auraient joué le jeu de la fronde et se seraient « employés » à faire baisser les cours pour signaler à G. W. Bush que celui-ci est leur larbin, à leur service, et qu’on ne se moque pas des gens qui ont l’argent du beurre et le beurre. Du coup, ils ont vendu leur stock de beurre ranci et voilà le fin mot de l’histoire.

La suite est connue. La bourse va se ressaisir et coller un peu plus à l’économie réelle. Cela prendra du temps mesurable comme la durée du fût du canon qui refroidit. Les interventions des Etats moduleront légèrement le processus. Et comment dire, ce krach tombe à pic pour expliquer les difficultés des ménages et toutes ces politiques qui rament. Quelque vent de crainte souffle sur les populations. Rien que de la propagande ordinaire. De quoi calmer les gens. Du reste bien préparés. On leur a prédit, ce krach de 1929. Alors ils sont prêts et ils y croient. Ainsi fonctionne ce doux système des affects et émotions médiatiquement propagés avec peu de recul critique.

Quels enseignements et conclusions à tirer de cet épisode. De deux choses l’une. Les marchés sont inquiets et ont réagi à la baisse. Les marchés sont insatisfaits et ont réagi à la baisse. Mais une chose est acquise, le dévoilement d’une connivence entre les Etats et la finance mondiale. Il se pourrait bien qu’un philosophe perçoive Dostoïevski dans les bourses, en Europe et en Asie, captant ce nihilisme financier qui, si on ose invoquer la présomption de chantage, aurait orchestré, sans complot ni organisation, sur un coup de tête synchronisé, ce 11-Septembre boursier où les indices s’effondrent à l’instar des tours jumelles. Ce qui dévoile quelques similitudes dans les structures mentales des gens concernés, le financier n’ayant, comme Ben Laden, aucun souci des populations. Mais gare à l’amalgame, le premier fait des affaires et la société en profite quand le deal est équilibré, alors que le second veut dominer l’Occident, voire l’anéantir parce qu’il ne convient pas à ses critères idéologiques. Le chantage est en usage. La puissance des financiers leur offre les moyens d’exercer quelque pression sur les Etats qui, eux, ont certainement les moyens de contrer cette voracité du profit (via une réelle politique monétaire), mais, hélas, ces Etats jouent perso (concurrence fiscale notamment) et, de ce fait, étant divisés, ils offrent aux investisseurs le levier pour lancer quelques nuages sur l’économie mondiale à l’occasion de ce krach du 21 janvier qui s’avère vain. Car l’économie a ses règles.

La presse aura beau dire que ce krach va avoir des incidences sur les économies et la vie des gens, ce n’est pas exact. Le krach n’est pas une cause en lui-même, mais un résultat, celui de l’inconséquence des marchés boursiers et financiers dont les pratiques douteuses et spéculatives remontent à des années et se sont accumulées. Ce sont donc ces opérations qui, dans le temps, obèrent l’économie mondiale et mettent en péril la possibilité d’un développement plus équitable des nations avec un système qui répartit de manière moins inégalitaire les biens.


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