L’Aide Fatale, l’insolente théorie de Dambisa Moyo

par AJ
lundi 23 août 2010

Lorsque nos dirigeants ont su trouver des milliards pour renflouer les banques au moment où la crise financière atteignait son paroxysme, nombreux étaient les commentateurs s’offusquant que lorsqu’il est question de venir en aide au continent africain, les gouvernements sont moins enclins à ouvrir les vannes, ce qui serait proprement scandaleux. Avec son essai intitulé "L’Aide fatale" (Dead Aid dans sa version originale), Dambisa Moyo, une économiste zambienne reconnue, vient porter un sérieux coup aux bien-pensants réclamant un accroissement de l’aide à destination de l’Afrique.

Les maux sont connus, les statistiques en sont le reflet : 44 000 décès liés au sida par semaine, 18 000 liés à des maladies respiratoires, 80% des africains sont dépourvus d’accès à l’eau courante, la situation économique et sociale du continent noir ne prend la couleur. Si le versement de fonds à destination de l’Afrique semble à première vue le meilleur des remèdes pour remettre sur pied le plus grand malade de la planète, les arguments de Dambisa Moyo se chargeront de vous démontrer le contraire. Cette dernière ne fustige pas l’aide humanitaire mais ce qui constitue l’énorme majorité de l’aide, l’"aide systématique", celle octroyée par les occidentaux aux états africains sous la forme de prêts concessionnels (taux d’intérêts faibles, durée de remboursement allongée). Depuis 1970, l’aide a atteint 300 milliards d’euros ; sans que la situation de l’Afrique ne s’améliore, c’est sur ce constat que Dambisa Moyo base son argumentaire.

Une mauvaise imitation du plan Marshall

Face aux échecs successifs que rencontraient l’aide, les donateurs ont à maintes reprises réorienté leurs objectifs : dans les années 60, l’aide est orientée à l’image du plan Marshall sur la construction d’infrastructures. Pour les occidentaux, c’était l’occasion de répéter les succès du plan américain d’après-guerre, c’est à dire des bénéfices pour les états bénéficiaires et la possibilité pour les donateurs d’exercer une influence politique.

Or, cette tentative de mimétisme a échoué car l’Afrique, à l’inverse de l’Europe, ne disposait pas d’institutions, d’une classe dirigeante capables de gérer le montant d’une aide qui atteint des sommets disproportionnés : 15% du PIB en moyenne contre 3% pour les pays européens bénéficiaires du plan Marshall. De plus, l’aide se déploie dans tous les secteurs sous la forme d’une pieuvre alors qu’elle ne visait en Europe que la reconstruction d’infrastructures.

Face à cet échec, les occidentaux ont réorienté les objectifs de l’aide vers la lutte contre la pauvreté. Début du déploiement d’une assistance qui gangrène tous les secteurs d’activités. Début aussi d’un des avers de la médaille de l’aide : les prêts concessionnels ont fait grimper la dette des états Africains d’une manière vertigineuse après les crises pétrolières de 73 et 79 car les institutions internationales ont imposé une hausse des taux d’intérêt, qui étaient flottants. Les états africains font face à une cessation de paiement.

Un handicap pour l’économie africaine

Dambisa Moyo fustige également les effets pervers de l’aide qui nuit à l’économie locale, en important des produits ou matériaux occidentaux (ex : préservatifs, moustiquaires, vêtements, chaussures) au lieu d’injecter de l’argent pour assurer leur production localement. Quand aux sommes vertigineuses que constituent l’aide, elles ne feraient qu’engendrer de nouveaux conflits motivés par le contrôle des richesses, donc de l’aide.

L’énormité des sommes détournées par les dictateurs africains ne font qu’aggraver la situation et, le montant des malversations donne mal à la tête. A titre d’exemple Jean Bédel Bokassa (devenu Bokassa Ier en 1976) qui a régné sur la Centre Afrique de 1966 jusqu’à 1979 aurait dilapidé pour sa cérémonie de sacre plus de 20 millions d’euros, ce qui représentait à l’époque le tiers du budget national. Mobutu, qui a gouverné le Zaïre d’une main de fer 32 ans durant détournait l’ensemble de l’aide des pays occidentaux sans que le flux de dollars ne tarisse. Le problème est que cet argent fut placé à l’étranger (dans des paradis fiscaux), ne permettant pas aux banques africaines de redistribuer l’argent localement via l’emprunt et ainsi permettre à l’économie de décoller.

De plus, l’aide détournée ne profite qu’à une infime minorité ce qui a pour conséquence de faire grimper l’inflation de manière artificielle puisque la population ne bénéficie nullement d’une hausse du pouvoir d’achat et se retrouve par conséquent plongée dans la pauvreté : ce à quoi les occidentaux répondent en débloquant de nouveaux fonds pour l’aide, un cercle vicieux.

La démocratie dans le viseur

Point ô contestable du livre, Dambisa Moyo s’attaque également à la volonté des occidentaux d’imposer aux états africains des régimes démocratiques qui conditionneraient le développement économique. Pour cette dernière, c’est la réciproque qui a valeur d’axiome, c’est à dire qu’une démocratie saine ne peut voir le jour sans une bonne santé économique. Pour obtenir des réformes structurelles de fond, Dambisa Moyo milite pour un pouvoir fort et autoritaire de manière temporaire.

Un essai engagé et sans tabou qui permet de relativiser les bienfaits de la sacro-sainte aide couverte d’éloges par les bien-pensants. Publié aux éditions Jean-Claude Lattès pour vingt euros, "L’Aide Fatale" fournit un argumentaire abordable et digne d’intérêt qui peine néanmoins à entrer rapidement dans le vif du sujet, s’égarant dans de multiples répétitions.
 
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