L’arme de l’euro
par Michel Santi
vendredi 30 novembre 2007
L’euro s’est approché il y a quelques jours du niveau symbolique d’1,50 dollar, soit en net dépassement du précédent pic historique atteint par le deutsche mark il y a douze ans. De nombreuses voix européennes plaident pour une intervention de la Banque centrale européenne dont le but serait de freiner, voire de renverser cette tendance inexorable de l’euro.
De fait, l’Allemagne s’est tout récemment joint à ce concert de contestations, mais l’expérience historique démontre qu’une telle intervention isolée de la Banque centrale européenne n’aurait qu’un effet ponctuel. En effet, la tenndance de la monnaie européenne ne ferait que reprendre sa voie initiale par la suite car la condition sine qua non pour le succès d’interventions réussies de banques centrales consiste en la participation de la Réserve fédérale américaine. La valeur actuelle du dollar n’est pas une préoccupation prioritaire des Américains et l’euro dépassera prochainement le niveau d’1,50.
Cette appréciation n’offrira pas que des inconvénients. L’objectif non avoué des pères de l’euro était à l’origine que leur monnaie supplante progressivement le dollar en tant que monnaie de réserve auprès des banques centrales mondiales. Ils souhaitaient que la devise européenne se pose progressivement comme la grande rivale du dollar. Cette arme du dollar était constamment exploitée par les Etats-Unis qui en usaient et en abusaient, conscients du privilège qui leur était conféré de détenir la principale monnaie de réserve mondiale. Une de ces armes consistait à dévaluer le dollar en toute impunité, toute la dette extérieure des Etats-Unis étant libellée en dollars. De plus en plus, le billet vert semble menacé dans son statut privilégié qui était le sien jusqu’à présent et il pourrait de fait très prochainement tomber de son piédestal si la crise du crédit devait s’amplifier aux Etats-Unis ou si l’inflation devait s’y accélérer. Une telle aggravation de la crise financière aux Etats-Unis découragerait encore plus les investisseurs étrangers - et parmi eux principalement les banques centrales asiatiques - d’accumuler autant de réserves exprimées en dollars. L’euro en serait forcément le grand bénéficiaire car la monnaie européenne est la seule alternative crédible au dollar eu égard à l’ouverture de l’économie européenne, à son importance, mais également grâce à la liquidité et à la bonne santé de ses marchés financiers, sans oublier la crédibilité dont jouit la Banque centrale européenne auprès des divers intervenants financiers. Les compagnies européennes pourraient dès lors multiplier les transactions internationales avec nettement moins de risques car elles s’exprimeraient moins en dollars, mais beaucoup plus en euros. Dans un tel scénario, la lutte contre l’inflation en serait également facilitée : effectivement, l’économie de la zone euro serait nettement moins vulnérable aux fluctuations erratiques des devises car tant ses importations que ses exportations seraient alors libellées en euros. De plus, les pays de la zone euro bénéficieraient de facto de taux d’intérêts extrêmement bas pour leurs emprunts eu égard aux réserves massives d’euros qui seraient détenues par les banques centrales autour du globe. Ainsi, l’économie européenne pourrait le plus naturellement du monde financer à bas prix ses déficits vis-à-vis de l’extérieur en bénéficiant d’une demande toujours accrue en euros générée par la croissance du commerce international. Corde sur laquelle les Etats-Unis n’ont cessé de tirer depuis bientôt trois décennies...