L’économie allemande n’est plus kaput ! Bonne nouvelle...

par JDCh
mardi 2 janvier 2007

En ce premier jour de 2007, après que la Roumanie et la Bulgarie ont fait cette nuit leur entrée dans l’Union européenne, que la Slovénie a adopté cette nuit également la monnaie unique (treizième pays de l’UE à basculer vers l’euro) et que l’Allemagne a, cette nuit toujours, pris la présidence tournante, pour six mois, de l’Union européenne, je me suis souvenu avoir découvert récemment que l’indice de confiance des entrepreneurs allemands (cf. graphique de l’index Ifo ci-dessous) était au plus haut depuis 1994 après avoir touché son point le plus bas en 2001.

Ce sentiment de confiance, dont on connaît l’importance en matière économique, n’a pas vraiment fait la une des journaux mais correspond, en fait, à ce que je considère comme une excellente nouvelle. En effet, autant il est difficile d’expliquer aux Français qu’en imitant nos camarades britanniques, on peut recouvrir une économie saine, avec tous les symptômes positifs qui y sont attachés (croissance, taux de chômage, prélèvement obligatoire/PIB, déficit et dette publique/PIB...), de même qu’il est peu aisé de désigner nos amis scandinaves, Danois ou Suédois, comme un modèle à suivre dans lequel modèle social et efficacité économique ne sont pas contradictoires, il est, par contre, assez pédagogique de montrer du doigt les succès de nos voisins germaniques et de convaincre les Français que les mesures ou directions prises par l’Etat fédéral allemand ou par les entreprises allemandes, si elles sont couronnées de succès, pourraient bien constituer une référence pour notre cher pays.

J’ai, comme la plupart des Français de plus de quarante ans, été bercé durant mon enfance et mon adolescence par le modèle rhénan, la Deutsche Qualität, la cogestion responsable des syndicats allemands, les banques allemandes créancières aventureuses de pans entiers de l’économie... Tout ceci constitue une image d’Epinal (on devrait ici dire une image de Frankfurt !) d’une Allemagne qui a "gobé" il y a maintenant plus de seize ans l’ex-RDA et qui, en même temps qu’elle devait financer à marche forcée l’intégration des "ossies" et la mise à niveau des territoires de l’ex-RDA, a dû faire face aux mêmes enjeux issus de la mondialisation que ceux auxquels la France a été et est confrontée.

Or depuis quinze ans, l’Allemagne est la "grande malade" de l’Europe, son taux de chômage est très élevé, sa croissance, atone, et son modèle conquérant des années 1970/1980 semble cassé. Sa situation politique, fondée sur une démocratie qui nécessite un fort consensus pour esquisser la moindre réforme, paraît, elle aussi, désespérée, et l’on se moque, même à Paris (l’hôpital qui se moque de la charité...), de la lenteur de nos cousins d’outre-Rhin et leur incapacité apparente à réagir face à un monde qui change...

L’Allemagne, comme la France en 1998, a organisé la Coupe du monde de football en 2006, elle n’a pas gagné ce trophée mais elle a eu le sentiment de réussir à nouveau quelque chose visible du monde entier. Cet engouement pour la Coupe du monde et l’enthousiasme, mêlé de fierté, d’être le pays organisateur d’un événement réussi était véritablement palpable en Allemagne l’été dernier, mais n’est pas du tout la seule raison du très haut niveau de confiance des entrepreneurs allemands publié il y a quelques semaines.

Ces patrons allemands ont un bon moral, alors que les chiffres macroéconomiques de l’Allemagne ne sont pas, pour la plupart, beaucoup plus enthousiasmants que les chiffres français. Passons-les en revue.

  • Le PIB par habitant est similaire mais n’oublions pas l’intégration de l’Allemagne de l’Est qui partait de fort loin.
  • Le taux de chômage est similaire, encore un peu supérieur en Allemagne ( 10% contre 9% en France), mais avec une tendance à la baisse plus sensible en Allemagne au cours des derniers trimestres (et ceci toujours sans oublier l’intégration de l’ex-RDA).
  • La dette publique est similaire ( 67% du PIB) mais, encore une fois, n’oublions pas les effets de la réunification.
  • La croissance 2006 sera supérieure en Allemagne, aux alentours de 2,5%, alors que nous serons sans doute juste au nord de 2% et c’est derrière ce chiffre que se cache le vrai potentiel de succès de l’Allemagne. Comme le cholestérol, il existe une bonne et une mauvaise croissance : les Allemands ont une "bonne" croissance, celle qui donne le moral à ses entrepreneurs, nous en avons une "mauvaise" (ou en tout cas une "moins bonne") et, si l’on interrogeait nos patrons et entrepreneurs, je ne suis pas sûr qu’ils seraient aussi enthousiastes que leurs homologues allemands. Explications...

Si l’on simplifie la comparaison des croissances française et allemande, on s’aperçoit que la croissance française est tirée par la consommation, ce qui signifie que les Français puisent dans leur épargne ou tirent sur leur endettement pour consommer des produits et des services, et que la plupart des produits qu’ils achètent sont des produits importés manufacturés en Asie... Ceci ne crée pas beaucoup d’emplois (cf. L’emploi crée la croissance, le contraire n’existe pas...) et atteint ses limites assez vite... La croissance allemande est, elle, tirée par son commerce extérieur et les chiffres sont ici aussi différents qu’éloquents pour expliquer le "gap" entre les deux pays : 180 milliards d’euros d’excédent commercial pour l’Allemagne, 25 milliards d’euros de déficit pour la France... Pour exporter, il faut produire, pour produire, il faut travailler et quand on travaille, on crée de la bonne croissance et on réduit bien évidemment le chômage. CQFD...

Cette performance exceptionnelle de l’économie allemande ne s’explique pas par un capitalisme ou un ultralibéralisme forcené de nos voisins : on pourrait même dire que l’Allemagne est, dans les mentalités, moins capitaliste (la gouvernance des entreprises allemandes ayant tendance à diluer le pouvoir des actionnaires) et moins libérale (l’Etat-Providence est au moins aussi ancré dans les esprits et l’intérêt collectif souvent privilégié par rapport à la liberté individuelle) que la France.

En revanche, l’Allemagne est devenu un pays "anticommuniste" dans son immense majorité, au contraire de la France qui continue à cultiver cette éternelle nostalgie trotskiste que j’ai déjà souvent dénoncée. Ayant dû payer le prix fort pour effacer quarante ans de communisme en RDA, les Allemands ont compris que l’Etat et le marché étaient deux mondes dissociés et que l’intervention de l’Etat dans la vie des entreprises devait être bannie (quand Angela Merkel a récemment envisagé de faire rentrer l’Etat allemand au capital d’EADS en remplacement de Daimler-Chrysler, elle a reçu une volée de bois vert, a vite abandonné l’idée et n’a pu que favoriser la constitution d’un consortium de banques principalement privées, incluant les deux Américaines Goldman Sachs et Morgan Stanley...).

L’Etat allemand, sous la pression des critères de Maastricht, des milieux d’affaires mais aussi et surtout de sa population dans son immense majorité, se consacre donc à retrouver l’équilibre budgétaire qu’il atteindra sans doute avant nous, et donc sa capacité à réduire sa dette publique léguée aux générations futures (qui, rappelons-le, n’est pas plus élevée que chez nous malgré l’absorption douloureuse de l’Allemagne de l’Est). La seule grande réforme du gouvernement Schroeder a été la réduction en 2005 de 32 mois à 12 mois des indemnités chômage (au-delà de cette période, l’indemnité tombe à 345 euros par mois !). Cette réforme fondamentale, pour laquelle il a été assez long de créer le consensus nécessaire, est passée comme une lettre à la poste, car elle venait stopper une situation, considérée comme intolérable par une majorité d’Allemands, où bon nombre de chômeurs allemands avaient plus intérêt à rester au chômage qu’à reprendre une activité...

Les entreprises, elles, n’ont pas chômé. Qu’il s’agisse des grandes entreprises ("Konzern") ou des PME (le fameux "Mittelstand") beaucoup plus nombreuses, puissantes et indépendantes qu’en France (les PMI allemandes ne sont pas que les sous-traitants serviles des "Konzern" mais ont une activité à l’export très significative et vendent directement leurs produits dans le monde entier et notamment aux puissances émergentes que sont la Chine, l’Inde ou le Brésil), elles ont réussi l’incroyable performance d’améliorer leurs taux de marge de 16% entre 2000 et 2006 quand les nôtres ont vu les leurs baisser de plus de 3% ! Cette amélioration extrêmement significative a été obtenue par deux grands moyens :

  • la flexibilité du temps de travail, qui, historiquement, n’est pas plus élevé qu’en France, mais qui, lorsque nous mettions en place les catastrophiques 35 heures, a vu bon nombre d’entreprises industrielles allemandes relever le nombre d’heures hebdomadaires et surtout aligner de façon hyper flexible les durées journalières, mensuelles et annuelles sur les besoins réels de la production.
  • des délocalisations quasi systématiques de toutes les activités à faible valeur ajoutée vers ses voisins, Slovaques, Tchèques ou Polonais, afin de garder un prix de revient compétitif aux produits destinés à l’export tout en maintenant la fameuse valeur ajoutée allemande dans les mains et les cerveaux des salariés allemands.

Inutile de rappeler que ces deux grands leviers ont fait l’objet de négociations "responsables" avec des syndicats connus pour leur puissante représentativité mais qui pourraient donner des leçons d’économie réaliste aux nôtres...

Les esprits chagrins expliqueront que le passage de la TVA en 2007 en Allemagne de 16 à 19% (rappelons qu’en France nous sommes déjà à 19,6% depuis plus de dix ans...) va induire un inévitable ralentissement économique en Allemagne. Ceci est sans doute partiellement vrai, cependant le renouveau économique allemand n’est pas fondé sur une consommation des ménages mais sur un dynamisme et une compétitivité retrouvés des entreprises grandes, moyennes et petites lancées dans le grand bain de la mondialisation...

Par ailleurs et pour finir, le choix fait par le gouvernement de coalition dirigé par Frau Merkel d’augmenter le taux de TVA, impôt jugé en France comme injuste, est emblématique : tout le monde va payer le nécessaire rétablissement des finances publiques. C’est un mauvais moment à passer, mais ça ne durera qu’un moment... Rien à voir avec nos mesurettes égalitaro-inefficaces...

Conclusion : un modèle politico-économique que les Français sont peut-être prêts à regarder et à suivre, et un partenaire commercial - le premier pour la France - qui va beaucoup mieux. En voilà deux bonnes nouvelles pour démarrer l’année...

Et, comme il est de rigueur un 1er janvier d’adresser ses voeux, recevez les miens, et souhaitons à la France de ressembler assez rapidement un peu plus à l’Allemagne version 2007 plutôt qu’à l’ex-RDA, à qui nous ressemblerons bien vite si nous ne nous bougeons pas les f...

Mit meinen besten Wünschen


Lire l'article complet, et les commentaires