L’emprunt EDF et l’emprunt Sarkozy

par Michel DROUET
lundi 29 juin 2009

Annoncées bruyamment, ces deux initiatives renouent avec une tradition d’appel à la souscription qui a fait le bonheur et aussi la fortune d’épargnants depuis l’après guerre jusqu’aux années 90.

A première vue, qui y a-t-il de commun entre les deux démarches ? Rien, mais à y regarder de plus près, on découvre quelques similitudes et une cohérence politique globale.

Le financement d’investissements


Dans les deux cas, il s’agit de financer des investissements, selon les informations dont nous disposons. Cela apparaît de manière claire pour EDF. Ça paraît un peu moins évident pour l’emprunt d’Etat pour lequel on parle de financer les dépenses et les investissements à venir, ce qui laisse une marge d’appréciation pour le gouvernement qui pourra, le cas échéant, se servir des fonds mobilisés pour financer des dépenses courantes (rappelons que l’emprunt Balladur en 1993 avait servi en particulier à renflouer les entreprises publiques). Reste donc à connaître l’affectation réelle de l’emprunt Sarkozy pour savoir quelle sera la répartition réelle entre investissements et fonctionnement. 


Créer un lien avec les souscripteurs


Pour EDF, cela ne fait aucun doute : à l’heure de l’ouverture du marché, cette entreprise cherche à fidéliser ses clients, à ce qu’ils se sentent responsables de son fonctionnement et ainsi évitent de répondre aux sirènes de la concurrence. Autrement dit, EDF cherche à se rendre incontournable et s’offre à cette occasion un bon coup de pub, sachant que le financement par emprunt sur les marchés financiers était tout à fait possible.

S’agissant de l’emprunt d’Etat envisagé, on ne peut pas parler stricto sensu de fidélisation ou de contournement de la concurrence, par contre on peut tout à fait parler de coup de pub, de recherche d’adhésion au projet politique, dans la mesure où la levée de fonds peut se faire de manière plus discrète, sur les marchés financiers, de plus sans doute, à un moindre coût.


Qui souscrira ?


Bien évidemment ceux qui ont de l’argent et qui n’envisagent pas de mobiliser une partie de leurs fonds à court terme. Dans cette catégorie, on trouvera les petits rentiers qui ont épuisé toutes les placements courants hors placements obligataires ou en actions (livret A, livret de développement durable, assurance vie), et qui appâtés par un rendement net d’impôts de 3,5 % videront leurs livrets pour souscrire aux emprunts. On peut donc s’attendre à une baisse globale des fonds collectés sur ces livrets, ce qui pose question, s’agissant de l’emprunt d’Etat, puisqu’il ampute de fait des crédits destinés rappelons le à financer le logement social ou les économies d’énergie. On peut donc dire que l’Etat joue contre son camp et que l’entreprise EDF n’est pas bien claire non plus puisqu’il s’agira sans doute de financer le parc nucléaire, qui ne correspond pas à une opération de développement durable quoi qu’on puisse en dire.


Qui paiera les intérêts de la dette ?


Pour EDF, c’est bien sûr le particulier sur ses factures. Il ne fait en effet aucun doute que la charge en intérêts sera répercutée intégralement sur le kilowattheure ce qui permet de dire au passage que l’entreprise se paye une campagne de pub sur le dos des clients. Dès lors on peut se reposer la question de l’opportunité d’un détour vers la concurrence pour éviter de payer plus.

Pour l’Etat emprunteur, pas de concurrence. Le paiement des intérêts se fera sur son budget, soit par des économies qui seront réalisées sur son fonctionnement courant (donc induits par des transferts au privé ou des suppressions de postes de fonctionnaires, par exemple), ou bien encore par des augmentations d’impôts (il ne faut jurer de rien...).

Au final, presque tout le monde paiera les intérêts de ces emprunts, mais il y en a qui seront plus touchés que d’autres : ceux qui n’auront plus accès à des services publics supprimés et devront payer pour des services jusqu’alors gratuits et qui paieront également plus cher leur électricité, sans que leurs revenus puissent absorber les augmentations de tarifs (sans parler de ceux dont les revenus baissent pour raison de chômage).

Par contre, les souscripteurs qui par définition n’ont pas de problèmes de fin de mois, s’accommoderont d’autant mieux de la situation qu’ils percevront un intérêt non négligeable payé par l’ensemble des utilisateurs d’EDF et par les citoyens pour l’emprunt d’Etat, qu’ils soient contribuables ou non.

Reste à savoir combien coûtera au final l’emprunt d’Etat. Souvenons-nous en effet du fameux emprunt Giscard qui a rapporté 7 milliards de francs en 1973, mais dont le remboursement total en aura coûté 80.


En définitive, on retiendra que les motivations de ces emprunts sont surtout d’ordre médiatiques, dans la mesure où la nécessité d’un emprunt public pour EDF n’apparaît pas clairement et dans celle où l’Etat aurait pu financer ses programmes comme il le fait au quotidien, de manière plus discrète, sur les marchés financiers et à un coût moins élevé.

On retiendra également les effets pervers de ces démarches pour les consommateurs et pour les citoyens et sur les contradictions flagrantes entre l’Etat emprunteur et la politique qu’il dit mener en matière de logement social et de développement durable.

Enfin, les souscripteurs étant avant tout spéculateurs, la question du lien avec les émetteurs d’emprunts reste à prouver. Il s’agit avant tout d’effet d’aubaine.


On se délectera au final du succès, en temps de crise, de l’emprunt EDF qui annonce sans doute celui de l’Etat, en se disant que dans une France aux déficits conséquents, à l’endettement massif, au chômage en hausse, on trouve encore beaucoup d’argent chez certaines personnes.

Le bouclier fiscal aura sans doute grandement contribué au succès de ces emprunts. Les bénéficiaires de ce bouclier peuvent être doublement satisfaits : avec l’argent redonné par l’Etat qui organise ainsi sa propre faillite, ils vont pouvoir s’enrichir encore un peu plus sur le dos des contribuables, justifiant ainsi de futures mesures de dérégulation économique ainsi que des régressions dans le domaine social.


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