l’énergie verte, une chance
par Laurent MINGUET
vendredi 4 août 2006
Le prix de l’énergie augmente. Une calamité ? Pourquoi ne pas plutôt y voir une chance pour nos industries : celle de fournir les solutions qui permettront de s’affranchir des pratiques polluantes.
L’énergie est une composante fondamentale de l’économie et
de l’industrie. Que se soit pour la production des commodités, des produits
semi-finis, finis ou de haute technologie, l’énergie est utilisée dans des
proportions diverses par rapport à la valeur ajoutée. Elle se retrouve aussi
indirectement dans les processus industriels tant au niveau des outils de
production que des ateliers et bureaux, des transports de produits et de
travailleurs.
En Belgique, 77% de l’énergie primaire provient des combustibles fossiles
(pétrole, gaz, charbon), 21% du nucléaire et 2% des énergies renouvelables.
Les énergies fossiles et fissiles proviennent de stocks. Par définition,
ceux-ci ne sont pas inépuisables.
De plus, la production et l’exploitation des énergies engendrent des pollutions
diverses. Les énergies fossiles produisent du C02, des acides, des suies,
surtout le charbon. L’énergie nucléaire produit du plutonium et des déchets
radioactifs dont l’activité dure jusqu’à plusieurs centaines de milliers
d’années. Or le développement durable consiste à satisfaire nos besoins sans
empêcher les générations futures de satisfaire les leurs. Nous avons donc la
responsabilité de résoudre nos problèmes en léguant des solutions, et non pas
de trouver des solutions qui laisseront des problèmes.
Quelle est l’échéance de ces énergies ?
Les gisements de pétrole exploitables
connus ou estimés sont de 130 Gtep dont les 2/3 au moyen orient. Depuis une
vingtaine d’années, le rythme des découvertes de nouveaux gisements est
inférieur à l’augmentation de la consommation. De même pour les réserves de gaz
naturel, de plus en plus demandé. Le prix du gaz devrait donc augmenter comme
celui du pétrole. Les réserves de charbon sont nettement plus importantes. Si
le charbon devait subvenir seul à nos besoins comme ce fût le cas jusqu’au XIXe
siècle, nous en aurions pour 60 ans au rythme de consommation actuelle. Son
prix est plus stable que celui du gaz et du pétrole.
Enfin les réserves d’uranium extractibles à moins de 130 $/kg, soit plus de 3
fois le prix actuel, sont de 58 Gtep pour une consommation annuelle de 0,7 Gtep
par 440 centrales dans le Monde. Si le nucléaire devait remplacer les énergies
fossiles comme on le croyait dans les années soixante-dix, les réserves
seraient consommées en 6 ans... La surgénération qui consiste à utiliser le
plutonium dans des centrales plutôt que dans des bombes, a été abandonnée par
la France en 1997 après 30 années de recherches et d’expérimentations
infructueuses. L’utilisation du plutonium (5%) mélangé à de l’uranium (95%)
dans les centrales classiques sous la forme de MOX coûte 145 M€ supplémentaires
par tonne de plutonium. Il s’agit plutôt d’un processus d’élimination de ce
déchet cependant fort controversé. La fusion nucléaire contrôlée ne devrait pas
permettre de fournir de l’énergie avant, dans le meilleur des cas, 2050. Beaucoup
d’inconnues sur ce processus demeurent et rien ne garantit que les obstacles
technologiques puissent être tous levés.
Mais alors que faire ?
Il n’est donc pas prudent de miser toute notre politique énergétique sur des hypothétiques découvertes de technologies ou de gisements. Il est beaucoup plus sage de compter sur des ressources inépuisables et des technologies avérées. A l’ombre d’un charbon puis d’un pétrole bon marché, les énergies renouvelables ne se sont guère développées au XXeme siècle sauf dans certains cas comme l’hydroélectricité en montagne, la biomasse au Brésil, l’éolien au Danemark, la géothermie en Islande...
Le solaire et la biomasse
L’inconvénient des flux d’énergie du soleil (solaire direct, vents, hydraulique, biomasse...) est leur forte dispersion et leur variabilité. Par contre, ces flux sont relativement prévisibles, constants et largement disponibles. Les flux d’énergie primaire sont des milliers de fois supérieurs à notre consommation actuelle. Le problème est de capter, concentrer et stocker ces flux énergétiques utilisés en cocktail afin de couvrir tous nos besoins. D’après le professeur Martin de l’UCL, le potentiel mondial du vent, de la houle et des courants est de 400 TW, plus de 30 fois la consommation d’énergie, loin derrière les 82.000 TW de rayonnement que notre planète reçoit chaque année, 6.000 fois notre consommation d’énergie. Les technologies pour capter et concentrer ces flux existent depuis longtemps : le bois de chauffe, les moulins à vent, les moulins à eau... Aujourd’hui, le développement des technologies des matériaux, de l’électronique, de l’aérodynamique, de la chimie... permettent de multiplier le rendement de ces techniques rudimentaires. Même un pays au climat ingrat comme la Belgique reçoit chaque année, sur 60m², l’énergie primaire consommée par habitant.
Le stockage de l’énergie
Aujourd’hui, les bons vieux accumulateurs au plomb offrent un rendement jusqu’à 75% et des taux de recyclage satisfaisant (90%) mais des procédés développés par Umicore, par exemple, permettront d’utiliser d’autres accumulateurs recyclables, plus légers, problème clé du stockage de l’électricité. De même, les développements sur la pile à combustible permettent d’obtenir des rendements électriques de 60% qui ignorent le principe de Carnot. La pile à combustible existe depuis la nuit des temps puisqu’elle permet à toute la faune animale de produire sa force motrice avec des « carburants » plutôt variés...
Last but not least : les économies d’énergies
Le plus grand gisement d’énergie se
trouve dans l’efficience énergétique. Par exemple, en Belgique, 80% de
l’énergie du secteur résidentiel et tertiaire est utilisée pour le chauffage
des bâtiments. Aujourd’hui, les techniques du bâtiment associées aux
technologies d’isolation, de captation active, de régulation permettent de
diminuer par 4 la facture énergétique soit une économie de plus de 3 milliards
d’euros chaque année. De même, pour la consommation d’électricité, les
améliorations des appareils électroménagers de classe A, les lampes
économiques, la réduction des consommations de veille, la domotique...
permettraient de réaliser facilement des économies annuelles de 10 TWh à 20 TWh
soit 25% de la production d’électricité.
Les 10 Mtep de pétrole consacrés au transport pourraient être drastiquement
diminués en focalisant l’industrie sur les moteurs à haut rendement, les
véhicules hybrides et électriques, les piles à combustibles, en diminuant le
poids des véhicules et leur puissance mal dimensionnée pour des autoroutes
limitées à 120 km/h... mais aussi par un recours plus rationnel à l’automobile.
L’amélioration des techniques de téléphonie et de vidéophonie participent
également à la restriction des transports physiques. Les techniques de stockage
d’énergie dans des batteries, de l’hydrogène ou du méthanol permettront la
substitution du pétrole dans les transports. Ici aussi, il faut passer du
laboratoire à l’usine.
Enfin, la cogénération, c’est-à-dire l’utilisation de la chaleur des centrales
thermiques aujourd’hui jetée à l’eau ou dans l’atmosphère est un potentiel de
plus de 10 Mtep, de quoi chauffer gratuitement nos bâtiments grâce à des
réseaux de chaleur comme au Danemark, en Autriche, en France...
Energies renouvelables : un boom économique
Le développement durable n’est donc
pas un fatras de règles contre-productives qui handicapent davantage nos
entreprises face à celles des pays qui pratiquent un dumping social ou
environnemental. C’est une panoplie vaste d’opportunités de développement de
processus et produits nouveaux qui rendent obsolètes les vieilles technologies
peu respectueuses de l’environnement. Par exemple, en développant les
technologies éoliennes, il y a 20 ans, les Danois, malgré leurs salaires
élevés, contrôlent aujourd’hui un marché prometteur de 8 milliards d’euros relativement
peu délocalisable. Les entreprises du World Business Council for Sustainable
Development (WBCSD) dont Toyota, Dupont de Nemours, STmicroelectronics... ont
commencé à réfléchir au développement durable après la conférence de Rio
(1992). Aujourd’hui, la mise en pratique de ces idées leur a fait gagner des
milliards de dollars et a renforcé leurs avantages compétitifs face à leurs
concurrents.
Le renchérissement naturel du prix de l’énergie n’est donc pas une calamité
mais une opportunité pour nos industries de fournir les solutions qui vont
permettre à l’humanité de s’affranchir définitivement des pratiques temporaires
et polluantes afin de pouvoir s’engager sur la voie du développement durable.
Cette nécessaire course au rééquipement, tant chez l’industriel que chez le
particulier, sera le moteur d’une formidable activité économique créatrice
d’emplois ne visant plus au productivisme mais à conquérir au plus vite notre
indépendance énergétique.
Laurent Minguet
Sources :
www.iea.org
mineco.fgov.be
www.cwape.be
www.nymex.com
www-fusion-magnetique.cea.fr
www.ieer.org/ensec/no-3/no3frnch/contents.html
www.itebe.org/portail/affiche.asp ?num=269&arbo=1
chroniques.lucpire.be/minguet/now_future/html-n/ch02.html
www.wise-paris.org/francais/rapports/0302OekoskopFailliteEconomiePu.pdf