L’Etat ne peut pas tout faire : il ne peut rien faire

par Morad EL HATTAB
mercredi 9 janvier 2013

« Dans cette bataille qui s’engage, je vais vous dire qui est mon adversaire, mon véritable adversaire. Il n’a pas de nom, pas de visage, pas de parti, il ne présentera jamais sa candidature, il ne sera donc pas élu, et pourtant il gouverne. Cet adversaire, c’est le monde de la finance. »

Déclaration de François Hollande lors du meeting du Bourget, le 22 janvier 2011.

La fin de l’année 2012 nous apporte trois preuves de l’absolue impuissance du pouvoir politique :

1) L’accord avec Mittal qui souligne la dépendance de la France sous l’emprise de l’acier.

Pourtant, Mittal n’est qu’une construction artificielle fondée sur un amas hétéroclite d’aciéries dispersées et sans aucune synergie réciproque.

Enfoncé par la baisse du marché de l’acier en Europe, moins 30% de 2007 à 2012, alors que ce marché représente 50% de l’activité de Mittal, il est contraint d’avouer une dépréciation de 3,3 Milliards € au quatrième trimestre 2012.

La fragilité de son financement se révèle alors, avec entre 18 et 23 Milliards € d’obligations empruntées, notées « high yield » (haut rendement) c’est-à-dire « below investment grade » donc pourries.

Mittal a soif de cash, de liquide, tel les damnés de l’Enfer de Dante. Alors le nationaliser, c’est lui faire trop d’honneur, et surtout lui donner trop d’argent. L’indemnité serait fixée par la Cour de justice de Luxembourg qui est toujours hostile à une mesure contraire aux principes de la concurrence libre et non faussée, et de la liberté d’établissement.

Par contre, rien n’empêche l’Etat français de préparer un achat amiable négocié par les banques d’affaires Lazard Frères ou Rothschild Group, voire d’aider à la conclusion amiable, au moment d’un renouvellement des dettes par une vente à terme des actions Mittal, et l’acquisition de CDS sur la dette de Mittal…

2) La réforme bancaire.

Officiellement prévue au nom de la séparation des activités de marché et des activités de dépôt, en réalité, elle filialise la « banque d’investissement et de marché », ce qui permet de maintenir des bilans consolidés et les bonus qui vont avec.

Théoriquement, la filiale de marché ne peut pas faire de trading pour compte propre, c’est aussi la règle aux Etats-Unis, mais lorsque la banque JP Morgan a perdu entre 2 et 6 Milliards $ (on ne le saura jamais), tout le monde a fait semblant de croire que ce n’était pas à la suite d’activités de trading sur fonds propres.

Les banques sont très riches et ont d’excellents avocats, c’est pourquoi elles ont noyé la « règle Volcker » sous les complications. Mais c’est aussi pourquoi le projet français de réforme bancaire a renoncé à la séparation entre la banque de dépôt et la banque d’investissement (et de marché). C’est donc le maintien de la « Banque Universelle » où la banque de dépôt reste au service de la banque de marché, la filiale abrite en fait la tribu dominante.

Or, le maintien de la « Banque Universelle », c’est la priorité donnée à la finance sur l’économie, c’est donc la route de la désindustrialisation pour la France.

3) La Bourse de Paris.

Il était une fois, à Paris, une bourse des valeurs où les actions des entreprises françaises étaient cotées. La Bourse de Paris était un établissement public tenu par des officiers ministériels appelés Agents de change.

Las, après avoir été privatisée par Edouard Balladur, les ordinateurs qui déterminent les cours des valeurs sont passés à Londres, puis après être devenue Euronext, elle a été absorbée par le NYSE (New-York Stock Exchange) sous le nom de NYSE Euronext. À présent, la bourse privée américaine ICE (née en 2000) a lancé récemment une offre d’achat sur NYSE Euronext.

À vrai dire, ICE ne s’intéresse qu’à LIFFE, qui est un marché d’échanges de dérivés, et ICE ne cache pas son souhait de se débarrasser d’Euronext, pour un prix de 1,5 Milliards €.

C’est donc une occasion unique de reconstituer une Bourse de Paris pour y permettre la cotation et les échanges d’actions de grandes entreprises françaises. Même si elle est petite, elle peut rendre de réels services aux grands groupes et aux banques françaises.

Alors que l’occasion est fugitive, le silence du gouvernement est assourdissant.

En conclusion, une réforme bancaire qui maintient la banque universelle composée d’une banque de dépôt au service de sa filiale, banque d’investissements et de marchés, où règne la tribu dominante. Une capitulation en rase campagne devant Mittal, géant aux pieds d’argile posés sur les châteaux de cartes d’une dette de 23 Milliards € classée « high yield » c’est-à-dire pourries. Et enfin, l’occasion enterrée sous le silence de reconstituer une Bourse de Paris pour coter les entreprises françaises…

L’Etat ne peut pas tout faire, il ne peut rien faire, Ah Dieu ! que la Social-démocratie était belle sous la Sarkozie…

Morad EL HATTAB & Philippe JUMEL

Auteurs du livre KRIZ (Ed. Léo Scheer)

P.S. : KRIZ lu par le journal « Le Parisien » : http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/un-thriller-sur-la-crise-11-09-2012-2159205.php


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