L’étrange résistance des marchés technologiques
par Marc Bruxman
mardi 26 août 2008
D’habitude, toute récession économique a une conséquence inévitable : elle fait fortement chuter les actions et les bénéfices des entreprises du secteur technologique, et ce, plus fortement encore que les actions et les bénéfices des entreprises "classiques". Il semblerait que cette fois-ci la donne soit différente, cet article se veut une tentative d’analyse.
Le phénomène du décrochage des valeurs technologiques en période de récession a une explication très simple : les entreprises en difficulté coupent leurs investissements non essentiels et généralement la technologie et la pub font partie de ces investissements que l’on peut reporter.
Les financiers s’attendaient d’ailleurs à une forte chute des valeurs technologiques et le Nasdaq a baissé bien plus vite que le Dow Jones dans les premiers mois de la débâcle boursière actuelle.
Si l’on regarde par contre les six derniers mois, on constate :
- une baisse de près de 10 % pour le Dow Jones ;
- une hausse d’un peu plus de 2 % (donc très faible) pour le Nasdaq.
La crise actuelle a donc quelque chose de spécifique. Car, dans les circonstances actuelles, les cours du Nasdaq auraient dû subir un véritable massacre.
Or, s’ils n’ont pas été massacrés c’est que les annonces des entreprises du secteur technologique ont pour l’instant agréablement surpris les marchés. Cisco et Hewlett Packard notamment ont annoncé des résultats supérieurs aux attentes, Apple a fait de même. Ce qui semble montrer que ce maintien des valeurs technologiques à leurs cours n’est pas dû à de la spéculation, mais bel et bien à des fondamentaux qui ont surpris même les investisseurs les plus aguerris.
A quoi peut donc être due cette bonne tenue du secteur technologique ?
- Le premier facteur est que la hausse des prix du pétrole dope le secteur technologique. Le commerce électronique évite aux gens de remplir leur réservoir d’essence et il est donc plus attractif que le commerce traditionnel. De la même façon, des marchés comme la visioconférence peuvent éviter des déplacements. Avec la hausse des matières premières, tout ce qui peut être dématérialisé devient beaucoup plus intéressant que ce qui a une incarnation physique.
- Le second facteur c’est que les cadres dirigeants dans les grandes entreprises ont maintenant intégré le fait que la technologie peut être un outil stratégique pour réduire les coûts et améliorer la productivité, la ou les plus vieilles générations étaient parfois sceptiques. Le secteur technologique a également de plus intégré cette envie du client à réduire les coûts. Cet argument est de plus en plus mis en avant lors des ventes alors qu’avant l’an 2000 c’était la nouveauté qui primait. De la même façon, le grand public s’aperçoit que la technologie peut être bonne pour le pouvoir d’achat. (commerce électronique, voix sur IP...).
- Parallèlement, les innovations continuent à arriver sur le marché et permettent aux entreprises de profiter des "adopteurs précoces", ce qui maintient des marges élevées. Je pense à l’iPhone, l’eeePC et le cloud computing.
- Enfin et c’est sûrement le plus important, l’arrivée de cadres plus jeunes a permis de réduire le délai d’adoption des nouvelles technologies. Là où il fallait souvent plusieurs années pour imposer une innovation dans les grands groupes, on assiste maintenant à une course à l’adoption.
Au final, il se pourrait que la crise actuelle accélère malgré elle la transition vers la société de l’information. Le mot crise en chinois s’écrit avec deux caractères. Le premier signifie "Danger", le second signifie "Opportunité". Il se pourrait que, dans notre cas, l’opportunité soit une transition accélérée de l’économie vers une économie de l’immatériel. Cela ne se passera pas sans heurts, tant certaines technologies déjà disponibles ont le pouvoir de réduire les coûts de façon drastique si on les applique jusqu’au bout.
Ces heurts sont d’ailleurs ce qui bloquait la transition jusqu’à présent. Beaucoup de technologies ne sont pas complètement déployées car elles imposent une restructuration trop violente sur les entreprises. Les managers, par crainte des troubles, ont donc préféré différer ce changement. Le cas le plus classique est celui des maisons de disque. Le passage au tout numérique est terrifiant pour ce qu’il implique en matière de restructuration pour le secteur du disque. Alors les managers, par peur des conséquences, ont préféré le statu quo à l’innovation. Mais le manque d’argent induit par la crise financière risque de contraindre certains managers à prendre des risques et à tenter des paris osés pour sauver leurs entreprises.
La transition risque donc de s’accompagner d’une forte hausse du chômage ainsi que de troubles sociaux qui seront sûrement mis sur le dos des subprimes. Mais, au final, c’est l’opportunité d’augmenter grandement la productivité de nos pays occidentaux et de se redonner de la compétitivité vis-à-vis des pays du Sud. Cela est d’autant plus probable que la génération qui est née avec internet et s’en sert aisément va commencer à affluer sur le marché du travail. Les jeunes travailleurs qui remplacent les retraités seront donc mieux formés aux outils de travail du monde moderne. Et donc plus productifs ! Le krach démographique de la classe active est donc le moment le plus propice pour effectuer cette transition technologique. Car les départs en retraite pourront absorber une partie des destructions d’emplois qui seront malheureusement inévitables dans un premier temps.
Ce qui est sûr en tout cas, c’est que si cette transition devait survenir maintenant, elle s’accompagnerait de bouleversements politiques et sociaux majeurs. Une nouvelle société devrait s’inventer pour coller à la nouvelle donne technologique. Et plus que les innovations technologiques et les cours du Nasdaq c’est cela qui sera passionnant à suivre.