L’Histoire bégaie
par jlhuss
vendredi 21 octobre 2011
Au Moyen-Age, quand un seigneur, un roi ou un empereur, prétendaient secouer la tutelle de l'Église, l’évêque ou, dans les cas graves, le Pape, infaillible représentant de Dieu sur Terre, mettaient ses possessions en interdit. On fermait les églises, les prêtres n’étaient plus autorisés à administrer les sacrements ni les fidèles à les recevoir. Plus de messes, plus de baptêmes, plus de mariages et plus d’enterrements et ceci jusqu’à ce que, sous la pression des croyants, craignant pour leur salut, le rebelle capitule avec ou sans conditions. La méthode était encore plus efficace si quelque calamité naturelle, épidémie de peste, sécheresse ou inondation montrait de façon irréfutable que l'attitude du révolté avait suscité la colère divine.
Pour obtenir son pardon et la fin de ses ennuis, l’excommunié devait manifester sa repentance et sa soumission à l’autorité ecclésiastique par des actes concrets tels que jeûnes prolongés, processions expiatoires avec flagellation de préférence sanguinolente et confession publique de ses erreurs. Bien sûr, il ne pouvait être question qu’on impose au Saint Empereur Romain Germanique ou au Roi Très Chrétien des pénitences qui auraient trop gravement compromis leur dignité : il fallait ménager les alliances futures du sabre et du goupillon. Aussi, qu’il ait ou non approuvé l’attitude de son suzerain, c’était le peuple du royaume concerné qui devait massivement se serrer la ceinture, s’administrer la discipline et se repentir de fautes qui n’étaient pas les siennes. Quant à ceux qui refusaient de céder, leur sort, généralement peu enviable, était réglé avec l’assistance du « bras séculier » (grands féodaux ou roi voisin ayant de menus péchés à faire oublier et quelque envie d’arrondir son domaine) en vertu de l’adage bien connu « Tuez les tous, Dieu reconnaitra les siens ! »
Depuis, l’église catholique s’est fort heureusement repentie et a condamné des pratiques mises au service d’ambitions et d’intérêts sans rapport avec une religion dont le fondateur prêchait l’amour du prochain et le pardon des péchés. Mais la nature (humaine) a horreur du vide. Aujourd’hui les excommunications ne sont plus fulminées au Vatican, mais à Wall Street et ce n’est pas depuis Rome qu’on jette l’interdit sur les peuples de la Terre mais depuis Manhattan et la City de Londres.
L’infaillibilité qu’on ne reconnaît plus à l’évêque de Rome, on l’accorde à Moody’s, Standard and Poor’s et Fitch, la sainte trinité des agences de notation. Peu importe d’ailleurs que, dans cette affaire, le Père, le Fils et le Saint Esprit ne soient pas toujours d’accord entre eux. L’un dégrade le Mexique, l’autre lui laisse sa note et le troisième choisit de ne pas choisir. Peu importe ! Ils ont raison puisqu’ils sont infaillibles. Ils sont donc absous de toutes les erreurs qu’ils ont commis, commettent ou commettront.
Rappelons en effet que ces vigilants censeurs des États sont, aussi, censés informer leurs clients et, accessoirement, le reste du monde, sur la solidité des entreprises financières privées. Or, sans remonter à Mathusalem, ils n’ont vu venir ni l’éclatement de la bulle Internet, ni la crise des subprimes.
Ce genre de détail à défaut de rendre prudents les adorateurs du veau d’or qui peuplent les salles de marchés et les bureaux des ministères des finances des divers pays du globe aurait dû éveiller la méfiance des gouvernants. Hélas, les hommes ont un tel besoin de croire (ou de faire semblant si cela les arrange) en quelque chose qui les dépasse. Faiblesse regrettable qui les amène à gober les plus invraisemblables fumisteries telles que l’assurance que les agences de notation basent leurs estimations sur des critères incontestables parce que scientifiques. C’est pourquoi, comme jadis la colère de Dieu, c’est pour apaiser la mauvaise humeur du Marché (dont la main invisible est aussi puissante que celle de Jéhovah, ainsi que le prouve cette catastrophe peu naturelle qu’on appelle la Crise), qu’on impose aux nations d’expier leurs errements supposés par des sacrifices dont la sévérité n'importe guère puisqu’ils leur permettront de trouver ou de retrouver une place au paradis coté AAA.
Moyennant quoi, il suffit que leurs saintetés Fitch, Moody’s et Standard and Poor’s décrètent, du haut de leur sagesse, que telle ou telle contrée, la France ou l’Espagne par exemple, a démérité, ou s’apprête à le faire pour que, comme leurs ancêtres des siècles obscurs, les gouvernants dits « responsables » de ces pays soient prêts à imposer à leurs concitoyens toute la gamme des pénitences exigées par les actuels inquisiteurs. Naturellement, ils adaptent au goût du jour les châtiments imaginés par leurs prédécesseurs (on est moderne, on ne l’est pas) en prenant soin, comme eux, de ménager les puissants du jour. Plus de jeûne, l’austérité à condition toutefois qu’elle ne concerne que les salariés et les retraités ! Plus de haire ni de discipline, la chasse aux avantages acquis et la suppression des minces avantages fiscaux favorables aux classes moyennes et populaires, mais sans revenir sur les aménagements de l’ISF.
Il n’est pas certain que ce genre de pratique puisse se poursuivre très longtemps sans avoir de graves conséquences. Comme l’ont fait observer divers commentateurs, dégrader un état c’est renchérir le coût de son crédit et, par conséquent, augmenter les revenus de prêteurs dont on comprend qu’ils apprécient ce moyen à la fois sûr et élégant de s’en mettre plein les poches. Il conviendrait pourtant de se souvenir qu’à force de tondre un mouton on risque de le rendre enragé. Ces paisibles animaux peuvent alors, surtout s’ils sont en troupeaux, se révéler redoutables et préférer, cela s’est vu, « une fin effroyable à un effroi sans fin ». Le pire n’est jamais sûr, il est, hélas, possible.