L’humiliation de Wall Street

par Michel Santi
lundi 20 octobre 2008

"L’objectif de ces mesures n’est pas de s’emparer du marché libre, mais au contraire de le préserver" : c’est en ces termes que s’est exprimé le président George Bush la semaine dernière en annonçant la prise de participations immédiate dans neuf des plus importantes banques de son pays par le gouvernement fédéral, mainmise qui s’étendra du reste à des milliers d’autres banques à travers le pays dans un avenir proche. En injectant 250 milliards de dollars dans son système financier, l’Etat américain devient ainsi le plus important actionnaire de ses banques nationales. Nationalisations en masse dans le pays symbole par excellence du capitalisme, ce climax de la crise du crédit est un de ces moments rares - à l’instar du 11-Septembre - où l’on se rend compte que le monde que nous connaissions bascule et que plus rien ne sera comme avant !

La Maison-Blanche, qui s’était pourtant farouchement opposée pendant quelques semaines à cette nationalisation de facto, a fini par céder au vu de l’affolement de la bourse. De surcroît, la caution consentie par l’Union européenne, sous l’impulsion de Gordon Brown, à son propre système bancaire annonçait des mouvements de capitaux conséquents - et potentiellement dévastateurs pour Wall Street - depuis les banques américaines en direction d’établissements européens disposant à présent de la garantie de l’Etat ! 

Présentée - avec raison - comme étape essentielle dans la réanimation d’un environnement bancaire tétanisé par la frousse de prêter, cette mise sous tutelle fera bénéficier les banques de liquidités à bas prix qui les motiveront à engager de nouveaux crédits en faveur des intervenants de l’économie réelle, à savoir les PME, les propriétaires de maisons ainsi que les consommateurs... Cette mesure n’était pas la bonne mesure, c’était la seule mesure à prendre susceptible de relancer un crédit absolument vital pour éviter de sombrer dans la dépression.

Ce qui avait ainsi commencé par une correction des marchés avant d’être qualifié de cycle de baisse se transforme donc à présent en krach. Impossible de conserver ne serait-ce qu’un semblant d’optimisme pour l’économie dite réelle alors que la dégringolade quotidienne des marchés boursiers anticipe une récession généralisée, récession annoncée également du reste par la liquéfaction des marchés du crédit, de l’immobilier et des matières premières...

Après avoir laissé - du fait de leur négligence ou de leur idéologie - la crise bancaire se dégrader nettement au-delà du seuil de tolérance, les autorités politiques et monétaires semblent à présent en bonne voie de maîtriser crise même s’il faudra vraisemblablement encore puiser dans les réserves du contribuable. Bienvenue à présent dans l’autre urgence, celle de l’économie réelle.

La récession étant indéniable, un espoir est néanmoins permis : éviter une dépression similaire aux années 30 et une déflation à la japonaise comme dans les années 90. Effectivement, en dépit d’un pouvoir d’achat qui évolue de façon inversement proportionnelle au chômage, la situation en Europe et aux Etats-Unis n’est pas encore désespérée et nos gouvernants - qui sont attendus au tournant - devront donc relever un défi majeur, celui de ne pas faire sombrer nos économies dans le marasme. 

La réduction généralisée - largement anticipée - des taux d’intérêts n’y fera rien : qui serait tenté en effet de s’endetter aujourd’hui - même à taux zéro ! - pour investir et dépenser s’il prévoit des prix plus bas demain ? L’assouplissement de la politique monétaire n’est donc pas un remède contre la spirale déflationniste ! De surcroît, notre contexte actuel ne se caractérise pas tant par le coût du crédit que par sa raréfaction ! Enfin, les décisions de politique monétaire déroulent leurs effets sur une période d’une année voire plus lorsque ce sont les marchés qui déterminent le niveau réel des taux d’intérêts comme c’est le cas aujourd’hui et le fait est que nous ne pouvons plus nous payer le luxe d’attendre...

Comment les mécanismes des pertes enregistrées sur les marchés financiers se transmettent-ils sur l’économie réelle ? Selon des schémas basiques, voire primaires car un spéculateur boursier malheureux, un investisseur sinistré par la faillite de Lehman, un dirigeant de PME paralysée par la raréfaction du crédit ou un citoyen lambda choqué par la dévalorisation brutale de son contrat d’assurance-vie ou de son fonds de pension est un consommateur qui dépense moins et qui se rassure en tentant d’épargner plus. Conjuguées à du crédit au compte-goutte, une baisse de la consommation et une augmentation de l’épargne se traduiront fatalement par une accélération du chômage qui, à son tour, influencera négativement la consommation induisant ainsi un processus très difficile à endiguer...

En dépit de leurs déficits budgétaires, nos gouvernements devront donc ressortir la panoplie keynésienne et les bonnes vieilles stratégies inflationnistes de leurs placards si leur souci est d’éviter la catastrophe économique. Les pouvoirs publics devront investir dans les divers secteurs de l’économie, du bâtiment à l’industrie et aux travaux publics tout en mettant en place une politique de réduction d’impôts généralisée... On se préoccupera plus tard des coûts de ces relances keynésiennes car le prix de l’inaction - ou d’une mauvaise stratégie - en seraient à coup sûr autrement plus graves. Notre monde est sens dessus-dessous : l’action passe avant la réflexion.


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