L’impôt est-il immoral ?

par Christophe Arvis
mardi 5 juin 2007

Les réformes proposées par le candidat Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle et en préparation par le gouvernement de François Fillon obligent à revenir sur la légitimité, notamment morale, de l’impôt.

Les gouvernements successifs influencés par une certaine conception du libéralisme ont engagé des réformes fiscales touchant à deux piliers de la fiscalité redistributrice que sont l’impôt progressif sur le revenu et l’impôt sur les successions.

Un des arguments avancés par les théoriciens néolibéraux est d’abord un argument d’efficacité : " Trop d’impôt tue l’impôt " selon le célèbre adage. Il découle de la fameuse courbe de Laffer selon laquelle plus vous augmentez la pression fiscale, plus vous découragez les capitalistes de créer des richesses, et moins vous aurez de recettes fiscales. L’effet est donc contre-productif puisque en tuant la poule vous tuez les œufs d’or dans la même logique. La validation empirique de la courbe de Laffer reste encore très discutée parmi les économistes et l’on pourra trouver des exemples confirmant ou infirmant cette thèse.

Mais surtout ici il importe peu les visées égalitaristes recherchées par un mécanisme redistributif. Pour le maître de l’école libérale autrichienne Ludwig von Mises, " il est sans importance que l’objectif des impôts sur les successions et de l’impôt sur le revenu soit comme on le prétend le motif social d’égalisation de la richesse et des revenus, ou que le motif primordial soit de lever des ressources pour l’Etat. Seul compte l’effet résultant ". On ne peut être plus clair.

Au-delà de cette question d’efficacité économique de ce raisonnement, attardons-nous sur sa légitimité morale. Pour cela il convient de se replonger dans les écrits des grands auteurs libéraux et de relire leurs analyses sur le fondement de l’impôt, et plus précisément sur la progressivité de l’impôt.
Pour le célèbre économiste et Prix Nobel d’économie, Friedrich Hayek , la progressivité de l’impôt " n’est rien d’autres qu’une invitation à la discrimination". Pour Ludwig von Mises encore " l’impôt progressif est un mode exagéré d’expropriation ". Enfin John Stuart Mill considère qu’il s’agit là même d’" une forme adoucie du vol ".

La question morale de l’impôt est même hors de propos en économie pour von Mises : " la Science économique ne s’intéresse pas aux doctrines métaphysiques illégitimes que l’on avance à l’appui de l’impôt progressif, mais à ses répercutions sur le fonctionnement de l’économie de marché ". La morale n’a donc rien à voir avec l’économie, seule compte l’efficacité.
L’impôt progressif pour tous ces auteurs est jugé " immoral " selon leurs propres critères, et est perçu comme un degré supplémentaire dans le vol puisqu’il prélève plus que proportionnellement les revenus.

De plus, selon eux, l’idée de redistribuer les richesses n’a pas de sens, car du fait de la théorie subjective de la valeur, l’utilité marginale d’un bien supplémentaire pour un pauvre n’est pas supérieure à celle d’un riche. Dit en des termes plus explicites, donner 10 € de plus à un SDF ne lui offre pas une satisfaction supérieure que de donner ces mêmes 10 € à Bill Gates. On sent bien les limites de ce genre de raisonnement. Si tout est subjectif en économie, alors il ne sert à rien de redistribuer les richesses et l’intervention de l’Etat est illégitime. La non-intervention absolue de l’Etat défendue par les plus libéraux ne repose pas simplement sur une question d’efficacité entre l’Etat et le marché, mais sur l’idée de la subjectivité de la valeur qui rend l’interventionnisme étatique inutile et discriminatoire.

Or, réintroduire de l’éthique en économie suppose que, sans nier les aspects subjectifs des actions individuelles, nous réintroduisions des critères objectifs au nom des valeurs humaines fondamentales.

Quel est le fondement moral de l’impôt ?

La réussite future d’un enfant dépend bien sûr en partie de son travail et de ses facultés intellectuelles, mais elle dépend aussi pour beaucoup de l’environnement social, familial et culturel dans lequel il grandit. Dans la grande loterie de la vie, certains naissent dans des familles aisées, cultivées et dont les parents possèdent un réseau relationnel important. D’autres au contraire naissent dans des familles bien plus modestes avec des atouts au départ bien moindres. Refuser une forme de redistribution, sous la forme de la progressivité de l’impôt ou de l’existence de droits de successions, c’est accepter tel quel cet aléa originel de l’inégalité de naissance parmi les hommes, c’est l’accepter comme un fait de nature qu’il ne revient pas aux hommes de modifier.

Il en est de même pour l’impôt sur les successions. Certains voient dans cet "impôt de la mort" quelque chose de fondamentalement choquant et d’inique. D’autres, comme von Mises, y voient un obstacle au processus d’accumulation du capital nécessaire dans une économie capitaliste. Or une chose est de considérer et de favoriser ceux qui entreprennent et créent de la richesse. Une autre est de croire que cette situation serait héréditaire et qu’il existerait un gêne de l’entreprenariat qui se transmettrait de génération en génération et qui légitimerait ainsi l’accumulation d’un capital dans les seules mains d’une même lignée. Il est à noter que les deux plus grands opposants à la réforme envisagée par le président George W. Bush sur l’impôt sur les successions il y a quelques années, furent Bill Gates et Warren Buffet, les deux plus grandes fortunes aux Etats-Unis, au nom du refus d’une société de rentiers contraire, selon eux, à une société d’entrepreneurs.

L’impôt est une construction humaine, au nom d’une morale qui ne s’appuie pas seulement sur le seul fait du Droit naturel, mais d’une morale qui ne nourrit d’un constat entre un état de nature jugé insatisfaisant et de ce que nous souhaitons pour l’Homme selon une conception élevée que nous nous faisons de l’être humain.

Références :
Ludwig von Mises, L’Action humaine (1985).
Friedrich Hayek, La Constitution de la liberté, (1994)


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