L’inflation, un choc plus psychologique qu’économique

par Bernard Dugué
jeudi 17 avril 2008

L’inflation fait la une des journaux. Au JT de 20 heures, le prix des pâtes et de l’essence a été jugé plus important que la victoire de la droite en Italie. Faut-il s’inquiéter de l’augmentation des prix ? Tout dépend du rythme, mais, pour l’instant, c’est surtout la presse et les commentateurs qui font de cette tendance à la hausse un problème de société qui pour certains, représente un drame. Pourtant, si on examine les chiffres, il n’y a pas de quoi s’affoler, la France ne va pas se retrouver comme sous l’Occupation. Il ne faut pas exagérer. 3,8 % d’inflation sur un an. C’est disons, entre 1 et 1,5 de trop. Et c’est ce chiffre qui est significatif, représentant une perte de pouvoir d’achat réelle (et, encore, les revenus vont s’aligner pour certains). L’épargne populaire n’est pas encore en danger. Le livret A rapporte 3,5 points et le LEP 4,25. Nous ne sommes pas revenus en 1983, quand l’inflation avait deux chiffres.

Le drame de l’inflation, il est pour l’instant dans la tête. 1 à 2 points de pouvoir d’achat, ça se récupère sans se priver, il suffit d’être vigilant. C’est bien la presse qui construit la représentation sociale et économique. Cette inflation est perçue comme insupportable parce qu’elle est vécue collectivement. Mais lorsque de vrais problèmes ne touchent que quelques ménages, l’opinion s’en moque parce qu’elle ne le vit pas collectivement, comme un seul peuple de 60 millions d’âmes. Chaque mois, des milliers d’individus sont licenciés. Pour ces gens, la perte de pouvoir d’achat se compte en dizaines de points. Dans ces cas-là, il faut réellement se serrer la ceinture. L’opinion s’en moque ; la majorité n’est pas touchée. Mais quand c’est un ou deux points pour chacun, alors, quelle affaire d’Etat !

Prenons le salaire moyen, 1 900 euros net. Pour compenser une perte de pouvoir d’achat de 1,5 points, il faut économiser environ 30 euros par mois. Rouler un peu moins, faire quelques impasses au choix, une sortie resto, quelques places de cinés, un gigot d’agneau, une boîte de chocolats fins, changer d’abonnement pour son portable, ne pas craquer sur un vêtement qu’on ne mettra même pas si ça se trouve ; baisser d’un demi-degré la température intérieure ; et, pour les vacances, est-ce nécessaire de bouffer à toute heure et d’occuper une terrasse de café pour s’y croire ? Bref, ce ne sont pas les solutions qui manquent. Après la phase dite du consumérisme hédoniste où on ne regardait pas trop les prix, on doit s’attendre à voir apparaître un consumérisme résilient. Une sorte de rigueur budgétaire appliquée à soi-même et dont on voit les effets sur sa comptabilité, alors qu’on maîtrise les économies. Le mélomane fera l’impasse sur le rosbif à 20 euros le kilo, alors que le gourmet se privera de quelques places de cinés et d’une paire de pompes dont il n’a pas besoin. La consommation résiliente n’a rien d’un drame. Elle traduit la souplesse adaptative et intelligente, pensée, qu’on peut opposer aux tensions inflationnistes. Et ne pas voir dans cette augmentation des prix un effet de Satan. (J’ai sorti les précaires de ce raisonnement. Car, pour eux, inflation ou pas, leur situation est scandaleuse. Et c’est un autre débat.)

Nos modes de consommation devront changer profondément d’ici vingt ou trente ans. La cause, le pétrole et le progrès planétaire. Le confort thermique et mobile (transport) ne sera plus assuré. Se (sur)chauffer et se déplacer sera un luxe. Par contre, un confort de vie sédentaire pourra être assuré avec l’électricité qui, produite par des dispositifs spécifiques, continuera à alimenter les appareils électroménagers, les ampoules électriques et les dispositifs audiovisuels. Il faut se préparer à s’adapter à un autre mode de vie et prendre conscience que les ressources naturelles étant limitées, il faudra ajuster nos existences à ces ressources et jouer pour l’essentiel sur ce qui est renouvelable.

Comment interpréter cette inflation ? Elle passera difficilement dans l’opinion, surtout si son origine est principalement spéculative (ce dont je doute, mais, bon, on ne sait pas encore...) Mais il faut se rendre à l’évidence. Ce monde idyllique à l’inflation presque nulle, protégeant les épargnants et les consommateurs, est sans doute révolu. Il faut vraiment se croire sur une île protégée (une bulle fabriquée dirait Sloterdijk) pour imaginer que l’économie est stable et qu’un monde est installé définitivement. L’inflation est due à la mondialisation et à l’entrée dans le standing matériel, chaque année, de dizaines de millions d’individus sur la planète. Ils sont indiens et chinois pour une bonne part ; le reste, des hommes et des femmes de tous les continents. Comment leur refuser le droit de vivre comme les citoyens des pays membres de l’OCDE (nous, en France, en Europe, au Japon, au Etats-Unis) organisation que du reste ils vont rejoindre. La tension inflationniste sur les matières alimentaires et minières vient de ce processus. Un phénomène auquel l’opinion n’a pas été préparée et qui pourtant était prévisible. C’est comme le choc pétrolier de 1974. A la différence près que l’ampleur sera tout autre et que les ressorts sont plus économiques que politiques. Quand une ressource se raréfie, elle se vend au plus offrant. C’est la loi du marché international. Ensuite, c’est à chaque pays qu’il incombe d’établir des mécanismes de rééquilibrage pour réduire les inégalités sociales (à noter l’avantage des pays ayant des ressources, ce qu’ont bien pigé Poutine et Chavez). Sachant bien entendu que des besoins méritent d’être protégés des effets du marché. Que de débats politiques en vue.

Au café du commerce, le bal des faux-culs sera de mise. Combien pour pleurer sur les augmentations de l’essence, du pain, des pâtes ? Mais les mêmes, s’ils ont un bout de terrain, en héritage, ou acheté un certain prix, ne rechigneront pas à le vendre trois fois plus cher parce qu’il y a pénurie. Ils sont du bon côté, celui de l’offre, fiers et contents d’être au centre des enchères et puis en colère quand l’Etat leur prend une part de plus-value qui leur laisse quand même une tranche de gâteau assez conséquente, des euros par dizaines de milliers. Par contre, quand l’essence augmente parce que les pétroliers jouent aussi sur la rareté et que les Chinois veulent rouler en automobile, ils trouvent cela terriblement injuste et râlent. Comme aurait dit Desproges, pour ces gens-là, un monde injuste est un monde qui ne se plie pas à leurs désirs.


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