L’innovation et le mirage de la recherche

par Didier Toussaint
lundi 5 juin 2006

L’innovation est un enjeu majeur pour l’avenir du pays. Les programmes politiques en gestation pour les prochaines élections présidentielles ne se privent pas de le rappeler. Mais la confusion entre la recherche et l’innovation a la vie dure. Il faut la dissiper.

L’innovation est une nécessité. L’ébauche de programme émise par le PS préconise une fois de plus d’investir dans la recherche. L’intention est louable mais les résultats sont aléatoires : de la recherche à l’innovation, le chemin est plus difficile qu’il n’y paraît. Trois exemples récents le prouvent.

La vague de folie d’il y a quelques années autour de la « nouvelle économie » est née d’une révolution technologique. Une nouvelle capacité offerte au grand public, sous forme de réseau Internet et de communications mobiles, a été en avance sur ses applications pratiques. Dans un bouillonnement relayé par les investisseurs, les start-up n’étaient pas en manque de créativité. Très peu ont survécu ; elles n’étaient que des idées. Trop en avance sur son temps, la technique a sondé les imaginations pour y trouver des applications possibles, mais manifestement pas favorables. Les faits ont parlé : en fécondant la nouvelle technologie, l’idée seule n’a pas fait l’offre, parce qu’elle ignorait la demande.

Deuxième exemple : en 1982, maîtrisant la technologie du téléphone cellulaire, les dirigeants du suédois Ericsson se posaient la question du modèle économique à lui donner. En 1990, ils avaient une certitude : le groupe industriel devait s’initier à la logique des produits grand public. Un peu plus de dix ans après enfin, Ericsson tournait la page du mobile. En confiant l’activité à une filiale commune avec Sony, le champion des télécommunications reconnaissait son échec devant le défi qu’il s’était donné. La technique était maîtrisée, les moyens étaient puissants, et la demande était réelle. Mais le marché a préféré les terminaux du concurrent Nokia, comme quoi la demande ne se réduit pas à un besoin : c’est aussi et surtout du désir.

Le troisième exemple, d’une actualité brûlante, est celui du téléchargement gratuit de la musique sur Internet. Contrairement aux deux premiers exemples, la technologie fonctionne et l’application est plébiscitée par un vaste public dont le désir est comblé. En l’occurrence, le chaînon manquant est tout simplement la souplesse institutionnelle permettant aux majors du disque de se convertir dans l’urgence imposée par la technique. Formidable exemple dans lequel la technique, son application et le désir du public ont été premiers ; l’offre et la demande se sont reconnues dans un violent choc amoureux en marge des institutions marchandes, qui ont été prises de court. L’activité a existé avant d’être imaginée, une grande leçon d’humilité pour les concepteurs de stratégie et visionnaires professionnels en tous genres. L’innovation participe du spontané ; elle est une production de la réalité dont les fondements ne se réduisent pas aux processus des entreprises.

Start-up et grandes entreprises sont sujettes à la production d’un délire, les unes par excès d’imagination, les autres par excès d’institutionnalisation. Contrairement aux idées reçues, l’innovation est issue du monde des faits. Innover, c’est tester la réalité, et non pas l’imaginer. Tous les entrepreneurs ont cette qualité qui consiste à n’adhérer qu’au réel. S’ils croient en leur projet, c’est parce qu’ils croient à la réalité dont ils l’extraient.

Ces exemples ne sont pas pris au hasard. Ils montrent que l’innovation n’est pas un prédicat de la recherche scientifique. Elle est d’abord une étincelle du désir qui soude instantanément l’offre et la demande des acteurs. Il est aussi important de méditer cette leçon tirée des faits que de stimuler la recherche scientifique.


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