L’insertion par l’activité économique, une machine à exclure

par Rage
lundi 6 novembre 2006

Les gouvernements successifs ont fait de l’emploi leur cheval de bataille. A droite comme à gauche, face à l’ampleur du chômage en France, pour contrer la vague, l’Etat a créé des dispositifs comme lui seul sait en créer. Face à un postulat assez simple consistant à répondre à la question : « Comment réinsérer des publics en difficulté ? », la puissance publique a mis en place de véritables arsenaux de complexité dont les seuls bénéficiaires sont en réalité ceux qui en discutent et ceux qui vivent aux crochets des subventions. Plus qu’une usine à gaz, un gouffre par excellence.

Face à un chômage fort, les gouvernements qui se sont succédé depuis vingt-cinq ans n’ont jamais trouvé la recette miracle (cf. F.Mitterand : « Contre le chômage on a tout essayé. ») Alors que les problèmes du pays résident essentiellement dans la stagnation de la création d’emploi, la faiblesse des formations professionnalisantes, la complexité pour faire vivre une entreprise et l’absence d’entreprise moyenne de 500 à 1000 salariés, l’Etat a toujours confondu politique d’emploi et politique du travail.

Des contrats CPE ou CNE en passant par les dispositifs Borloo qui se succèdent et parfois chevauchent les dispositifs Aubry de la gauche plurielle, la pire des cases revient toujours à ceux qui sont les plus marginalisés du système, car déconnectés de celui-ci à tous les points de vue et surtout « prétextes » pour toutes les justifications nauséabondes...

Afin de réinsérer ces publics « hors champs », l’Etat a mis en place une idée formidable consistant à réinsérer a priori par le travail via l’insertion par l’activité économique (IA). Voyons la bête.

L’idée centrale de l’insertion par l’activité économique est d’aider les exclus, c’est-à-dire les chômeurs ayant des difficultés particulières à trouver du travail, à revenir sur le marché de l’emploi à travers des organismes qui seront conventionnés et subventionnés par l’Etat, les collectivités locales et le Fonds social européen.

La loi définit a minima trois types de structures :

- L’association intermédiaire (AI) qui place de la main-d’œuvre à titre onéreux (peintre, plombier, employée de maison...) payée par l’utilisateur et reverse une partie sous forme de salaire.
- L’entreprise d’insertion (EI) qui emploie ces exclus pour effectuer des travaux ou services commercialisés ou non (contrats Borloo), par exemple la récupération des déchets ou les services aux
usagers en parapublic.

- Enfin, l’entreprise d’intérim d’insertion (ETTI) fournit du personnel temporaire comme les entreprises d’intérim du secteur marchand (Adecco) en utilisant seulement du personnel en difficulté.

Ces trois types de structures (AI, EI et ETTI) doivent, pour opérer, bénéficier d’un conventionnement avec le préfet, après l’avis d’un conseil départemental de l’insertion par l’activité économique où siégent une trentaine de représentants regroupés dans cinq collèges de cinq membres chacun. Autant faire clair : « L’administration met en place sa spécialité, une concertation large mêlant un peu tout le monde et aucun responsable pour discuter des problèmes et se donner bonne conscience. »

L’Etat est représenté par le directeur départemental du travail, de l’emploi, et de la formation professionnelle, du directeur départemental des affaires sanitaires et sociales et du trésorier payeur général, plus deux directeurs de services déconcentrés en fonction de la situation spécifique dans le département. Les collectivités locales sont représentées par les membres du conseil général, membres du conseil régional et trois conseillers municipaux des communes du département, les organisations professionnelles désignées par le Medef, la CGPME, la FNSEA, l’UPA et l’UNAPL. Les organisations syndicales sont désignées par la CGT, la CFDT, la CFTC, la CGT-FO, la CFE-CGE. Le dernier collège représente les personnes qualifiées en raison de leur expérience dans le domaine de l’insertion sociale et professionnelle.

L’ensemble de ces personnes, souvent affectées à temps plein pour ce sujet, constituent des groupes de travail chargés de « mettre en œuvre » les dispositifs d’aide à l’insertion par l’activité économique, et plus largement de distribuer les subventions.

Les structures d’insertion en question (AI, EI et ETTI) sont subventionnées de trois manières :
- elles perçoivent des subventions pour le personnel d’encadrement (9000 € poste pour les AI, 18 000 € pour les ETTI - soit environ 1 smic plein à l’année quand même-)

- des subventions pour le personnel placé (pour les AI, subventions variables en provenance d’une foule de services de l’étatique car tout le monde s’y met, le ministère de la justice, le secrétariat d’Etat à la ville, les départements, au titre du RMI ou autres

- 9000 € pour les EI par poste équivalent temps plein

- des exonérations partielles ou totales des charges patronales

Les versements de subventions sont faits par la CNASEA, un autre organisme étatique qui subventionne aussi les agriculteurs, l’ANPE agissant seulement comme ordonnateur qui approuve la subvention des AI, l’EI ou l’ETTE comme l’opérateur bénéficiaire.

Le simple fait d’énoncer le fonctionnement donne le tournis, et encore c’est une version simplifiée car les dispositifs Borloo sont encore plus complexes !

En quelques lignes, voilà qu’un problème a priori simple -trouver du boulot peu qualifié pour des personnes peu qualifiées et le pérenniser- devient une gigantesque usine à gaz où l’on peut dénombrer d’ores et déjà une dizaine de partenaires et des financements tout aussi multiples qu’impossibles à suivre.

Si seulement les actions mises en œuvre profitaient au public ciblé...

Du fait du système à cases, à savoir un système où on ne considère par l’individu comme étant un chercheur d’emploi, mais plus comme un numéro de clientèle à caser dans un dispositif « vous vous avez une bonne tête de CAE », on ne s’occupe plus de réfléchir à comment créer des emplois, mais plutôt à comment cacher tous ces demandeurs sous des statuts qui les feront disparaître le temps des exercices statistiques (une bonne année).

Il va sans dire que les dispositifs Borloo et autres contrats Villepin (aidés aux aussi) ne font qu’accentuer ce lissage statistique de la non-action gouvernementale, le tout à grand frais... détournés.

Fabienne Brutus évoquait déjà dans son livre le contestable comptage des chiffres du chômage par l’éviction d’environ 40% des statistiques par l’effet de catégories, soit 1,2 million de personne. A ce chiffe on peut aisément ajouter les stagiaires (300 000) et enfin tous ceux qui errent dans des dispositifs qui ne font que nourrir ceux qui les dispensent. On peut évaluer le nombre de ces personnes à environ 500 000, ainsi qu’ajouter quelques centaines de milliers de personnes « hors compte » (retraite anticipée, dispense de présentation à l’ANPE...) et les actifs inactifs (congés parentaux, mise à disposition, etc.).

En somme, un chômage réel avoisinant les 18-20% avec dans ces statistiques des publics très marginalisés car sans compétence ni formation. Des candidats idéals pour des cases qui n’attendent qu’eux, et des organismes prêts à tout pour les accueillir, ou plutôt pour accueillir les subventions auxquelles ils donnent droit.

Les résultats de cette usine à misère sont assez extraordinaires.

En effet, les seuls bénéficiaires sont les organismes d’insertion où s’est développée une véritable « industrie » de l’exploitation des subventions publiques, et où les plus malins combinent, sous prétexte de charité, l’assassinat durable des finances publiques.
L’exploitation de permanents bénéficiant d’autres subventions (comme les ex-CES) et des subventions de toute provenance : Etat, collectivités locales, CEE.

L’autre bénéficiaire est l’ANPE qui inscrit les contrats de mise à disposition et bâtit ainsi des chiffres mirifiques qui feront chaud au cœur de préfets hors du coup sur des placements de quelques heures.

Absents des résultats bien évidemment, les coûts du programme que même la DARES se garde bien de chiffrer, étant donné la complexité de cette usine à gaz qui doit avoisiner trois milliards d’euros en 2006. Absents des résultats aussi, le taux de personnes insérées durablement, ainsi que le retour sur investissement. Absent aussi le coût équivalent temps plein des personnels, élus et syndicalistes qui « organisent » cette machine à produire du rien. Parfois ces personnels sont pleins de volonté, mais que peuvent-ils faire dilués dans la masse et sous autant d’autorités et de contre-pouvoirs ?

Les services s’essayant à travailler avec les organismes de formation et d’insertion, à distiller les enveloppes sans pour autant agir à l’essentiel : stimuler l’activité pour créer du travail, donc des emplois. Au lieu de cela l’Etat ne cesse d’envahir l’espace de travail du secteur privé et se plaint que celui-ci n’embauche pas. Parallèlement le privé paye des impôts d’une main - quand il en paye- pour récupérer d’une autre main ce que l’Etat veut bien lui verser. Où est la plus-value ?

Ne gaspille-t-on pas l’énergie du pays à vouloir intervenir en cherchant à tout contrôler sans se soucier de l’essentiel : la vie des individus ? Car en l’occurrence, octroyer la capacité pour les plus démunis de créer une entreprise, est bien plus souvent le prétexte pour créer une « agence d’insertion » présidée par un refoulé du suffrage universel que pour aider ceux que l’on parque dans des cités minérales bien excentrées des centres de vie.

Pourtant le secteur privé a bien plus de compétences en matière d’insertion dans le marché de l’emploi que ce nouveau réseau parallèle ; encore faudrait-il lui laisser les capacités de se développer tout en contrôlant les salaires des cadres de direction.

La nation aurait tout à gagner en orientant ne serait-ce que le tiers de ces subventions aux PME ou aux salariés par exemple, en réduction de CSG-CRDS sur la feuille de paie, ou même encore en aide technique, juridique et financière voire à l’apprentissage. L’Etat pourrait par ailleurs contrôler ses aides et mieux les affecter (à l’université, par exemple...) tout en réduisant des effectifs pléthoriques (élus comme administratifs) coûteux. Tout le monde pourrait y trouver son compte.

Au lieu de cela, l’Etat a créé une nébuleuse de structures, biberonnées de subventions, et de commissions, soutenu par une armée de bureaucrates qui vit désormais du turbinage des exclus.

Et, comme d’habitude, pour tous ces organismes, sans contrôle de performances, LOLF ou pas. Le pire étant finalement que le même « copier-coller » d’article pourrait parfaitement s’appliquer à la formation professionnelle (magma des formations pour les connaisseurs), à la VAE (succursales des ressources syndicales), à la politique du logement (machine à ségrégation), etc.

A quand des dispositifs simples pour des actions concrètes sur des problèmes de fond clairement identifiés et ciblés comme étant à la source des inégalités de notre système ? Aujourd’hui le « modèle social » français est une usine à générer des inégalités, tout simplement parce que derrière des prétextes il octroie emplois, salaires et pouvoirs à certains « informés » au détriment d’une immense majorité « non informée ».

Le malheur des uns fait le bonheur des autres, paraît-il... Jusqu’à quand, et dans quelles proportions ?


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