L’OMC, ou la grande comédie

par David Carayol
jeudi 4 mai 2006

Devinette. Quel est le point commun entre le montant total à gagner de la libéralisation totale du commerce agricole, le montant total des subventions agricoles des pays du Nord et le montant total de la dette des pays africains ? Réponse. Le montant total : 300 milliards de $ !!

Enfin pour être plus précis, ce sont 360 milliards de $ de subventions agricoles, mais on n’en est plus à quelques dizaines de milliards près...
Et alors ? diront les néophytes...
Eh bien les accords de libre échange qui sont conclus à l’OMC entre les 149 pays membres sur quatre volets, l’agriculture, les marchandises non agricoles, les biens industriels et les services, ont pour objectif de favoriser le libre échange en supprimant tout ce qui pourrait entraver le commerce, à savoir :
- les barrières tarifaires et non tarifaires
- les subventions aux exportations
- les aides internes

Pourquoi le libre échange ?
Pour favoriser la croissance mondiale, à la fois celle des pays riches et, surtout, celle des pays pauvres. La croissance du commerce mondial favorisera ainsi la richesse de chaque pays, qui, par le jeu des vases communicants, se répercutera sur toute la population.
Et voilà comment le niveau de vie de toutes les populations mondiales s’élèvera, dans un cercle vertueux où chacun gagnera...

C’est beau, n’est ce pas ?

Mais alors, pourquoi la réunion du 30 avril à l’OMC vient-elle d’être annulée quelques jours seulement avant le début de la suite des négociations ?
Pourquoi les négociations entre pays riches et pays en voie de développement (PVD) apparaissent-elles de plus en plus inexorablement bloquées ?
Pourquoi tant de haine, enfin, de la part des mouvements altermondialistes et autres sociétés civiles (ONG, syndicats...) envers ces négociations ?


Les pays membres n’ont-ils pas eux-mêmes agréé, d’un commun accord, la déclaration d’ouverture du Cycle de Doha en 2001 : « Le commerce international peut jouer un rôle majeur dans la promotion du développement économique et la réduction de la pauvreté » et « Nous visons à mettre leurs besoins et leurs intérêts (aux PVD) au centre du programme de travail adopté dans la présente déclaration ».

Une libéralisation néfaste au plus grand nombre
Le fait est que bien que la libéralisation du commerce mondial soit censée réduire la pauvreté et enrichir le plus grand nombre, elle a pour l’instant exactement l’effet inverse, à savoir :
- Augmentation du nombre de pauvres (+18 millions de pauvres entre 1995 et 2001[1]) à 852 millions en 2002.
- Dépendance accrue des petits producteurs et des exploitations familiales.
La « théorie libérale » de la globalisation prône la notion d’avantage comparatif d’un pays à l’autre. Un pays bénéficiant de bonnes conditions pour la production sera donc fortement encouragé à se spécialiser dans la culture d’exportation la plus appropriée. Mais si les bénéfices sont au rendez-vous pour les quelques transnationales oligopolistiques[2] et les entreprises nationales transformatrices souvent liées aux élites de ces pays, il n’en est pas de même pour la majorité. Les rationalisations des cultures ont eu pour effet une baisse des prix de production, rémunérant d’autant moins les petits producteurs. Les surplus de production générés au niveau du marché mondial grâce aux cultures intensives ont eu pour effet de faire baisser de façon (dite) structurelle les cours des matières premières. Les petits producteurs incités à produire de la sorte en utilisant les intrants (engrais et pesticides) des multinationales se sont trouvés endettés, les coûts de production augmentant et les prix de vente ne cessant de baisser. Enfin, ces cultures d’exportation se sont faites au détriment des cultures vivrières (ou de subsistance) qui, jusqu’à il y a peu, étaient le lot de la majorité des 2,8 milliards d’agriculteurs, pour la plupart des pays du Sud. Ces paysans se retrouvent donc pour beaucoup dépendants d’une culture (et/ou d’une transnationale), endettés et sous alimentés.

Mais que le libre échange soit dur, le capitalisme l’est en soi, on entend bien dire que ce dernier est le moins mauvais des systèmes...

Pourquoi le cycle patine
Et les blocages du cycle de Doha ne proviennent pas de ces conséquences « fâcheuses », mais acceptées par les gouvernants des pays du Sud.
Les mécontentements concernent les subventions agricoles à l’exportation qui sont allouées par les pays riches à leurs agriculteurs. Ces subventions, illégales, ne représentent que 5 à 10% du total des subventions agricoles des pays du Nord. L’accord obtenu à l’arraché, lors de la dernière réunion ministérielle de l’OMC à Hong Kong, engage les pays riches à supprimer les subventions agricoles à l’exportation (uniquement) d’ici 2013, et ceci dès 2010.
Les modalités d’application devaient être étudiées lors de la rencontre du 30 avril...
Enfin, et heureusement pour nous, pays du Nord, le gros de nos subventions, illégales, liées à la politique agricole commune (PAC) en Europe par exemple, est préservé, lui... soit, pour l’Union européenne, plus de 40 milliards d’€ ou près de la moitié du budget de l’Union européenne.
Les Etats-Unis dépensent, eux, près de 100 milliards de $ pour leurs subventions agricoles...
Au total, ce sont 360 milliards de $ qui sont ainsi donnés par les Etats-Unis, l’UE, la Chine, le Pakistan, l’Inde ou la Turquie à leurs agriculteurs.

Alors, tant mieux pour nos agriculteurs, et surtout tant mieux pour les quelques grosses transnationales et intérêts liés.
Cela ne change rien pour nous autres consommateurs européens ou occidentaux, puisque les prix des produits transformés que nous payons restent les mêmes, ou suivent l’inflation... alors que les prix d’achat des matières premières ne cessent de baisser[3] ! Où va la différence ? Devinez, mais certainement pas dans les mains du plus grand nombre....
C’est également illégal, anti-libéral, profondément injuste pour des PVD qui n’ont aucun moyen de sanction envers les pays du Nord et sont obligés, eux, d’appliquer des règles qui, in fine, appauvrissent la majorité des habitants de ces pays !

Pour mémoire : libre échange = non intervention de l’Etat ; et l’OMC vise à favoriser le libre échange en vue d’une croissance mondiale générant de l’enrichissement pour tous.

Alors, nos pays du Nord, Etats-Unis en tête, seraient-ils opposés au libre échange ? Le libre échange serait-il un prétexte qui arrange bien nos dirigeants et les intérêts liés ? Quand cela ne concerne pas trop leurs pays ?
En tout état de cause et finalement, c’est à se demander à qui profitent le plus les difficultés actuelles que rencontre le cycle de négociations de Doha...

Enfin et pour finir... une devinette : si le libre échange ne bénéficie ni aux petits producteurs du Sud, ni à nos agriculteurs (dans la mesure où ils sont subventionnés pour pouvoir vivre), ni à nous autres, consommateurs, alors, à qui[4] ? Car la croissance a lieu, tout de même...

David Carayol (Paris)

[1] « L’état de l’insécurité dans le monde », Food and Agriculture Organisation, 2003, p6
[2] Des entreprises sont en situation d’oligopole lorsqu’elles sont une poignée à se partager un marché. Par exemple le marché mondial de la banane est dominé par 4 ou 5 grandes entreprises (ou transnationales).
[3] Une des plus fortes baisses concerne le café, qui a perdu 70% entre le début des années 1990 et 2002.
[4] Et cet éditorial ne traite que du volet agricole...


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