L’opportun rapport sur l’évasion fiscale internationale (Partie 1 : Les visages de l’évasion fiscale !)

par Kiergaard
samedi 11 août 2012

Seconde article relatif à ce rapport sur l'évasion des capitaux hors de France et ses incidences fiscales

Le 1er est disponible ici.

Cette évasion prend classiquement la forme de la fraude mais également de l'usage abusif du non légiféré qui favorise cette évasion. Le tout prend place dans un cadre « à géométrie variable » fondée sur la culture de la liste des différents paradis fiscaux dont le rapport souligne qu'elle se vide de son sens ces dernières années.

I- On passe ainsi de la fraude fiscale à un usage abusif des failles législatives. Si la caractérisation d'une fraude constitue la sanction du mensonge, l'évasion en tant que telle est plus constitutive d'une manipulation.

Le non respect volontaire d'une obligation fiscale constitue une fraude, mais il n'y a pas de définition légale, seulement un périmètre constitué par un recensement légal des différentes situations constitutives de fraude concernant les particuliers et les entreprises.

 

- La fraude fiscale des particuliers constitue le lieu commun de l'évasion dans l'imaginaire collectif.
Dans le régime déclaratif qui fonde le système français, il est tentant de ne pas souscrire à ses obligations déclaratives, il faut néanmoins distinguer l'absence de souscriptions, des déclarations incomplètes et erronées qui conduisent à des pénalités différentes selon l'intention du contribuable. On distingue le manquement délibéré, consistant à éluder volontairement l'obligation fiscale, des manœuvres frauduleuses qui supposent une démarche volontaire de dissimulation de la base imposable. La dissimulation constitue une infraction pénale visée par le délit général de fraude fiscale, mais aussi par une multiplicité de délits spéciaux de fraude fiscale (omission volontaire de déclaration dans les délais, dissimulation volontaire, organisation d'insolvabilité, obstruction au recouvrement...). Il y a toujours un élément intentionnel dont l'administration doit apporter la preuve. Un décret de 2009 fixe des critères guidant les professionnelles devant déclarer des soupçons concernant le blanchiment, ces critères devant les amener à remplir cette obligation sont l'utilisation de sociétés écran, la réalisation d'opérations financières avec des sociétés effectuant de nombreux changements statutaires, le recours à l'interposition de personnes physiques, la réalisation d'opérations financières incohérentes, la progression inexpliquée des sommes créditées sur des comptes peu actifs, la constatation d'anomalie dans les factures ou les bons de commande, le recours à des « comptes de passage », le retrait fréquent d'espèce d'un compte professionnel, les montages juridiques complexes faisant obstacles à l'identification effective du titulaire d'un fond, les opérations financières sans cause juridique ou économique apparente, le refus de produire des pièces justificatives, le transferts de fonds vers un pays étranger et son rapatriement sous forme de prêts, l'organisation de l'insolvabilité via la vente rapide d'actifs, l'utilisation régulière de comptes détenus par des sociétés étrangères, le dépôt de fonds sans rapport avec l'activité ou la situation patrimoniale, la réalisation d'une transaction immobilière à un prix manifestement sous évalué. Cela permet de cerner les multiples visages de la fraude fiscale. Il semblerait que celle ci corresponde au fait d'échapper à l'impôt par une violation intentionnelle des textes applicables, malheureusement du fait de la localisation d'actifs à l'étranger, le contrôle de l'administration est d'autant plus compliqué.

La dissimulation d'actifs à l'étranger constitue la nouvelle frontière de la fraude, frontières que les fraudeurs souhaites contourner et non plus franchir. Localiser des actifs dans une autre juridiction impose d'obtenir la coopération de l'administration de l'État d'accueil. Il faut souligner que ce n'est plus tellement une question de fuite des capitaux hors de France, mais une question d'actifs qui ne transitent plus en France. Après avoir évoqué l'affaire de la liste HSBC dont l'examen actuel a permis de faire émerger près de 700 millions d'euros d'actifs dissimulés (sur une petite partie du dossier) pour le volet français. Le volet britannique fait émerger près de 15 milliards d'euros d'actifs dissimulé. Au final la non déclaration de comptes bancaires et la conclusion de contrats d'assurance vie auprès d'organismes établis hors de France constituent un support majeur de la dissimulation d'actifs et de capitaux, mais sans en épuiser la multiplicité comme le montre l'exemple méconnu en France du trust, qui constitue une relation de nature différente que celle d'un compte bancaire. Cette relation se fonde sur une triple relation de confiance entre un constituant un administrateur et un bénéficiaire pour placer des biens dans un but déterminé. Cet instrument d'une très grande souplesse vise à répondre majoritairement à des problématiques de gestion du patrimoine ou de sécurisation juridique de fonds affectés à une opération donnée. Il faut signaler que le dispositif n'a pas été transposé en droit français du fait de l'absence de ratification de la Convention de la Haye. Un dispositif similaire a été introduit en France, la fiducie qui se distingue simplement par le fait qu'elle doit être établie par un acte de manière expresse. Le trust a été reconnu en droit français pour reconnaître la validité de certains trusts conclus à l'étranger et qui sont taxés au titre de l'ISF, ou d'une nouvelle taxe, si le constituant ou le bénéficiaire est domicilié fiscalement en France ou si l'actif si trouve, à charge pour l'administrateur de déclarer ces éléments. Néanmoins le rapport suppose que l'utilisation de cet élément a conduit à une évasion fiscale massive du fait de leur extrême opacité. Le contentieux faisant intervenir des trusts concerne les droits de succession et l'omission de déclaration de biens meubles qui sont placés dans des trusts institués dans des paradis fiscaux1, cela est particulièrement frappant dans le domaine de l'art qui se trouvent énormément dans des trusts constitués dans des paradis fiscaux, spoliant le patrimoine national (des biens de la Révolution Françaises seraient dans des trusts en Suisse depuis cette période !)
Il existe aussi des « faux expatriés fiscaux », qui tout en étant domicilié en France prétendent avoir transféré leur domicile fiscal à l'étranger, notamment dans les départements limitrophes. Près de 200 ont été mis en évidence par l'Administration fiscale ce qui est très en dessous de la réalité du fait de la difficulté d'apporter la preuve de la fausse expatriation pour l'administration (la jurisprudence exigeant une preuve formelle).

- La fraude fiscale des entreprises elle, peut concerner le petit entrepreneur tout comme la multinationale, trop souvent c'est le petit entrepreneur qui est sanctionné au détriment de la grande entreprise.
Les données à dispositions du rapport issue de la Commission des Infractions Fiscales ne concernent que le très faible pourcentage de comportements frauduleux qui ont fait l'objet d'une plainte de l'administration fiscale. Les dossiers ayant fait l'objet d'une plainte concernent des fraudes à l'IS ou à la TVA pour des montants très faibles et concernant des petites entreprises ce qui pose question pour les grandes.
Le rapport pose ensuite la question de la fraude à la TVA qui est « massive, variée et de plus en plus complexe », la TVA qui représente 48% des recettes nettes de l'État en 2011. La Cour des Comptes a estimé que la fraude à la TVA représentait près de 10 milliards d'euros, le montant des redressements est faible, et encore plus celui des recouvrements effectifs alors même que les recettes nettes ont augmentés de 22% sur la période 2000-2011. Ce qui tendrait à montrer que la fraude a augmenté du fait de la dématérialisation des fluxs. La fraude à la TVA est une fraude très diverse qui peut emprunter des dispositifs des plus archaïques aux plus sophistiqués. Le mécanisme de collecte de cet impôt sur la consommation repose en grande partie sur les entreprises. Théoriquement le risque de fraude est doublement limité par une perception fractionnée et son assiette peu mobile. Néanmoins ce sont des aménagements récents qui nuisent au contrôle de l'impôt et favorise la fraude. Bien qu'harmonisé au niveau européen il existe une multiplicité de taux (10 en France en comptant l'Outre Mer et la Corse), et de régimes spéciaux concernant les petites entreprises notamment ce qui complexifie le contrôle de la TVA. De plus l'assiette de la TVA ne recouvre pas la totalité des activités économiques, notamment les activités internationales de santé, mais aussi d'opérations bancaires et d'assurances. Dans un cadre dématérialisé et mondialisé les possibilité de fraude sont décuplées, le commerce électronique concernant des biens ou des services dématérialisés ne permet aucun contrôle douanier sur la facturation et complique la détection de la fraude. A côté de cela, le marché unique européen permet la fameuse fraude « carroussel » sur les importations immédiatement réexpédiées, des sociétés réalisent des opérations permettant de détourner la TVA étant entendu que les opérations intracommunautaires sont exonérées de TVA2. Il est quasiment impossible de recouvrer comptablement les montants fraudés... Si la « fraude carroussel » s'applique à des transactions dématérialisés la complexité est double. Dans sa dimension la plus forte, la fraude a la TVA prend donc une dimension communautaire.
Enfin l'évasion fiscale des grandes entreprises semble trop ignorée car empruntant des voies plus sophistiquées ou se prêtant mal à des poursuites pénales : certaines sociétés étrangères ont ainsi une présence économique en France sans y remplir la moindre obligation fiscale, la fraude fiscale des grandes entreprises tient sa spécificité de l'utilisation de techniques de gestion à des fins d'évasion fiscale (notamment les prix de transferts...), des chiffres officieux émanant d'études situerait le montant des avoirs français dissimulés dans les paradis fiscaux à 590 milliards d'euros dont 370 pour les entreprises, bien loin des 125 millions de fraude recouvrés. Il y a un triple problème : de qualification des faits face à la complexité des mécanismes, d'imputation de la fraude, de détection des faits. Il est délicat de « démanteler les schémas d'optimisation fiscale des grandes entreprises » du fait de la compétences de leurs services financiers et de leurs avocats également.

- Le rapport souligne ensuite ironiquement ce qu'est la sanction « limitée » du « cas-limite » : l'abus de droit. L'abus de droit semble être un outil utile dans la mesure ou il permet de sanctionner des pratiques non expressément qualifiées de frauduleuses. Le défi n'est pas tant dans la fraude que dans les comportements fiscaux abusifs, notamment pour les finances publiques. L'abus de droit sanctionne les actes juridiques fictif ou qui ont pour but exclusif d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales en s'appuyant sur une application des textes contraires à l'intention des auteurs. Ce mécanisme évolutif qui s'est vu unifié à la fraude à la loi en 2008. Appliqué à l'évasion fiscale internationale c'est une arme contre l'évasion fiscale mais qui souffre d'un talon d'Achille en ce qu'il concerne les actes juridiques et qu'il faut démontrer un but « exclusivement fiscal ».

L'évasion fiscale elle se situe entre tromperie et manipulation, elle est à la fraude « ce que l'obscurité est à l'ombre », tous les regards se focalisent sur la fraude alors que l'enjeu est sur les schémas fiscaux qui exploitent les failles et lacunes du droit.

- Les moyens d'évasion des bénéfices des entreprises sont nombreux, le rapport n'énumère que les plus courants, un panorama complet a nécessité l'intervention d'un groupe de travail chargé de recenser les schémas fiscaux agressifs à l'OCDE : le rapport identifie lui, les prix de transferts, des « capitalisations fines » ou sous capitalisation dans les paradis fiscaux, les « contrats de façonnage » et le cas du crédit impôt recherche.

Les prix de transferts permettent ainsi de conférer à un groupe d'entreprise une certaine maîtrise de la localisation des résultats, mais il faut dépasser les évidences habituelles selon le rapport. Ils font partie d'une gestion normal, ce sont les prix auxquels une entreprise transfère des biens, services ou actifs à des entreprises associées ce qui réduit le résultat de la première et augmente celui de la seconde ce qui impacte les bénéfices imposables. Normalement ces prix sont censés être fixés selon le principe de pleine concurrence, il existe des procédures préventives d'accord avec l'administration fiscale mais cela est très peu répandu. L'application du principe de pleine concurrence est très délicate dans les faits ce qui laisse aux entreprises une marge propice à l'évasion fiscale via des ventes à prix insuffisant ou des achats à prix excessif, des avances à faible intérêt, des abandons de créance, les charges communes mal réparties, des redevances à taux excessif. Il n'y a pas que des transferts de bénéfices vers les paradis fiscaux... dont le rapport souligne que la catégorie décline, tout jeu sur le montant de l'imposition concourt à l'optimisation fiscale qui apparaît contraire aux intérêts étatiques. La concentration des entreprises limite le contrôle de l'administration tout comme le contrôle sur les prix de transferts sur les incorporels très difficilement estimable notamment pour les marques. Le rapport souligne que les prix de transferts constitue très probablement un « siphon » fiscal pour les pays développés que des ONG chiffrent à 160 milliards de dollars par an a raison de montage fiscaux internationaux très complexes.

La sous capitalisation consiste à installer dans des pays à fiscalité élevée des filiales ne détenant que peu de capital qui doivent emprunter pour fonctionner à la maison mère ce qui permet de déduire ensuite les intérêts des bénéfices imposables.

Les contrats de façonnage permettent pour les entreprises de transformer leurs entités implantées en France en de simple façonniers et de délocaliser le siège social ou sera localisé la majeure partie de la rémunération privant les états à forte fiscalité des fruits de l'activité économique réellement exercée. Il en va de même des restructurations aboutissant à transformer des filiales de commercialisations en simples commissionnaires générant un faible bénéfice. Il n'y a pas d'outils juridiques actuels permettant de lutter contre cela. Le rapport milite pour l'instauration d'une règle générale permettant d'envisager l'économie générale d'une opération.
Le rapport mentionne ensuite le détournement du crédit impôt recherche mis en évidence par la direction nationale des enquêtes fiscales. Certains travaux sont déclarés éligibles alors qu'elles ne le sont pas, les entreprises maximisant les déductions fiscales en fractionnant les dépenses par établissement3. De plus le rapport souligne que le mécanisme du crédit impôt recherche ne conditionne pas l'octroi à la localisation des entités d'exploitation des résultats d'une recherche qu'il contribue à financer dans l'État financeur.

 

- La dissimulation des revenus des particuliers demeure un enjeu important, car ce sont eux qui sont le plus concernés par les « paradis fiscaux en tant que tels », il y a une recrudescence des montages complexes d'optimisation fiscale non constitutif d'une fraude. Il y a de nombreuses techniques d'effacement des revenus, certains essayent d'emprunter pour acquérir des sociétés pour être taxé sur les plus-values et non plus le revenu, le démembrement de propriété à l'étranger, la structuration artificielle du patrimoine pour réduire la charge de l'impôt, en créant différentes entités pour opacifier le montage pour perdre le bénéficiaire effectif, les sociétés écrans s'accompagnent de la détention de comptes à l'étranger. Il y a également le recours à différent territoires permettant de situer les revenus fiscaux dans un pays à fiscalité allégé ou dans un pays ne divulguant pas les informations.
Le premier élément opacifiant résulte dans l'interposition de structures : On distingue les « sociétés écrans » des techniques écrans (prête nom et actions au porteur). Les sociétés-écrans immatriculées dans des territoires offshore aux règles comptables favorables à l'opacité fiscale et accompagné de la détention d'un compte dans un pays ou le secret est important. Cela peut être décelé par l'administration en raison de l'utilisation de carte bancaires étrangères. Un autre montage peu consister à réorganiser structurellement une activité économique en faisant acquérir des parts d'une société par une société « coquille » elle même détenue par une société implantée dans un pays à fiscalité privilégiée (le bénéficiaire n'apparaissant que pour une part de la société, l'utilisation des profits s'opère par le biais de l'usage du compte bancaire du pays de la société coquille). Enfin l'interposition peut aussi intervenir pour éviter l'imposition de plus-values de cession de titres par l'apport de titres à une société que l'on crée. Un report d'imposition est organisé les titres acquis par l'entreprise nouvellement créée sont ensuite cédés pour revenir par le biais de la société écran au bénéficiaire réel et les liquidités ont été transférées à la nouvelle structure sans imposition des plus-values. Ces montages sont particulièrement fréquents dans la gestion de l'image des sportifs, le droit d'image est souvent céder à une société offshore.

Les techniques-écrans résultent de l'interposition d'une société écran et de dissimulation de l'identité des actionnaires via des prête-nom qui prêtent leur nom pour l'inscrire sur les actions des sociétés dont le bénéficiaire est propriétaire, ce qui complique le contrôle même en cas d'interrogation sur un compte bancaire au Bahamas par exemple. Enfin les actions au porteur, qui dissimulent le nom du détenteur de l'action et rend ainsi la tâche des enquêteurs fiscaux quasi impossible.


Le rapport envisage ensuite les « frottements fiscaux », forme subtile qui rompt l'équité fiscale avec pour justification l'attractivité fiscale et qui perverti la finalité du droit fiscal selon le rapport, tout autant que l'interaction défaillante des divers régimes fiscaux internationaux.

 

- Les contradictions de la fiscalité française sont révélatrices selon le rapport du complexe « concurrence fiscale-évasion fiscale-délocalisation fiscale ». La concurrence fiscale a exercé des conséquences majeures en droit fiscal pour que le territoire soit attractif et compétitif. Un processus de «  yardstick-competition » ou incorporation dans les droits nationaux d'une contrainte de compétitivité fiscale a lieu. Sans porter de réel jugement de valeur sur la question le rapport s'interroge sur les avantages concédés, l'absence d'évaluation sur la perte d'assiette fiscale correspondante et des opportunités d'évasion fiscale que cela fait naître.

Les régimes de participation-exemption sont évoqués : Il concerne le régime fiscal des sociétés mères qui exonère d'impôt sur les sociétés, les produits de participation reçus d'une filiale détenue au moins à 5% pour neutraliser les doubles impositions. Cela se justifie si les filiales sont dans un pays à fiscalité comparable, moins si les filiales sont dans des États à fiscalité privilégiée. Le même mécanisme existe pour l'exonération des plus-values sur titres de participation
Le bénéfice mondial consolidé et le principe de territorialité de l'IS fait l'objet de différents développements : Ce régime permettait de consolider fiscalement les entités d’un groupe détenues au moins à 50 %. Ainsi le BMC permettait aussi d’imputer des pertes fiscales réalisées en France à des profits taxables en France. Ceci pouvait présenter un grand intérêt pour une entreprise disposant de pertes reportables indéfiniment liée à une entreprise bénéficiaire avec un contrôle inférieur à 95 % mais supérieur à 50 %. Il y avait un régime d'agrément de la part de l'administration ce qui permettait des contrôles approfondis. Le rapport s'interroge sur le principe de territorialité strict de l'imposition en France, et souhaiterait en revenir à un régime de BMC ou les pertes ne seraient pas imputés et symétriquement ou les résultats profitables seraient exclus. Revenir sur la territorialité permettrait d'éviter à l'administration d'avoir à se contenter de contrôles sur les comptes sociaux français des entreprises en tachant simplement de « deviner » (!) leur organisation internationale. Le rapport ne se fait pas d'illusion en constatant que le régime alternatif pratiqué aux USA ne fait pas reculer l'évasion fiscale internationale.
- Concernant l'interaction défaillante des régimes fiscaux, le rapport pointe les dispositifs hybrides qui exploitent les différences de traitement fiscal entre 2 ou plusieurs pays permettant de bénéficier d'une déduction d'une part sans inclusion d'autre part (hybride). Pour schématiser une même opération pourrait être appréhendé différemment de l'autre côté de la frontière et aboutir à des doubles déductions ou à des déductions sans inclusion de l'autre côté. Ces dispositifs induisent des pertes fiscales mais aussi des distorsions économiques conduisant à rendre artificiellement plus attrayant des investissements extérieurs qu'intérieurs. Ils concourent à l'instabilité financière en rendant viables après impôt des investissements antiéconomiques. Le rapport appelle ainsi à renforcer l'échange d'informations et à la création d'un dispositif juridique permettant de lutter contre cela, au lieu de le traiter via l'abus de droit.

Enfin le rapport souligne le risque des conventions de suppressions des doubles impositions qui peuvent conduire à des doubles exonérations, il y a un problème d'interprétation des conventions fiscales internationales, des clauses existent pour limiter cela sans nécessairement figurer dans le modèle fourni par l'OCDE.

 

II- Le cadre de ces activités se situe dans un environnement mondialisé ou les distorsions fiscales nécessitent d'être précisée notamment au regard de la notion de paradis fiscal qui tend à être retenue dans les médias. Les différentes listes tendent ainsi à se vider en raison de la satisfaction de critères formels qui ne mettent pas fin, loin de la à l'évasion fiscale. Paradoxalement la satisfaction de ces critères formels seraient constitutifs d'une « réglementation molle » à visée géostratégique plutôt que juridique ou économique. On se retrouve actuellement avec des « paradis officiels perdus » à côté desquels coexistent des paradis « retrouvés ».

 

Les paradis officiels perdus : En 1998, l'OCDE avait défini 4 critères des paradis fiscaux (impôts directs insignifiants, absence de transparence sur le régime fiscal, rareté d'activités économiques substantielle, absence de transmission aux administrations fiscales de renseignements)

- On aboutit à une situation ou l'on a des « paradis » aux contours multiples, des listes multiples et fluctuantes :

La promotion de la transparence fiscale dans les instances internationales a été mise en place de manière progressive via la mise en œuvre de la normalisation des stipulations conventionnelles visant à une coopération administrative efficace. Mais face à l'inertie de certains états des listes d'États non-coopératifs ont été mises en place dans le cadre de l'OCDE, d'autres listes au sommet du G20, ce qui a complexifié la lisibilité en distinguant liste noire (4 états) et liste grise (états qui n'avaient pas mis en œuvre de façon substantielle certains principes). L'absence de pressions de tous les États majeurs du G20 (Russie, Chine, USA, RU notamment), a abouti à des listes grises, gris clair et ou une liste noire ne comporte plus que 2 « paradis fiscaux d'opérette ». La situation en 2012 conduit à l'existence de listes allégées, les états ayant signés des accords d'échange d'information dont le rapport souligne que le suivi n'est absolument pas assuré et ne vise qu'à sortir des listes. Aujourd'hui il n'y a plus que 3 États sur les listes grises (Nauru, Nioué et le Guatemala). En France, un régime particulier existait avant la définition du régime des états non-coopératifs, celui des régimes fiscaux privilégiés (sur les états ou les bénéfices étaient imposés à moins de 50% de ce qu'ils auraient été imposés en France), mais à partir de 2009, il y a eu un glissement vers une répression pour les états visés par des listes établies selon les critères fixés internationalement : Malheureusement, ces listes ont eu tendance à se vider sur la satisfaction de critères formels (conclusion d'un accord qui sont rarement suivis efficacement). A côté de cela on peut mentionner le Groupe d'Action Financière (GAFI) qui lutte contre le blanchiment et qui est orienté sur la fraude fiscale qui établit ses propres listes et la mise en oeuvre de règles prudentielles par le Conseil de stabilité financière concernant la coopération internationale en matière de réglementation bancaire, boursière et en matière d'assurances. Diverses listes sont ainsi dressées en matière de coopération fiscale, de réglementation prudentielle ou de lutte contre le blanchiment qui met en exergue la complexité de la définition des lieux de l'évasion fiscale1 (il faut appréhender l'ensemble).

Le rapport s'alarme ensuite de la complexité de la grille de lecture de la liste française : Par rapport à 3 critères de référence : 1° Orientation des activités financières à destination des non-résidents ; 2° Environnement favorable, souple, non contraignant avec peu d'exigences des autorités de supervisions ; 3° L'absence ou le faible niveau des taxes, le rapport compare les pays communs entre les listes précitées (OCDE, France, GAFI et CSF) : Cela aboutit à la caractérisation de 2 pays communs à la liste française et celle du GAFI, 3 pays avec celle de l'OCDE (les seuls 3 pays de la liste)) et aucun (!) avec celle du CSF. Le rapport regrette le caractère quasi discrétionnaire de l'établissement de ces listes, qui ne sont accompagnés d'aucun exposé des motifs des retraits et des ajouts. De plus la conclusion d'accords semble sans garantie de mise en œuvre effective, sans tenir compte de la capacité normative du pays à coopérer et sans information du Parlement.

- Enfin le rapport identifie les « paradis retrouvés » que la plupart des auditions ont mentionnés. Sans nier les efforts entrepris, le rapport indique que « l'évasion fiscale et les paradis fiscaux se portent très bien ». A côté des efforts des organismes nationaux et internationaux ce sont des ONG qui ont apportés leur concours : Ainsi à la lumière des travaux de ces ONG, les 50 premières entreprises européennes on en moyenne 1 filiale sur 5 dans les paradis fiscaux (1 sur 4 pour les banques). Le rapport pointe le facteur géographique en matière de transparence fiscale qui nuit à la coopération : Certains États ne coopèrent qu'avec d'autres mais pas avec l'ensemble de la communauté internationale. Cela aboutit au maintien de zones d'ombres auxquelles se surajoutent des paradis virtuels constitutifs de la « e-évasion  ».

Le rapport identifie ces zones d'ombre notamment au regard de l'absence ou de la souplesse du cadre normatif et non uniquement du secret bancaire. Il faut aussi analyser culturellement les mentalités concernant la mise en œuvre des règles d'échange qui sont mises en œuvre ou infusés par le pouvoir politique. Il y a ainsi de nombreuses résistances qui rendent impossible d'établir une cartographie satisfaisante. Le bilan du rapport se borne de manière non exhaustive à distinguer 2 zones : 1° La première qui offre un cadre sommaire en matière de règles d'identification des fluxs financiers et de leurs bénéficiaires et 2° une seconde pourvue d'un cadre normatif d'échange dont l'usage, l'accès est rendu restreint par des procédures ou des outils détournés de leur finalité première (trust, secret bancaire etc...)

* Les « territoire coquilles » ou « conduits financiers » constitutifs de la première zone sont les lieux d'immatriculation des sociétés-écrans visant à opacifier les montages financiers, les fonds y transitent sans y rester, ils hébergent des fonds et des bénéfices destinés à rester invisibles, la fiscalité y est très faible, la réglementation est quasi inexistante. De manière décroissante on peut citer alors, les Caraïbes (Îles Vierges britanniques (34 sociétés par habitant, très faible coopération...), Antigua et Barbuda (secret bancaire, aucune fiscalité sur les revenus des sociétés), Trinité et Tobago (pas d'identification des bénéficiaires ou constituant des trusts...), Barbade (pas d'identification des prêtes nom, des bénéficiaires de trusts, pas d'échanges de renseignements...), les Îles turques et Caïques (dans les Antilles), les Îles de l'Océan Indien comme Les Seychelles (qui n'ont quasiment aucun impôt, et où les flux financiers peuvent être investis dans des « international business compagnies » dont le nombre a triplé en 5ans), l'Île Maurice  ; il y aussi les Îles d'Océanie comme Vanuatu, Nauru, Nioué, les Îles Marshall. D'autres états semble mettre en œuvre un début de transparence qui apparaît comme tout théorique et non-efficient (cela concerne les Îles Caïmans, les Bahamas, les Bermudes, Saint-Vincent et les Grenadines, Îles Cook...). Rappelons que ces territoires ne sont que rarement la destination finale des flux financiers en raison de l'offre juridique et politique moins complète que celle fournies par des pays plus proches et partenaires économiques (de la France notamment).

* A côté se trouvent les «  zones d'ombre » qui ne dépendent pas uniquement de l'industrie financière et qui attraient les flux financiers via une offre d'outils et de procédures favorisant l'évasion fiscale  : il convient de distinguer pour le rapport les États européens et asiatiques dont l'opacité réside dans la confidentialité permise par la législation ou l'ingéniosité financière, en revanche pour les états américains c'est l'absence d'un cadre légal adéquat permettant d'identifier les bénéficiaires de flux qui sont en cause. // En Europe, pour des raisons historiques, économiques et sociologiques, de nombreux territoires ont prospéré du fait de la potentialité qu'offrait la tolérance de la fraude fiscale. Soulignons les cas de la Suisse ou la coopération administrative en matière fiscale est très limitée, du fait de la qualification juridique différente de la fraude applicable en Suisse, des renseignements très précis demandés par l'administration suisse (cela s'explique par la politique menée en matière d'échange et de renseignements automatiques qui va à l'encontre de l'action de l'UE et qui perturbe la lutte contre l'opacité fiscale). Le rapport indique que « faire craquer la Suisse, permettrait de déstabiliser l'ensemble des paradis fiscaux » - Dans le cadre de la zone euro on a le Luxembourg et de l'Autriche (Le Luxembourg a le même taux de réponse aux demandes de l'administration fiscale que la Suisse et dont la fiscalité est très attractive, alors que l'Autriche n'a que signé récemment l'avenant permettant des demandes de l'administration fiscale...) où les obstacles à la coopération fiscale sont nombreux (disponibilités de l'information, accès au renseignement...) qui s'expliquent encore au regard de l'échange automatique (étudié plus tard) dont ces états tendent à freiner l'évolution vers plus de transparence (ce qui a suscité des réactions outrées de la part de l'inspection générale des finances). - Le cas du Liechtenstein est mentionné concernant les fondations et les trusts ainsi que la Belgique (ou l'ISF n'existe pas , et que les droits de successions et de donation sont faiblement taxés tandis que les plus-values de cession de titres de participation sont exonérées) – S'en suivent des considérations sur la City de Londres, premier territoire offshore pour la présence française (de très nombreuses filiales de groupes du fait du faible prix de la création d'une société-écran) en raison de l'absence d'imposition sur les revenus de source étrangère et sur les plus-values générées à l'étranger, une convention a tenté de mettre fin à ce système pour éviter les doubles exonérations, néanmoins le rapport doute de l'effectivité de cette clause technique face à la volonté politique de favoriser une rude concurrence fiscale alors même que la coopération judiciaire, administrative et fiscale semble difficile selon les propos recueillis par la commission. - Le rapport formule des réserves sur les volontés réelles des îles anglo-normandes ou de Saint-Marin concernant la coopération fiscale. Il en va de même pour Monaco et Andorre qui semble ne coopérer qu'avec certains États, tout comme accorder des facilités fiscales à d'autres – Le rapport souligne les difficultés de coopération avec les États asiatiques qui sont de plus en plus présent dans les dossiers contentieux européens. // Le rapport souligne également les difficultés de coopération avec les États d'Amérique latine, comme le Panama, le Costa Rica et l'Uruguay.

=> Le rapport conteste la tendance privée à conquérir des droits fiscaux au delà de ce qu'exigerait l'application des principes conventionnels internationaux et qui serait toléré par les instances internationales, ce qui représenterait un enjeu important.

 

Concernant la « e-évasion », les paradis technologiques, le rapport rappelle les enjeux issus du développement des technologies de l'information et de la communication. C'est un défi considérable pour les administrations fiscales rigides dans leurs moyens et dans leur culture basée sur les échanges de biens et sur la territorialisation physique. Il pointe les « nouvelles formes de création de richesse » qui sont actuellement très difficilement appréhendables par le droit fiscal. Le rapport envisage respectivement un aperçu général de la diversification des outils d'évasion fiscale, puis envisage des pistes de taxation pour les acteurs du numérique et du e-commerce.

* La technologie représente ainsi un nouveau défi, l'évasion fiscale étant favorisée par la mondialisation des échanges et l'évolution des TIC. La fraude serait de plus en plus mobile et instantanée, les problématiques se déplaçant sur les incorporels (marques, brevets etc...) et la fraude étant de plus en plus « démocratisée... » en raison du recours à internet. Le rapport appelle à un effort de communication sur l'éthique et l'utilité de l'impôt. De plus les paradis sont « dématérialisés » du fait du recours aux paris en ligne aux fins de blanchiment, à des comptabilités informatiques truqués, au « cloud-computing », au stockage en ligne qui nuit totalement à la localisation des données et pourrait attirer des mafias et favoriser le blanchiment et la fraude.

* Enfin analysant l'optimisation fiscale internationale des entreprises du numérique, le rapport souligne l'intérêt que ce secteur présente du fait de son poids et de sa rentabilité élevée qui rend nécessaire un réaménagement de la fiscalité. Soulignant la technique d'optimisation des grands groupes qui localisent leurs sièges sociaux dans des pays à fiscalité basse, le rapport indique la solution européenne en matière de TVA basée sur la territorialité de la consommation (imposition aux taux du pays de consommation du produit (pour le e-commerce)). Cela laisse des problèmes de distorsions fiscales et d'efficacité du contrôle qui repose sur la diligence des administrations fiscales partenaires. Dans tous les cas reste le problème de l'imposition des bénéfices du numérique qui est normalement subordonnée à la détention d'un établissement stable dans le pays d'imposition (ce qui est difficile à prouver dans le cas du e-commerce). Le rapport appelle en conclusion à un réaménagement de la fiscalité adaptée à une économie de services tout comme à approfondir les tentatives de taxation de la publicité en ligne et des surfaces commerciales virtuelles en soutenant les travaux visant à assurer les recettes fiscales aux États ou réside la création de valeur. Pour se faire le rapport appelle à fonder l'imposition, non sur les bénéfices mais, sur le chiffre d'affaires.

 

 

1A titre d'exemple : Un résident dirigeant d'un groupe constitue un trust aux Iles Vierges au bénéfice du conjoint, géré par plusieurs administrateurs. Ce trust créée une holding au Luxembourg dont elle détient près de 100% des titres. La holding chargée de regrouper des participations immatricule une société au Luxembourg dont elle est l'unique actionnaire et qui prend une participation dans le groupe français. Qui est redirigé vers la holding et le trust échappant alors au régime d'imposition classique via l'interposition d'un trust et d'une société créée à l'étranger.

2A acquiert un bien exonéré de TVA auprès de B, revend à C avec TVA en France et collecte donc une TVA. C demande ensuite à se faire rembourser la TVA, ou la déduit de ses futures ventes ce qui déclenche un nouveau tour de fraude.

3L'exemple extrême étant constitué d'une entreprise qui a réalisé 2 milliards d'euros de bénéfice, n'ayant payé aucun impôt et ayant reçu 63 millions d'euros au titre du crédit impôt recherche.

4Cf – Listes officielles des « paradis fiscaux » p.214 du rapport.


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