La Banque de France défie l’Etat

par Henry Moreigne
mercredi 12 avril 2006

Etrange époque, étrange pays, qui voient une banque centrale refuser de verser à l’Etat, son principal actionnaire, des dividendes, au prétexte de ne pas participer « à la gestion impécunieuse des déficits publics français ».

Il fallait oser. Christian Noyer, le gouverneur de la BdF, l’a fait : il a dit non à l’Etat français. Une situation inédite, qui a dû faire se retourner plusieurs fois dans son caveau le fondateur de la Banque en 1800, Napoléon Bonaparte.

Cette situation est le fruit d’une lente évolution, qui s’est emballée avec la construction européenne. En 1945, à la Libération, la BdF est nationalisée, devenant la banque de l’État tout en conservant les attributions de comptes de dépôts et d’opérations d’escompte. Elle émet la monnaie, exécute la politique de crédit décidée par le ministère des finances, surveille les autres banques.

Le 1er juin 1998, une nouvelle institution est créée, la Banque centrale européenne (BCE), chargée de conduire la politique monétaire unique en euros. L’ensemble formé par la BCE et les banques centrales nationales (BCN) de tous les États membres de l’Union européenne constitue le Système européen de banques centrales (SEBC). Un contrat de service public est conclu sur la période 2003-2006 entre l’Etat et la BdF.

Comme les banques classiques, la BDF enregistre généralement des bénéfices qu’elle est amenée à reverser à ses actionnaires. En 2005, après deux exercices difficiles, ceux-ci se sont élevés à 522 millions d’euros. Logiquement, l’Etat, qui connaît une situation budgétaire tendue, tablait sur une rentrée de 420 millions. Pour en bénéficier, il va falloir négocier.

Dans son rapport de 2005, la Cour des comptes avait reproché à la BdF de ne pas avoir procédé à une réforme profonde après son intégration au système européen des banques centrales, qui lui avait enlevé de nombreuses attributions. Sont alors pointés des avantages sociaux accordés au personnel, trop généreux et onéreux. Au-delà des salaires et des primes, le régime de retraite spécifique (hérité de 1808) est pointé.

Christian Noyer, le gouverneur, s’attaque à la réorganisation de la banque et la réussit. En revanche, il est hostile à la réforme du régime de retraite. Le régime de la banque est l’un des plus avantageux, mais salariés et dirigeants ne veulent pas l’aligner sur le régime général. Pas pour les mêmes raisons. L’opposition des dirigeants est fondée sur l’importance des charges à provisionner que le changement de régime imposerait, et qui risquerait de grever durablement les comptes de la banque. Ils proposent donc une solution médiane, qui consisterait à s’aligner sur le régime de la fonction publique.

Mais si cette solution était retenue, elle devrait se traduire pour la BdF par une contrepartie, le versement d’un dédommagement (une soulte) à l’Etat, comme ce fut le cas pour EDF et qui devrait l’être avec la RATP et La Poste. Toutes les négociations actuelles portent sur ce point : " Si vous voulez des dividendes, oubliez la soulte".

A l’évidence, M. Noyer ferait un excellent PDG chez Saint Maclou.

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