La Chine fait des affaires, pas de l’humanitaire !

par Pierre R. Chantelois
mardi 6 février 2007

« L’Afrique est-elle un continent à la dérive ? Ne recèle-t-elle pas en elle des ressources morales et matérielles pour en finir avec les fléaux qui l’accablent ? N’est-elle pas capable de se gérer sur les plans politique, économique, social et culturel ? Comment l’Afrique peut-elle se révéler au monde sous son meilleur jour ? », s’interrogeait Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, lors d’une journée thématique consacrée à l’Afrique - 7 décembre 2005 - et organisée par la Cade (Coordination pour l’Afrique de demain). Au cours de cette même rencontre, Michel Rocard n’hésitait pas à déclarer que « les grands investissements des multinationales dans le pétrole ou les ressources du sous-sol n’ont aucun effet d’entraînement car elles ne font pas travailler de sous-traitants et elles ne créent pas de valeur ajoutée locale. Il estimait absurde le dogme du libre-échange qui ne doit pas être un tabou : « [...] il faut remplacer le libre-échange par l’autosuffisance alimentaire et par le développement autocentré ». L’appel du président sud-africain Thabo Mbeki au continent noir : « ne pas se plier à un nouveau colonialisme au profit de la Chine assoiffée des matières premières africaines » est-il suivi d’effets ?

Plus de 60% de la population africaine ont moins de 24 ans. Ce groupe représente un pourcentage croissant de la population. Au cours des dix à vingt prochaines années, l’explosion démographique exercera des pressions sur l’emploi, l’éducation, les services de santé, ainsi que sur la reconnaissance et le leadership des collectivités.

L’eau abonde en Afrique, mais elle est mal répartie. Plus de 300 millions de personnes n’ont pas accès à une eau salubre et à des services d’assainissement adéquats. Près de la moitié de la population souffre de maladies hydriques. L’accroissement de la population, l’industrialisation, la désertification, des pratiques agricoles non durables et les changements climatiques épuisent les ressources en eau.

Les défis de l’Afrique

· Un Africain sur deux vit avec moins d’un dollar américain par jour ;

· 45 millions d’enfants africains ne vont pas à l’école ;

· Plus de 26,6 millions de personnes sont porteuses du VIH ;

· Un Africain sur cinq est touché par un conflit ;

· 14 pays souffrent d’une pénurie d’eau et 11 autres s’ajouteront au nombre d’ici 2025 ;

· Environ 500 millions d’hectares, dont 65% servent à l’agriculture, souffrent de la dégradation depuis 1950 ;

· L’Afrique compte 13% de la population mondiale, moins de 1,6% du commerce mondial et moins de 1% des investissements mondiaux.

Ces statistiques pourraient repousser les investisseurs. L’Afrique ne reçoit que 1% de tous les investissements directs étrangers dans le monde. Qu’est-ce qui attire la Chine en Afrique ?

La Chine a découvert un marché presque sans limites pour ses produits bon marché, alors que des pays riches en pétrole comme le Nigeria et l’Angola peuvent lui fournir des ressources naturelles permettant d’alimenter sa croissance. La Chine puise une part importante des matières premières et de l’énergie qui nourrissent sa forte croissance économique. Selon l’agence Chine nouvelle, en 2006, les échanges commerciaux avec l’Afrique ont atteint 55,5 milliards de dollars, une hausse de 40% par rapport à 2005, selon des chiffres du ministère du Commerce. D’après l’agence, les investissements chinois cumulés sur le continent ont atteint 6,6 milliards de dollars. Le gouvernement chinois envisage par ailleurs de signer des accords d’exemption de dettes de 33 pays africains lourdement endettés et parmi les moins avancés : dette qui devrait donc être annulée avant fin 2007.

Depuis son arrivée au pouvoir en 2003, Hu Jintao a fait du continent africain une de ses priorités en matière de coopération. Le président chinois Hu Jintao entame sa deuxième tournée en moins d’un an et sa troisième en Afrique depuis son arrivée au pouvoir. D’ici le 10 février, il aura traversé au pas de charge huit pays d’Afrique : Cameroun, Namibie, Seychelles, Liberia, Zambie, Mozambique et enfin le Soudan. Soucieux de montrer que les relations sino-africaines ne se réduisent pas à des rapports de convoitise, Hu Jintao propose cinq milliards de dollars de prêts et de crédits au continent, ainsi que le doublement de son aide. Le président chinois s’est rendu à ce jour au Cameroun et au Liberia : il a annulé la dette du Cameroun envers Pékin et promis près de 100 millions de dollars de crédits et de prêts bonifiés.

La générosité chinoise a des limites. Selon une étude de la Fondation Friedrich Ebert, la valeur des importations de la Chine vers le Cameroun ont été croissantes de 2001 (34 millions de Fcfa) à 2004 (67 milliards de Fcfa), en passant par 2002 (45 milliards Fcfa). En contrepartie, les exportations du Cameroun à destination de la Chine ont stagné respectivement à près de 21 et 20 milliards en 2003 et 2004. Que ce soit en 2003 ou en 2004, la balance commerciale entre la Chine et le Cameroun a été largement déficitaire pour le Cameroun et bénéficiaire pour la Chine.

La Chine a annulé la totalité de la dette du Liberia, soit 15 millions de dollars. Peu après son arrivée à Monrovia, M. Hu Jintao s’est entretenu avec son homologue libérien, Ellen Johnson Sirleaf, qui a dit souhaiter « mettre (sa) population et (ses) jeunes au travail. Mais pour cela nous avons besoin du soutien de capitaux et d’investisseurs privés. Nous comptons donc sur vous et votre pays pour nous aider dans cette voie  ».

C’est le passage de Hu Jintao au Soudan qui suscite le plus de réactions. Le nouveau secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, avait demandé au président chinois de soulever la question de l’envoi d’une troupe mixte de l’ONU et de l’Union africaine au Darfour lors de son passage à Khartoum. Avant le début de la tournée africaine de Hu Jintao, un responsable aux Affaires étrangères chinoises avait affirmé que son séjour au Soudan « ne renforcera pas seulement les relations bilatérales mais aussi la paix et la stabilité dans la région ». Dans le communiqué distribué par la délégation chinoise aux journalistes à l’aéroport de Khartoum, il n’était plus question que de consolider les relations amicales et la coopération entre la Chine et le Soudan. « Le Darfour fait partie du Soudan et c’est à vous de résoudre le problème  », aurait dit Hu Jintao au président Omar Hassan al Bachir. Le président chinois est en voyage d’affaires et il vient de le rappeler de façon brutale en négligeant les appels de la communauté internationale sur la question du Darfour : le Soudan vend une grande partie de son pétrole brut à la Chine, dont l’économie en pleine expansion consomme beaucoup d’énergie, et lui achète des armes.

Le commerce entre la Chine et le Soudan s’est rapidement développé. Au cours des onze premiers mois de l’an dernier, il a atteint 2,9 milliards de dollars. La Chine, qui absorbe 60% de la production pétrolière soudanaise, est déjà le premier partenaire économique étranger du pays. La China National - Petroleum Corporation (CNPC), possède 40 % des actions de la Greater Nile Petroleum Operating Company (GNPOC), qui elle-même contrôle deux des plus importants gisements pétroliers dans le Haut-Nil occidental, au Soudan. La Chine a accepté d’accorder au Soudan un prêt sans intérêt de 12,8 millions de dollars américains et un don de 5,1 millions pour divers projets.

De nombreuses organisations des droits de l’homme ont dénoncé les activités des compagnies chinoises qui ont provoqué des expulsions en masse des populations civiles par l’armée soudanaise. Les Chinois
- ils sont quelques milliers dans la région - ont notamment construit le pipe-line qui relie les champs pétroliers du sud à la mer Rouge et achèvent un barrage sur le Nil. Des milliers d`expatriés chinois travaillent aussi dans le bâtiment.

Le ministre chinois des Affaires étrangères Li Zhaoxing, interrogé, lors de sa tournée en Afrique du 31 décembre au 7 janvier dernier, sur le rapprochement de Pékin avec des pays accusés de violations des droits de l’homme, notamment le Soudan et la République centrafricaine, avait répondu : « Savez-vous ce que signifient les droits de l’homme ? C’est fondamentalement le droit de survivre et de se développer  ». Le ministre chinois vient d’effectuer une visite au Bénin, en Guinée équatoriale, en Guinée-Bissau, au Tchad, en République centrafricaine, en Érythrée, et au Botswana.

La Chine s’installe en Afrique sans prendre en compte les questions des droits de l’homme ou les facteurs écologiques. Elle démontre une non-ingérence et une indifférence complète à l’égard de ces réalités en négociant directement avec des despotes africains qui apprécient le fait qu’aucune condition ne soit exigée aux relations bilatérales, comme c’est souvent le cas avec les pays occidentaux. La Chine s’impose en Afrique par le principe d’investissements paraissant fort généreux.

Certains observateurs voient une forme d’exploitation dans les relations établies par le géant chinois avec des pays comme la Guinée-Bissau. Ils estiment que les cadeaux chinois - la construction du Parlement et de maisons pour les dirigeants de l’armée à Bissau - ne sont que la contrepartie de traités maritimes récents liant la Chine à l’ancienne colonie portugaise. John Blacken, ancien ambassadeur des États-Unis en Guinée-Bissau, estime que la Chine a pêché pour 85 millions de dollars (64 millions d’euros) de poissons dans les eaux territoriales de la Guinée-Bissau. Le Parlement n’a coûté que 6 millions de dollars (4,5 millions d’euros). Le gouvernement de Guinée-Bissau « ne semble pas comprendre qu’il se fait systématiquement voler  ».

Selon les statistiques du Centre d’investissements de la Zambie, environ 200 compagnies chinoises se sont installées dans ce pays depuis 1964 dans les secteurs de l’exploitation minière, du textile, de la construction, des finances, de l’agriculture, de la santé et de la restauration. Avec un montant de 500 millions de dollars fin 2006, la Chine est arrivée en troisième position dans les investissements en Zambie, après l’Afrique du Sud et la Grande-Bretagne. Sur le plan commercial, les échanges entre les deux pays sont passés de 20 millions de dollars dans les années 1990 à 300 millions de dollars en 2005.

La coopération entre la Guinée équatoriale et Pékin date de 1970. En février 2006, un accord de partage de production pétrolière a été signé entre Malabo et une société chinoise. C’est dire que cette coopération s’est renforcée depuis que la Guinée équatoriale s’est hissée au rang de 3e producteur de brut d’Afrique subsaharienne. La Chine a accordé à Malabo - l’an dernier - des crédits pour plus de 2 milliards de dollars destinés à des secteurs de développement qui devaient être identifiés par le gouvernement équato-guinéen.

Le modèle chinois du « win-win » (gagnant-gagnant) - ce nouveau jeu économique où, selon Pékin, il n’y aurait a priori aucun partenaire perdant - ne serait-il, finalement, qu’une nouvelle forme de néocolonialisme drapé des illusions d’un développement Sud-Sud ? «  Dans les années 1980, écrivait Jean-Christophe Servant, du mensuel Le Monde diplomatique, en mai 2005, alors que le Nord et l’URSS se retirent de l’Afrique et que l’aide occidentale au développement chute de moitié, Pékin maintient ses liens. Mais, abandonnant l’exportation de sa boîte à outils révolutionnaire, la Chine se consacre désormais à l’essor de son commerce extérieur et de ses investissements à l’étranger. Lorsque la géopolitique de l’après-guerre froide et l’évolution incertaine du Proche-Orient ramènent les pays du Nord en Afrique, notamment pour diversifier leurs approvisionnements pétroliers, elle est déjà devenue l’« usine du monde » et convoite les matières premières du continent. [...] Dans de nombreux pays en crise ou en délicatesse avec la diplomatie occidentale, Pékin engrange les fruits de sa doctrine de non-ingérence dans les affaires intérieures. Les relations avec le Soudan - au ban des Nations unies en raison, notamment, de la situation au Darfour - sont exemplaires d’une stratégie sans états d’âme. Pour la Chine, nous explique Mme He Wenping, directrice adjointe du département relations internationales de l’Institut des études africaines de la faculté des sciences sociales de Pékin, "la protection des droits de la personne ne saurait contraindre l’exercice de la souveraineté nationale." Il ne fait aucun doute que les succès rencontrés par Pékin en Afrique ont bénéficié de cette vision, même si ce n’est pas l’unique point commun [que la Chine partage avec ses] partenaires africains ».

Monsieur Hu Jintao

Élu président de la République populaire de Chine en 2003, Hu Jintao est secrétaire général du comité central du PCC, vice-président de la commission militaire centrale du PCC et président de la commission militaire centrale de la République populaire de Chine.

Fils de commerçants, né le 21 décembre 1942 à l’ouest de Shanghai, à Jixi, province de l’Anhui, Hu Jintao, il adhère au parti communiste chinois (PCC) en avril 1964. En 1992, Deng Xiaoping s’intéresse à lui de près et décide de le propulser vers le sommet. Hu Jintao est surtout connu pour son rôle dans les massacres de manifestants dans la région autonome du Tibet en 1989, alors qu’il en était l’administrateur, et la main qu’il a parfois eue très lourde à l’égard des médias. Il a créé au sein du PCC un département de la propagande pour contrecarrer les assauts de la presse libérale.


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