La confusion mentale des marchés

par SDM 94
vendredi 2 janvier 2009

Depuis quelques mois la pensée unique néolibérale a du plomb dans l’aile. Néanmoins l’argument de la libre concurrence comme meilleure allocation des ressources par rapport à une économie planifiée continue d’être une évidence. Le problème est que cet argument est utilisé quel que soit le marché considéré. Je ne suis pas économiste mais il me semble qu’une grande confusion mentale apparaît dès que l’on parle de marché alors que l’on englobe avec ce mot des réalités radicalement différentes. Je souhaite ici juste clarifier cette confusion et ses conséquences.

Cet argument de meilleure allocation des ressources par la libre concurrence fonctionne globalement pour les marchés des biens et des services. Les principes de fonctionnement en sont la liberté de fixation des prix entre acteurs indépendants et ayant une information complète, ceci permettant l’équilibre des prix par le rapprochement de l’offre et de la demande. 

Dans la réalité ces marchés des biens et services doivent néanmoins être régulés pour que l’échange entre deux acteurs économiques libres et indépendants se déroule correctement. C’est d’une part l’ensemble des règles commerciales et d’autre part l’ensemble des normes techniques qui garantissent la sécurité des acheteurs. Par contre cet argument trouve sa limite dans plusieurs cas notamment pour les services constitutifs de la survie ou de l’identité des populations comme par exemple les bien publics que sont la santé, l’éducation, la culture. La libre circulation peut aussi être légitimement assujettie à des principes comme le droit des peuples à garantir leur autonomie alimentaire. En outre il trouve aussi ses limites pour les marchés où les investissements d’infrastructures ou de gestion de réseau ne permettent pas une concurrence efficace comme par exemple, les transports publics, la poste, la gestion de l’eau, les réseaux de distribution électriques,...

 

Mais d’autres types de marchés existent qui ne fonctionnent pas sur les mêmes règles de régulations, le premier exemple est le marché de l’argent qui est strictement règlementé. En effet pour garantir la valeur de l’argent qui est le "fluide de circulation des échanges" le contrôle de la masse monétaire et le prix de l’argent est un droit régalien des autorités publiques délégué aux banques centrales. Le jeu libre de fixation des prix (en l’occurrence les taux d’intérêt) par l’offre et la demande est très fortement encadré. Les opérateurs (essentiellement les banques) sont très fortement contrôlés pour pouvoir garantir la sécurité des fonds et des transactions. (Les dérives récentes des subprimes sont globalement le fait de l’introduction d’autres acteurs et de la connexion de ce marché de l’argent avec les marchés dérivés (cf. ci après)). Dans le même ordre d’idées le marché des garanties d’assurance est un autre marché fortement régulé. Celui ci est basé sur le principe de mutualisation des risques et nécessite une gestion particulière pour garantir les risques dans le temps. Il est d’ailleurs, dans de nombreux pays, largement étatisé en ce qui concerne l’assurance santé, chômage et retraite.

Les dérives récentes des marchés dit financiers se sont développés par la croissance, ces deux dernières décennies, d’un nouveau marché : le marché des produits dérivés. Celui -ci est clairement un jeu de casino rassemblant tous les joueurs pathologiques de la planète. En effet lorsque l’on commence à parier entre l’évolution dans 5 ans des index des marchés financier et l’évolution du prix de matières premières on entre clairement dans le monde de la psychiatrie. De même lorsque l’on "titrise" des mélanges de placements sophistiqués on organise l’absence totale de traçabilité des opérations et des risques. Si cela n’avait aucun impact sur l’économie réelle cela n’aurait pas grande importance, mais ce marché étant totalement connectés aux autres marchés financiers (argent, action et assurances, voir aussi aux marchés des matières premières) et que de les montants échangées sont plus de 100 fois le montant des échanges commerciaux réels. 

Pour finir, viennent ensuite deux marchés très particuliers que les libéraux assimilent aux marchés des biens et services mais où, même si la fixation des prix se fait par la loi de l’offre et la demande, la nature de l’échange est de fait radicalement différente. Ce sont le marché du travail et le marché des capitaux car ces deux marchés ont pour caractéristique essentielle l’achat et la vente de pouvoir pour les entreprises.

 

En effet pour le marché du travail, l’échange "politiquement correct" est : l’entreprise échange un salaire contre du travail mais en réalité l’échange est clairement le suivant : l’entreprise garanti l’autonomie financière du salarié par un salaire contre un lien de subordination. Pour résumer la seule réelle liberté du salarié par rapport aux serfs du moyen âge est qu’il est libre de choisir son maître et de démissionner. Bien évidemment dans un monde démocratique, à la suite de nombreuses luttes, les modalités de cet échange ont été encadrées : temps de travail, représentation et négociations avec les partenaires sociaux, etc. Mais au final le salariat sanctuarise un espace de pouvoir privé qui est libre de toutes règles démocratiques, j’y reviendrai ci-après...

Pour le marché des actions la situation est identique, l’échange "politiquement correct" est : l’entreprise, pour lever des fonds en vue de son développement, échange des titres de propriétés et une participation aux bénéfices (les dividendes) contre de l’argent frais, en réalité, l’échange permet à l’actionnaire qui investi de l’argent de bénéficier d’un droit de propriété qui lui permet de nommer les dirigeants, avoir un droit de regard sur la stratégie et la gestion de l’entreprise. Pendant longtemps les dirigeants avaient la majeure partie de leurs capitaux investis directement dans les entreprises qu’ils dirigeaient. Leurs intérêts patrimoniaux les poussaient à avoir une vision à moyen et long terme du développement de leur entreprise. L’évolution récente de la déconnection entre les actionnaires et les dirigeants, la libéralisation et la mondialisation du marché des actions, conduisent à l’alignement des objectifs et de la stratégie des entreprises sur les intérêts à court terme d’actionnaires qui ne sont pas engagés dans la vie de l’entreprise. Le monde de fonctionnement des entreprises privées est donc devenu radicalement « capitalocrate ».


A qui profite cette confusion entretenue sur la véritable nature des échanges réalisés sur ces marchés ? Pour les deux marchés du pouvoir, une piste est de juger l’organisation de ce pouvoir dans l’entreprise à l’aune d’un des principes opérationnels* de la démocratie. En l’occurrence celui ci peut, en première approche, s’énoncer ainsi : tout détenteur de pouvoir doit être élu sur pour un mandat et une durée délimitée par les personnes sur lesquelles il exerce ce pouvoir.


Il faut d’abord déterminer l’ordre dans le quel l’entreprise a le plus de pouvoir sur les individus : c’est bien évidemment en premier lieu sur les salariés puisque l’entreprise organise leur quotidien et leur assure leur autonomie financière. En conséquence, dans un univers démocratique, le statut premier des entreprises devrait être la coopérative. Mais l’entreprise à aussi du pouvoir sur ceux qui investissent de l’argent dans son projet (ses actionnaires) : pour respecter le principe démocratique énoncé ci-dessus, ce n’est pas en fonction du montant d’action détenues mais en fonction de la part de patrimoine investie que les actionnaires devraient se répartir le pouvoir. En effet l’entreprise à plus de pouvoir sur quelqu’un qui investit tout son patrimoine que sur une personne qui n’investit qu’un pour cent de son patrimoine même si ce montant est mille fois supérieur.


L’entreprise peut aussi avoir du pouvoir sur ses clients quand elle est en situation de monopole (distributeur d’eau, cablo-opérateur,…) ou en position de force vis-à-vis de son client (par exemple les banques qui peuvent refuser le projet de leur client ou le mettre en interdit bancaire) dans ce cas la structure devrait être mutualiste. Enfin au delà des acteurs directement engagés dans l’activité économique de l’entreprise, si celle-ci représente une part importante de l’emploi local ou si elle a un impact environnemental conséquent, dans ce cas des représentant des collectivités locales concernées devraient aussi participer à la nomination des dirigeants et au contrôle de la stratégie et de la gestion de l’entreprise. Une entreprise démocratique serait donc une coopérative, à capitaux privés, mutualiste et avec une participation des élus locaux à la gouvernance.

 

On voit bien ainsi la confusion entretenue sur la réalité des échanges en revendiquant le principe de la liberté absolue des acteurs et en jetant l’opprobre sur toute réglementation n’a pour but que de maintenir une structure de pouvoir au bénéfice exclusif des détenteurs de capitaux. C’est pourquoi il est important pour les capitalistes néolibéraux d’éviter que l’assurance chômage soit trop importante et de maintenir un taux de chômage suffisant pour maintenir l’inégalité de l’échange. C’est la démonstration que le capitalisme est par nature anti-démocratique.


Il serait donc temps d’appeler les capitalistes par leur vrai nom : les Anti-démocrates.


(*en première approche les autres principes sont : tout pouvoir nécessite des contre-pouvoirs et doit régulièrement rendre compte de son mandat ; les pouvoirs exécutifs, législatifs et judiciaires doivent être strictement séparés ; la liberté d’expression et d’information doit être garantie)


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