La crise est aussi monétaire
par Grégoire Duhamel
jeudi 20 octobre 2011
Une éventuelle sortie de crise ne sera possible qu'avec une réforme du système monétaire..
La monnaie est un objet transactionnel fictif, ou disons symbolique, dont la valeur est déterminée par les deux parties, celui qui la donne et celui qui la reçoit. Dans le passé des coquillages, des plumes d’oiseau, ou des dents de chiens ont fait office de billets de banque. La monnaie a été inventée pour pallier aux insuffisances techniques du troc, trop rigide. Sa valeur s’établit de gré à gré. Voici l’exemple cité par le sociologue Paul Watzlawick à partir des notes de l’ethnologue Bateson ; celui-ci évoque les habitants d’une région de la Nouvelle Guinée, qui utilisaient de lourdes pierres pour les transactions exceptionnelles : « Un jour, en vue de régler un achat important, une de ces pierres fut transportée d’un village à un autre à travers une large embouchure. La barque chavira dans la houle et la pierre disparut à jamais dans les flots. L’incident étant connu de tous, on continua à se servir de cette pierre comme monnaie de paiement, bien qu’elle n’existât plus, pour ainsi dire, que dans la tête des participants. »
On peut distinguer plusieurs étapes dans l'évolution historique de la monnaie moderne.
Le système dit « bi-métallique « (jusqu' aux XIX ème siècle). Toutes les monnaies d’usage sont estimées à la fois par rapport à l'or et par rapport à l'Argent. Chaque État, en fonction de ses disponibilités, utilise l'un ou l'autre métal principalement, et se sert de l'autre comme appoint. Les pièces d’or et d’Argent circulent fréquemment en dehors de leur pays d’origine.
L'étalon-or (jusqu'en 1914). Les monnaies sont définies par rapport à l'or. La monnaie-papier a un équivalent rigoureux en poids d’or. Les taux de conversion de chaque monnaie sont fixes. Ce système très contraignant assure la stabilité de la monnaie et empêche l’inflation provoquée par l’augmentation de la masse monétaire (inconvénient majeur du système de change flottant) mais sa rigidité même freine la croissance.
L'étalon de change-or (1914-1971). C’est un mélange : certains pays conservent les avantages de l'étalon-or (stabilité, confiance), alors que d'autres veulent obtenir la latitude (via la « planche à billets ») d'avoir des taux de change variables. Ce système bicéphale va sombrer progressivement. Première Guerre mondiale : toutes les monnaies Européennes sont fortement dévaluées par rapport à l'or. 1922 : Conférence de Gênes. Un nouvel ordre monétaire est mis en place où seuls les USA conservent l'étalon-or classique. La livre britannique s’adosse au dollar, et les autres monnaies Européennes sur la livre britannique. 1934 : le dollar est défini comme 1/35 d'once d'or. Les citoyens états-uniens n'ont en revanche pas le droit de posséder de l'or. 1944 : Accords de Bretton Woods : le système monétaire mondial reposera dorénavant sur le dollar – la monnaie des vainqueurs – et seule devise encore indexée sur l'or (35 dollars / une once). Les Accords de Bretton Woods sont signés par 44 nations après d’interminables joutes entre 730 délégués. Le FMI et la Banque Mondiale sont créés, mais la décision principale est l'abandon de l'étalon-or au profit de l'étalon change-or ou Gold Exchange Standard. Le nouveau système consacre donc le dollar comme seule référence monétaire de l’après guerre, et les autres monnaies s’indexent sur lui. Les réserves des Banques Centrales seront dorénavant constituées de devises (c’est à dire d’un panier de monnaies ou le dollar prédomine), et non plus d'or. Le principal instigateur de ces accords est Keynes, économiste vénéré qui fut dans la pratique le petit télégraphiste de la coalition GB/USA. La France - qui comme le reste de l’Europe est plutôt affaiblie par ces accords - est à l’époque représentée par Pierre Mendès France.
1971 : les conseillers de Nixon constatent qu’après la guerre du Vietnam et le premier choc pétrolier, les Etats-Unis ne peuvent plus maintenir le prix de l'or à 35 dollars l'once, ni éviter une dévaluation du dollar ; Nixon prend la décision d’abandonner l'étalon-or en rase campagne. La convertibilité dollar / or est abandonnée le 15 août 1971 par Nixon, ce qui va permettre tous les déficits. Après une période intermédiaire, où l'on tente en vain de maintenir tant bien que mal des parités fixes, le système des changes flottants est mis en place en 1973, puis entériné par les accords de la Jamaïque (1976).
Le régime des changes flottants (mars 1973) : après la fin des accords de Bretton Woods, qui signe en réalité la naissance de la mondialisation financière, les monnaies varient entre elles librement, suivant l'offre et la demande. Il n'y a plus de contrepartie métallique à la monnaie, seulement de la dette, correspondant à la masse monétaire émise. Cette renonciation a eu des conséquences incalculables, parfois positives (le dollar n'est plus aussi prédominant) mais aussi funestes car elle a autorisé la création de monnaie en échange de promesses hypothétiques (la dette) : ce n’est pas le seul laxisme budgétaire de la classe politique des années 80 / 2000 qui explique l’endettement massif qui frappe les Etats. L'économiste russe Sergei Glazyev, président de l'Institut National pour le Développement, situe la crise des années 2000 et ses successions de krachs comme l'aboutissement d'un processus d'une quarantaine d'années qui a commencé avec l’abandon du système de taux de change fixe. « Depuis 1971, le système de la Réserve Fédérale aux Etats-Unis et de la Banque Nationale du Japon ont pompé leur monnaie dans l'économie mondiale » affirme-t-il non sans raison.
Hormis le fait que les USA ont profité du système de manière éhonté, en faisant financer leurs déficits par de la création monétaire, il faut rappeler ici que la création monétaire n’est jamais faite ex nihilo. Un organisme, souvent indépendant aujourd'hui, crée de la monnaie à proportion d’une créance, c'est à dire d’une reconnaissance de dette, : c'est un pari in abstracto risqué sur l’avenir (voir la Grèce par exemple), et c’est pourquoi le système monétaire actuel crée mécaniquement des déficits. Quel que soit le candidat élu en 2012, qu'il soit de gauche ou de droite, il devra oeuvrer au plan international avec ses partenaires européens pour une réforme approfondie du système bancaire, certes, mais aussi monétaire....