La crise financière pour les nuls II - 1ère partie

par Thomas Guénolé
lundi 11 janvier 2010

J’avais écrit il y a quelques temps, sur AgoraVox, un article intitulé « La crise financière pour les nuls » qui avait reçu un accueil très favorable des lecteurs. Voici la première partie d’une version plus détaillée et plus complète. L’idée reste la même : expliquer la crise dans des termes accessibles au plus grand nombre. Bonne lecture !

1. La montagne de dettes.

Vous pourriez choisir de n’acheter que ce que vous avez déjà les moyens de payer. Néanmoins, vous pouvez aussi emprunter de l’argent, par exemple à des proches mais plus généralement à une banque, pour acheter tout de suite ce qui ne serait dans vos moyens qu’au bout de plusieurs décennies d’épargne. Dès lors que cette possibilité existe, il est normal et humain de chercher à en bénéficier. De fait on peut affirmer que toute personne qui a la possibilité d’emprunter use, tôt ou tard, de cette possibilité.

Votre prêt auprès d’une banque suit sensiblement le même mécanisme quelle que soit la nature de ce que vous voulez acheter. Le plus connu est bien sûr le prêt immobilier : grâce à lui, vous devenez immédiatement propriétaire d’un appartement, voire d’une maison, en échange de vingt, vingt-cinq, trente ans de dettes payées chaque mois à la banque. Les choses se passent cependant de la même façon pour une voiture, les études de votre enfant, les travaux pour rafraîchir les murs de la maison, etc.

Ce mécanisme est le suivant : le montant et les intérêts de votre emprunt dépendent essentiellement de l’écart de valeur entre d’un côté, ce que vous voulez, et de l’autre, ce que vous possédez et gagnez déjà. Plus cet écart est faible, plus la banque considèrera qu’il y a peu de risques que vous n’arriviez plus à rembourser chaque mois votre emprunt ou que, au pire, elle trouvera chez vous des biens à saisir pour rentrer dans ses frais. En d’autres termes, plus vous êtes riche, plus vous bénéficierez de prêts aux montants élevés et aux intérêts faibles, et plus vous êtes pauvre, plus vos prêts auront des montants faibles et des intérêts élevés.

Notez que pour un type d’achat donné, plus la pratique du prêt se banalise, plus les prix augmentent. Prenons l’exemple des biens immobiliers. Lorsque les prêts immobiliers n’étaient pas encore d’usage courant, les particuliers ne pouvaient acheter un bien immobilier qu’à des prix beaucoup plus bas qu’actuellement. Cela forçait les propriétaires, s’ils voulaient vendre, à s’aligner sur cette capacité d’achat. Depuis, le prêt immobilier est totalement entré dans les moeurs. Les acheteurs ont donc pu mobiliser plus d’argent, mais réciproquement, les vendeurs ont pris en compte ce changement et ont donc augmenté leurs prix. C’est par conséquent un retour à la situation d’avant les prêts immobiliers, à la différence près que depuis lors vous devez vous endetter plusieurs décennies pour acquérir un appartement. On soulignera cependant, pour mémoire, que si l’existence des prêts pousse les prix immobiliers à la hausse, en revanche la hausse des prix immobiliers n’a pas pour seule cause l’existence des prêts (voir chapitre 10).

En plus de vos dettes en tant que particulier, existent aussi les dettes des entreprises. Lorsqu’une entreprise naît, il est en effet extrêmement rare que son ou ses fondateurs aient à eux seuls assez d’argent pour financer son lancement ; et s’ils l’ont, ils décident alors de voir plus grand en prenant en compte ce qu’une banque va être prête à leur prêter. Dans les deux cas, l’argent d’une ou de plusieurs banques s’ajoute à l’argent des fondateurs et, le cas échéant, de leurs proches ou de leurs associés.

Lorsqu’une entreprise a dépassé le stade de la naissance, elle se retrouve dans la même situation que vous lorsque vous décidez d’emprunter pour acheter quelque chose tout de suite, au lieu d’économiser des années pour en avoir les moyens. Mais si vous pouvez vous endetter, l’entreprise, elle, doit s’endetter. Chaque mois, elle emprunte de l’argent à la banque, ce qui lui permet de faire fonctionner la machine et de gagner de l’argent, argent sur lequel elle prélève en fin de mois ce qu’elle doit à la banque intérêts inclus, et ainsi de suite mois après mois. En outre, l’entreprise peut souhaiter emprunter de l’argent pour se développer : renouveler son équipement, agrandir ses points de vente, etc.

Une entreprise qui a des dettes est donc une entreprise absolument normale. Quant au mécanisme qu’applique une banque à la demande de prêt d’une entreprise, ce sera sensiblement le même que celui qu’elle vous applique à vous. La banque mesure l’écart entre d’un côté, les bénéfices de l’entreprise et ce qu’elle possède déjà, et de l’autre, le montant qu’elle veut emprunter. Notez cependant qu’une entreprise, si elle le souhaite et à condition d’avoir atteint une certaine taille, peut cependant ne pas s’adresser à une banque pour emprunter de l’argent, et préférer entrer en bourse (voir partie 3).

En plus de vos dettes en tant que particulier et des dettes des entreprises, existent aussi les dettes des banques. De fait les banques ne se contentent pas de vous prêter de l’argent et d’en prêter aux entreprises. Elles ont aussi des activités de dépôt, en cela qu’elles montent la garde sur l’argent que vous leur confiez et que leur confient les entreprises. Cela étant, écrire qu’elles veillent sur votre argent serait abusif : en réalité, elles le placent sur les marchés financiers (voir chapitre 5). Selon qu’elle perd de l’argent sur ces marchés financiers ou qu’elle affronte toute autre sorte de coup dur, une banque peut donc être amenée à devoir emprunter de l’argent. La banque fera alors la même chose que vous, la même chose qu’une entreprise : elle s’adressera à une banque, qui appliquera encore et toujours le même mécanisme.

En plus de vos dettes en tant que particulier, des dettes des entreprises et des dettes des banques, existent enfin les dettes des Etats. Lorsqu’un Etat dépense plus que ses revenus, principalement issus des taxes, il vend sur les marchés financiers des reconnaissances de dettes, qu’on appelle des obligations d’Etat. Ces obligations d’Etat sont ensuite achetées par des investisseurs, attirés par le fait qu’ils soient quasiment certains d’être remboursés. Par exemple, les compagnies d’assurance sont très friandes d’obligations d’Etat, par prudence et parce que la loi les force à investir de cette façon l’écrasante majorité de leur argent. L’Etat peut par ailleurs émettre des obligations d’Etat pour faire des dépenses d’investissement dont il n’a pas encore les moyens, comme une entreprise lorsqu’elle renouvelle ses équipements.

Le montant de ces obligations dépend d’à quel point l’Etat concerné a besoin d’argent pour se maintenir. Leur taux d’intérêt, c’est-à-dire combien l’Etat devra rembourser mensuellement en plus de cette dette pour qu’on accepte de lui acheter ses obligations, dépend de la confiance que les investisseurs ont dans sa capacité à honorer ses dettes. Pour prendre un exemple, lorsque l’Argentine a connu dans les années 90 une crise économique de très grande ampleur, le taux d’intérêt de ses obligations d’Etat a logiquement grimpé en flèche.

Il n’y a donc pas lieu de culpabiliser si vous êtes un multirécidiviste du crédit ou de l’emprunt. Dites-vous bien que c’est une pratique extrêmement courante et que vous, moi, les entreprises, les banques, les Etats, nous avons bâti et nous bâtissons encore, tous ensemble, une montagne de dettes.

2. Au fait, quelle est la différence entre l’économie et la finance ?

Les deux termes sont si souvent utilisés de manière interchangeable qu’on finit par oublier la différence. Il y en a pourtant une. Elle ne se limite pas, contrairement à la perception commune, à une séparation entre d’un côté de l’argent qui s’agite en vase clos, et de l’autre la vraie vie économique des vrais gens surnommée l’économie réelle. Elle ne se limite pas non plus, derrière cette séparation, à une frontière fermée entre le monde du travail et le monde du capital.

En théorie et pour résumer, la finance fait partie de l’économie et elle est à son service : comme son nom l’indique, elle sert à la financer. Si les marchés financiers sont des marchés, c’est parce que comme les marchés aux fruits et légumes, ils permettent à une offre de rencontrer une demande. L’offre d’actions de l’entreprise lambda remplace l’offre de pommes de fraîcheurs diverses, tandis que la demande d’actions d’une entreprise qui gagne de l’argent remplace la demande de pommes à la chair ferme. Et si les marchés financiers sont financiers, c’est parce que c’est au sujet du financement des entreprises que l’offre et la demande s’y rencontrent.

Toujours comme sur un marché aux fruits et légumes, les prix seront négociés ; les acheteurs présents tôt et à l’affût des opportunités auront les meilleurs fruits ; les acheteurs tardifs ne pourront s’offrir que les légumes dont personne ne veut ; les vendeurs qui vantent bien fort la qualité vérifiable de leurs produits attireront davantage d’acheteurs et pourront vendre leurs fruits à un meilleur prix ; les vendeurs les moins scrupuleux n’hésiteront pas à glisser dans un sachet de fraises fraîches quelques fraises périmées vendues au prix de la bonne marchandise. Il serait facile d’égrener les termes techniques spécifiques des marchés financiers, de détailler les procédures, de lister les cas auxquels s’apparentent ces comparaisons. Ces dernières suffisent cependant pour comprendre le mécanisme.

S’il est entendu que la finance sert à financer l’économie et qu’une offre et une demande se rencontrent sur les marchés financiers pour y parvenir, reste à définir l’économie elle-même. Contentons-nous ici de la formule connue selon laquelle l’économie, c’est la gestion des demandes potentiellement illimitées de biens en quantités limitées. En d’autres termes, l’espèce humaine fait de son mieux dans son environnement pour produire ce dont elle a besoin, le cas échéant après l’avoir inventé, et pour se partager cette production : cet ensemble d’efforts constitue l’activité économique.

3. Grandes entreprises, grandes parts du gâteau ; part des grandes entreprises, petite part du gâteau.

Nous avons vu qu’au lieu d’emprunter de l’argent, une entreprise peut, si elle le souhaite et à condition d’avoir atteint une certaine taille, entrer en bourse. La taille de l’entreprise est mesurée par des experts mais pour l’essentiel, ces derniers se limitent à regarder quelle somme d’argent l’entreprise génère comme bénéfices. Une fois le feu vert obtenu, l’entreprise peut entrer en bourse de deux manières.

La première manière est de vendre, comme les Etats, des reconnaissances de dette. Comme pour les Etats, ces reconnaissances de dette s’appellent des obligations. Ces obligations sont achetées par des investisseurs. Leur montant dépend d’à quel point l’entreprise concernée a besoin d’argent pour se remettre à flot ou pour faire de nouveaux investissements. Leur taux d’intérêt, c’est-à-dire combien l’entreprise devra rembourser mensuellement en plus de cette dette pour qu’on accepte de lui acheter ses obligations, dépend de la confiance que les investisseurs ont dans sa capacité à honorer ses dettes. Le propriétaire d’une obligation a ensuite droit à des intérêts tous les mois jusqu’à ce que, à la fin de l’équivalent d’une date limite de consommation, l’entreprise lui rembourse la totalité de la dette.

La seconde manière est de se vendre elle-même, morceau par morceau. Ces morceaux sont des titres de propriété de valeur égale, ce qui signifie que s’il y a cent titres de propriété, celui qui en achète cinq possède davantage l’entreprise que celui qui en achète trois. Ces morceaux s’appellent des actions. Le prix de vente de chaque action est un point d’équilibre entre l’argent que l’entreprise veut obtenir au total et l’argent que les acheteurs en bourse sont prêts à payer. Le propriétaire d’une action touche des dividendes, c’est-à-dire une partie des bénéfices de l’entreprise, à chaque fois que cette dernière décide de distribuer des dividendes aux actionnaires. Pour l’anecdote, notez que ce genre de décision est prise par... un vote des actionnaires eux-mêmes.

Ceci dit, notez bien que les entreprises qui génèrent suffisamment de bénéfices pour avoir le droit d’entrer en bourse ne représentent pas du tout l’essentiel de notre activité économique. Souvenez-vous : l’espèce humaine fait de son mieux dans son environnement pour produire ce dont elle a besoin, le cas échéant après l’avoir inventé, et pour se partager cette production ; cet ensemble d’efforts constitue l’activité économique. Or si on considère le nombre de personnes employées, l’essentiel de cette activité, et de très loin, est exercé par des entreprises de petite taille, voire de très petite taille.

En revanche, par définition, les entreprises qui génèrent suffisamment de bénéfices pour avoir le droit d’entrer en bourse en génèrent précisément beaucoup plus que les autres entreprises. Or là aussi, souvenez-vous : les marchés financiers servent à financer l’activité économique.

Les marchés financiers financent donc en priorité des entreprises qui représentent comparativement beaucoup de bénéfices mais peu de personnes employées.

La suite au prochain épisode.

Thomas Guénolé


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