La « croissance verte » imaginée par Michel Aglietta

par samuel_
jeudi 24 février 2011

 Lors d'une conférence il y a quelques temps, Michel Aglietta a présenté comment selon lui, on pourrait faire revenir la croissance et l'emploi en France. Dans les songes de notre bon géant de la science économique, il y a une mutation de l'activité en France, vers une activité à haute valeur ajoutée, dans les technologies environnementales. Il y a aussi des protections, contre une concurrence à armes trop inégales avec le reste du monde, pour les entreprises qui se lanceraient en France dans ces activités "vertes". Il y a enfin une source de financement contrôlée par l'État, pour financer les investissements de ces entreprises.

 La place de l'État est primordiale dans la solution d'Aglietta. C'est l'État qui protège d'une concurrence à armes trop inégales, par des droits de douane sous forme de "taxe carbone", par des subventions aux activités "vertes", et par une dévaluation de 20% de la monnaie locale. C'est encore l'État qui apporte le financement, en créant et contrôlant un fonds d'investissement, noté AAA par les agences de notation grâce à la confiance qu'elles ont dans sa solvabilité ; grâce à cette note le fonds attire facilement les investisseurs privés. C'est surtout l'État qui donne une orientation générale à l'activité en France, comme au bon vieux temps du "commissariat au plan" qui guida l'activité française lors de la reconstruction d'après-guerre et lors de la suite des 30 glorieuses. Comme si les entreprises avaient besoin d'un guide, et comme si la "main invisible" ne pouvait pas à elle toute seule guider l'activité de tout un pays.

 On comprend comment la "croissance verte", telle que conçue par Aglietta, peut fonctionner. Grâce à la protection de l'État contre une concurrence à armes trop inégales, et grâce à la haute valeur ajoutée des activités "vertes", les entreprises anticipent qu'elles peuvent avoir des projets de telles activités en France, qui peuvent être viables et rentables. Grâce au fonds d'investissement de l'État, elles trouvent un financement pour leur projet. Puis elles embauchent, renouvellent leur appareil productif, et produisent. Puis elles vendent grâce à nouveau aux protections et à la haute valeur ajoutée de leur production ; ces ventes leur permettent alors de rembourser le fonds d'investissement qui s'est fait leur créancier. Ce cycle vertueux peut ensuite se répéter pendant plusieurs décennies, jusqu'à ce qu'un jour il s'essouffle. Le mode de croissance keynésien, qui fonctionna si bien lors des 30 glorieuses avant de s'essouffler, renait donc de ses cendres dans l'esprit d'Aglietta.

 Mais le phœnix renait sous une forme renouvelée. La nouvelle couleur du plumage du phœnix, est bien sûr le "vert", il évoque un monde rempli d'éoliennes, de voitures électriques, de bâtiments en bois couverts de plantes. Le phœnix porte aussi quelques plumes dorées très bling-bling, à la mode en ce début de XXIème siècle, puisque l'État ne finance plus l'investissement en accordant simplement des crédits, il détient plutôt un "fonds d'investissement" noté "AAA" par les "agences de notation". Enfin, le phœnix porte en collier les étoiles européennes, car dans l'idée d'Aglietta, l'État c'est l'Union Européenne, et la monnaie dévaluée de 20%, c'est l'euro.

 "Haute valeur ajoutée", "technologie", "écologie", "Europe", "innovations financières" : sous son habit très à la mode, le projet d'Aglietta pour faire revenir la croissance et l'emploi en France, peut quand même frapper par son cousinage avec des projets d'économistes souverainistes, plus prosaïquement tournés vers une "ré-industrialisation" de la France, plus prosaïquement basés sur une "politique industrielle", un "pôle public de crédit", une "dévaluation" et du "protectionnisme". Voilà notamment comment Jacques Sapir (qui fut l'élève d'Aglietta et est proche de son courant régulationniste) résume son projet, dans une interview donnée il y a quelques temps : « Concrètement, il faut combiner des mesures protectionnistes ciblées et de grande ampleur avec une dévaluation d’au moins 20%. Il faut ajouter, et je pense que c’est évident, que de telles mesures ne sauraient remplacer une politique industrielle. Le protectionnisme est la condition nécessaire à une telle politique, mais non la condition suffisante. ... Il faut comprendre que, dans la conjoncture actuelle, quand Gréau ou moi parlons du protectionnisme c’est bien aussi la politique industrielle que nous avons en tête. ... En fait, pour ma part, je considère le protectionnisme comme l’élément déclencheur mais ne résumant point toute une politique de ré-industrialisation et dans laquelle j’inclus la constitution d’un pôle public du crédit ainsi que la participation de l’État ainsi que des collectivités territoriales à certaines activités. »

 Les correspondances sont nombreuses entre les projets de Sapir et d'Aglietta : ré-industrialisation / "croissance verte", protectionnisme ciblé / "taxe carbone" et subventions à l'activité "verte", dévaluation de 20% / idem, pôle public de crédit / "fonds d'investissement" contrôlé par l'État. Mais les mots d'Aglietta sont bien plus porteurs de "rêve" que ceux de Sapir ! "Il faut dire aux gens ce qu'ils veulent entendre, ce qui n'empèche nullement de leur proposer ce qu'on veut" : est-ce la leçon de malice que les souverainistes peuvent recevoir d'Aglietta ?


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