La dette publique est-elle légitime ?
par Laurent Herblay
samedi 8 juin 2013
Dans un papier sur Slate, Vincent Le Biez, secrétaire national à l’UMP conteste le raisonnement de Jean-Luc Mélenchon et de Nicolas Dupont-Aignan sur la dette publique, à savoir qu’elle serait en partie illégitime. L’occasion d’une réponse pour démontrer qu’un tel débat est parfaitement légitime.
De l’art d’esquiver le débat
S’il dénonce les « sophismes » de ces opposants, il n’est pas le dernier à y recourir ou à détourner le débat. La thèse qu’il conteste est que « la dette actuelle de l’Etat est illégitime en ce qu’elle est constituée pour l’essentiel de l’accumulation des intérêts versés par la France ». Tout d’abord, il commence par dénoncer la « thèse complotiste qui vise à faire de cette loi (de 1973) adoptée sous Georges Pompidou la source de tous nos maux ». Mais non seulement ce n’est pas le sujet, mais on peut soutenir cette thèse sans s’y référer et il est bien évident que nos maux ont plusieurs raisons.
Vincent Le Biez continue son papier par une digression totalement inutile sur le fait qu’un ratio cumul des intérêts payés / PIB n’a pas de sens. Outre le fait que l’on a bien le droit de calculer les ratios que l’on souhaite en économie, c’est sans doute un moyen d’embrouiller le débat par des questions totalement anecdotiques. Dans un second temps, il cherche à légitimer le recours au crédit en général en soulignant qu’un emprunt peut effectivement être rentable, même en prenant en compte le coût des intérêts versés. Mais cela n’a toujours rien à voir avec le problème évoqué.
Puis il soutient que les investissements peuvent être financées en empruntant, mais pas les dépenses sociales ou de fonctionnement. Il essaie de faire peur en disant que ce serait une catastrophe si l’Etat s’endettait à taux nul et sans limites, ce que personne n’a proposé (André-Jacques Holbecq évoquait le chiffre de 2.5% du PIB)… Enfin, il affirme que le taux d’intérêt auquel l’Etat emprunte doit être comparable au taux de croissance moyen de l’économie, ce qui est totalement le contraire aujourd’hui dans la zone euro puisque l’Allemagne a les taux les plus bas et la Grèce les plus hauts.
Le vrai débat porte sur la monnaie
En fait, Vincent le Biez passe complètement à côté du débat qu’il prétend pourtant nourrir. Tout d’abord, il faut bien constater que depuis plusieurs décennies, plus de deux-tiers de l’augmentation de la dette publique correspond aux intérêts payés par l’Etat. Ici, il faut remercier André-Jacques Holbecq qui a été un pionnier de cette analyse avec son livre « La dette publique, une affaire rentable ». Comme il le rappelle dans « Le manifeste pour que l’argent serve au lieu d’asservir », sur les 1150 milliards d’augmentation de la dette publique depuis 1994, 815 correspondent aux intérêts payés.
Ce chiffre est un fait incontestable, à verser dans le débat public. L’auteur biaise le débat sur le financement de l’Etat à taux nul en présentant une version apocalytique où l’ensemble de nos dépenses serait financée par la création monétaire, sans même recourir à l’impôt. Cela est totalement ridicule. Plusieurs questions se posent aujourd’hui. Tout d’abord, il faut bien constater que le Japon, les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne sont aujourd’hui largement financés par leurs banques centrales, ce qui démontre qu’il est possible pour un Etat de s’endetter à taux nuls. Pourquoi pas nous ?
Plus globalement, on peut se demander s’il ne serait pas plus légitime que la monnaie soit créée par l’Etat au lieu des banques privées. C’est ce que disent les keynésiens chartalistes ou les libéraux favorables au 100% monnaie, comme Jean-Luc Gréau ou Maurice Allais, pour qui « il est aujourd’hui paradoxal de constater que lorsque, pendant des siècles, l’Ancien Régime avait préservé jalousement le droit de l’Etat de battre monnaie et le privilège exclusif d’en garder le bénéfice, la République démocratique a abandonné pour une grande part ce droit et ce privilège à des intérêts privés ».
Parce que dans la plupart des pays, la banque centrale peut financer (de facto gratuitement) l’Etat, parce que la création de la monnaie devrait être du ressort de la puissance publique, le débat sur la légitimité de la dette publique est plus que pertinent. Il sera un enjeu majeur des prochaines échéances.