La double malédiction des taux dans la zone euro

par Laurent Herblay
jeudi 8 novembre 2018

La remontée des taux d’intérêt italiens depuis le résultat des élections du printemps ranime cette crise de la zone euro qui avait duré plus de cinq ans, et s’était conclue avec une déclaration de Mario Draghi, puis, plus tard, la soumission d’Alexis Tsipras. Ce retour des tensions des marchés autour des dettes souveraines européennes en dit long sur les vices de forme de l’euro.

 

Les Etats soumis aux humeurs des esprits animaux des marchés
 
Depuis le succès électoral du Mouvement 5 étoiles et de la Ligue, le taux à dix ans auquel emprunte l’Etat italien a pris plus de 150 points de base, tournant autour de 3,5% aujourd’hui au lieu de 1,5 à 2% il y a moins d’un an. A terme, le surcoût pourrait représenter une augmentation de la charge de la dette de plusieurs dizaines de milliards d’euros par an ! Néanmoins, il ne faut pas oublier que la dette à long terme qui vient à échéance aujourd’hui a très souvent un coût encore plus élevé, et le taux actuel représente en fait une économie. Ensuite, la durée des échéances fait que son renouvellement n’est que partiel chaque année. Et enfin, une majeure partie de la dette est détenue en Italie.
 
Cependant, cette évolution n’en reste pas moins délicate. Pendant près de 4 ans, les taux tournaient autour de 2%. La remontée à l’œuvre depuis ce printemps n’est donc pas neutre pour une économie habituée à des taux plus bas, sans pour autant que cela ait permis une forte croissance. Cette hausse risque de peser sur les investissements des entreprises et des ménages. En ce sens, la réponse du gouvernement est cohérente : il est probablement nécessaire que l’Etat dépense plus et mette fin à l’austérité pour ne pas accentuer davantage les pressions déflationnistes. Mais la relance pourrait accentuer les tensions sur les taux, dans un cercle vicieux aux conséquences imprévisibles.
 
Ce qui est intéressant ici, c’est de voir à quel point la zone euro abandonne les Etats à la pression des marchés. En effet, la conjugaison de l’indépendance de la banque centrale et de la liberté de circulation des capitaux ne leur donne aucune latitude d’action face aux mouvements d’humeur des marchés. Seule la BCE peut encore les calmer à coup de rachats massifs de titre ou de promesse de « faire ce qu’il faudra  ». A contrario, la banque d’Angleterre a pu soutenir son économie après le référendum. Mieux encore, le Japon peut augmenter des déficits importants malgré une dette bien plus élevée du fait du contrôle de l’Etat, qui peut décider d’une monétisation massive de la dette publique.
 
Mais la zone euro, ce ne sont pas seulement les inconvénients de l’ordre économique ultralibéral. S’y ajoute tous les vices de cette taille unique pour des économies fondamentalement différentes. En effet, dans une même zone monétaire, il y a une prime pour les pays les plus stables, au détriment des autres. Cette fuite vers les actifs les plus sûrs fait qu’en période de tension, les primes de risque s’envolent, accentuant les difficultés des pays déjà en difficulté, dans un cercle vicieux accentuant la crise, comme nous l’avions vu lors de la crise de la zone euro. Et le tout provoque une course au moins disant social qui a produit une effarante augmentation de la pauvreté, partout, y compris en Allemagne.
 
 
Les vices de forme de cette union monétaire font que l’issue est déjà connue : comme les autres unions monétaires, elle finira par être démontée. Reste à savoir quand. Malheureusement, comme je le soutiens depuis le début de la crise de la zone euro, cela pourrait prendre du temps, tant les eurocrates feront tout pour se sauver. Mais ce qui se passe en Italie pourrait accélérer les choses
 
 
En complément, un remarquable papier de Jacques Sapir démontrant les méfaits de l’euro pour la France, et un papier qui montre comment avoir sa monnaie permet de soutenir son économie avec le cas de la Banque d’Angleterre juste après le référendum sur le Brexit

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