La Fed peut-elle faire faillite ?
par Michel Santi
lundi 17 janvier 2011
L’impensable pourrait-il se produire ? La vénérable et toute puissante Réserve Fédérale américaine est-elle susceptible de devenir insolvable ? La maîtresse absolue de la politique monétaire US scrutée religieusement par investisseurs, analystes mais également par ses consœurs les autres banques centrales, cette Fed qui s’est révélée championne absolue de la planche à billets à la faveur de la crise financière et qui a raflé pour 2’000 milliards de titres adossés à des hypothèques afin de maintenir sous contrôle les coûts de financement immobiliers peut-elle faire banqueroute ? De fait, cette stratégie très peu orthodoxe lui a permis de réaliser en 2010 des profits estimés à 74.4 milliards de dollars par le Département de la Trésorerie même si l’expansion hyperbolique de son bilan (via ces acquisitions d’obligations en tous genres) l’exposent à des pertes potentielles dont l’ampleur pourrait remettre en cause son indépendance et, bien-sûr, sa crédibilité.
Son Président, Ben Bernanke, minimise certes les risques considérables constitués par des engagements de son établissement qui sont près de dépasser ses actifs. Néanmoins, une remontée des taux d’intérêts dans une conjoncture d’économie à la croissance faible représenterait le scénario quasi cauchemardesque craint tout à la fois par les responsables de la Réserve Fédérale que par le Gouvernement US. A l’évidence, Bernanke tente-t-il de dédramatiser en évoquant (la semaine dernière face au Congrès) le « pire des scénario » – « worst-case scenario » – qui se résumerait, selon lui, à ce que la Trésorerie ne reçoive plus de dividendes de la part de la Fed « pendant quelques années » si « les taux d’intérêts devaient monter de manière significative »… En effet, la Réserve Fédérale distribue-t-elle régulièrement ses surplus à la Trésorerie de son pays. Pour autant, un raffermissement inopportun des taux survenus dans un contexte de croissance molle impliquerait des pertes non négligeables sur son immense portefeuille obligataire qui contraindrait alors l’Etat américain à la recapitaliser !
Ce « bail-out » en bonne et due forme – qui ne doit absolument pas être exclu – serait la « réponse du berger à la bergère » et constituerait dès lors l’ironie suprême car, comme on le sait, c’est la Fed qui s’est employée activement jusque là à sauver les établissements financiers de son pays… Pourtant, la stratégie de sortie des baisses de taux quantitatives qui consisterait non seulement à interrompre ces achats d’obligations mais également à les revendre progressivement pourrait s’avérer désastreuse pour la Fed si elle était concomitante à un raffermissement des taux d’intérêts. Cette conjonction résulterait en fait en une faillite – théorique certes – de la Réserve Fédérale US qui devrait alors encaisser des pertes colossales car, par définition, les prix des obligations baissent quand leur rendement ou quand les taux évoluent en sens inverse !
C’est ainsi que ses avoirs actuels de l’ordre de 1’000 milliards de dollars en Bons du Trésor lui feraient subir une perte de 100 milliards si leur valeur devait se déprécier de 10%. Par ailleurs, des calculs de Reuters ont récemment conclu que chaque point de base de fluctuation de marché adverse totaliserait une perte de 65 millions de dollars sur son portefeuille en Bons du Trésor à 5 et à 6 ans. Toujours selon les extrapolations de cet analyste de Reuters, la Fed serait aujourd’hui perdante de 2’300 milliards de dollars sur ses seules acquisitions obligataires contractées depuis le 23 Novembre dernier. Certes, la capacité thaumaturgique de la Fed à imprimer de la monnaie écarte d’emblée le spectre de sa faillite … à condition que le billet vert demeure la monnaie de réserve mondiale, que ses Bons du Trésor fassent toujours l’objet d’une certaine ferveur de la part de l’épargne mondiale et que l’inflation soit plus ou moins maîtrisée…