La fin du capitalisme attendra encore un peu...

par Bruno de Larivière
mardi 27 octobre 2009

Deux économistes américains tirent les choses au clair dans un article consacré à la crise des subprimes. Kent Cherny et Yuliya Demyanyk travaillent à la Réserve Fédérale de Cleveland. Avec un recul de plusieurs mois, ils synthétisent plusieurs études récentes. Leurs conclusions dénotent, car ils contredisent autant les avis autorisés que les verdicts hâtivement prononcés sur la crise du capitalisme dérèglementé. Certes, l’annonce d’un décès imminent du capitalisme sert d’exutoire à ses adversaires les plus enragés. Nombre de questions restent toutefois sans réponse satisfaisante même si chacun s’accorde sur l’idée générale. Il y a une vingtaine d’années, les prix de l’immobilier ont fortement augmenté sous l’effet - entre autres - de l’élargissement de la clientèle contractant des prêts hypothécaires.

Aux Etats-Unis, tout le monde a profité du crédit facile, et pas seulement les ménages les moins solvables, comme on l’a cru un temps. Certes, ces derniers rentraient dans la catégorie des emprunteurs à risque. Mais les organismes prêteurs ont logiquement cherché à contrebalancer leurs engagements avec une clientèle plus classique, caractérisée par une bonne solvabilité. Dans ces années 2000, l’achat d’une maison et les crédits à la consommation sont devenus tellement anodins que nombre d’Américains aisés - c’est-à-dire les plus libres dans leurs choix - ont opté pour le crédit subprime. Le crédit deux sur vingt-huit offrait par exemple la possibilité de rembourser la dette pendant deux années à taux fixe, puis vingt-huit ans à taux variable : en quelque sorte une confiance aveugle dans un avenir radieux.

Les prêteurs ont ensuite créé des produits financiers complexes pour répartir leurs risques (titrisation). Ceux-ci devenaient attractifs mais les ré-acheteurs ne méconnaissaient pas les principes du jeu. L’étiquette supbprime a fini par perdre son sens premier, regroupant des endettés pauvres et des endettés riches. Cet aspect de la crise n’a pas échappé aux observateurs. « Entre 2000 et 2006, un million d’emprunteurs environ ont eu recours à un crédit subprime pour financer l’achat de leur premier logement. » La proportion des propriétaires par rapport aux locataires a cependant peu varié au cours de cette période. Beaucoup d’acheteurs n’ont pu en effet honorer les échéances de leur crédit, pour certains quelques mois à peine après avoir signé leur acte d’achat. Le nombre de défauts chez les emprunteurs a cru au cours de la décennie 2000 : 10 % en moyenne entre 2001 et 2005, puis 20 % en 2006 - 2007.

Comme les prix de l’immobilier suivaient une course inverse à celle des taux des emprunts hypothécaires, beaucoup de particuliers ont renouvelé l’expérience - parfois à plusieurs reprises. On a accusé ces spéculateurs d’avoir déséquilibré le marché et précipité l’éclatement de la bulle immobilière. Malheureusement, les faits donnent tort à cette simplification ! Les études démontrent que les multipropriétaires ont mieux remboursé leurs dettes que les autres… De la même façon, les emprunts à taux variables n’ont pas provoqué plus de défauts sur le long terme. [1] La critique des emprunts à taux variable cachait en réalité une critique du système financier dans son ensemble : en particulier la vogue des resets ou transformation de la dette (taux fixe vers taux variable). Dans le cas particulier des prêts hypothécaires dits hybrides, certaines banques ont attiré le chaland avec des taux d’entrée attractifs (teasing rates). Mais les études montrent qu’une fois la première phase terminée, les taux restaient en deçà d’un plafond acceptable, passant de 2-3 % à 7-10 %. [Source Telos]

Même aux Etats-Unis, on a crié à la dissimulation, ou pire au complot des banques sur le dos des pauvres gens. L’explosion des défauts bancaires et des saisies immobilières en 2007 a incité à ne pas sonder très en profondeur les racines du problèmes. L’arbre étend toujours son ombre. Il faudra peut-être songer à l’abattre, qui sait ? En attendant, les difficultés demeurent. En cette fin d’année 2009, 1.500.000 Américains ont subi une procédure d’expulsion (Courrier International). La menace d’une saisie plane au-dessus de nombreux ménages, en moyenne un sur 159 au premier trimestre, d’après Le Point. La presse outre-Atlantique parle en cette fin de semaine d’un éventuel dépôt de bilan pour le groupe Capmark Financial, spécialisé dans l’immobilier commercial. Je ne souhaite pas ici revenir sur les mécanismes de la bulle immobilière, en Californie, en Espagne ou en France.

La financiarisation de la vie économique revêt bien d’autres aspects, devenant probablement un trait caractéristique du monde occidental. J’en citerai deux exemples parmi d’autres, sans prétendre apporter d’autres lumières que celles d’un géographe peu éconoclaste  : le carry trade et les fonds de pension. Au sujet du premier, les technologies de communication instantanée ont offert la possibilité de jouer en temps réel sur les écarts entre grandes zones économiques, en empruntant ici à taux bas (dollar) et en plaçant là à taux plus élevés (zone euro). Concernant les seconds, des milliers de retraités plus ou moins aisés ayant placé leurs économies, les fonds de pension ont grossi au point de surpasser les investisseurs traditionnels. On leur a reproché d’être obnubilés par des taux rendements indus et de ne pas savoir raisonner sur le long terme. Je note surtout qu’ils ont succombé à l’attrait des placements immobiliers jugés plus rémunérateurs.

Le mot attrait ne parle pas assez. Car les Américains ont pleinement accompli leur destinée manifeste, celle de coloniser sans cesse de nouveaux territoires. Tout comme dans les années 1820 la construction du canal de l’Erié a servi à relier la vallée de l’Hudson aux Grands Lacs et à faciliter le transit entre la côte Est et l’Ohio, la construction de nouvelles routes et autoroutes a facilité au XXème siècle la croissance urbaine et multiplié les taches urbaines. Le rêve de propriété de chacun a rencontré le destin géopolitique de tous, à l’échelle du continent. Aujourd’hui même, le plan de relance de l’administration Obama essaie de réanimer un foyer à moitié éteint.

A Pittsburgh, « Le directeur de l’Allegheny County Housing Authority (Acha) doit avant mars prochain signer pour 7,7 millions de dollars de contrats de construction, démolition et rénovation immobilière. Tous ces travaux devront avoir été effectués d’ici à deux ans. […]. Frank Aggazio dirige l’établissement du comté de Pittsburgh qui gère un parc de 3.300 logements sociaux. Ils sont loués à des habitants qui travaillent souvent dans le domaine de la santé, dont les revenus doivent se situer sous le seuil de 80 % du revenu moyen national. Aux 7,7 millions de dollars s’ajoutent 6 millions de dollars d’appel d’offres remporté par Acha dans le cadre du même plan. Premiers effets de cette manne, FranK Aggazio a dû embaucher et fait travailler cinq cabinets d’architectes sur ses projets : un million d’euros pour améliorer l’accessibilité des personnes âgées à ses logements ou trois millions d’euros pour des projets verts comme l’isolation des logements existants et leur chauffage par géothermie. »

Il y a un hic. A Pittsburgh comme dans le reste de la ceinture rouillée du nord-est (Et pourtant, ils tournent en rond), la population vieillit, abandonne les périphéries (Clint casse la barraque) et tend à se retirer dans les parties centrales de grandes villes. Qui regrettera la diminution de la facture énergétique occidentale résultant d’un tel changement ? Les transports en commun et les économies d’énergie sont rendus possibles grâce à une densité urbaine minimale. Le gouvernement américain va donc, lui, à contre-courant (Petits travers des grands travaux). Mon sentiment est qu’il ne parviendra qu’à bloquer le processus, en provoquant le maintien artificiel d’aires urbaines en taches de léopard. Les prix de l’immobilier stagneront sans que les saisies et les défauts de paiement s’arrêtent. Ainsi, je donne peut-être raison aux prophètes de malheur, mais dans un futur vague… La fin du capitalisme attendra encore un peu !

PS./ Geographedumonde sur les Etats-Unis : ‘Le Nouveau Monde’, comme une ode à l’Ancien MondeClint casse la baraquePetits travers des grands travaux, Wild wild Midwest, l’approvisionnement électrique de la Floride, le vieillissement de la population dans le nord-est, le départ des mafieux new-yorkais, le pb des biocarburants ; sur la Californie (un, deux et trois).

[1] « Il se trouve que les prêts les plus anciens avaient tendance à présenter de meilleures performances, et que les taux fixes ont perdu de leur popularité de 2001 à 2007 ; chaque année on signait moins d’emprunts de ce type. Or les nouveaux prêts ont présenté un taux de défaut plus élevé que les plus anciens. Cela valait pour les nouveaux prêts à taux fixes, mais ils étaient cachés dans le vaste stock des anciens prêts à taux fixe. Par contraste, les défauts des nouveaux prêts à taux variable étaient d’autant plus visibles qu’ils représentaient une proportion plus élevée du stock total. Si nous comparons la performance des prêts à taux fixe et à taux variable contractés la même année, nous trouvons qu’au bout d’un an, les prêts à taux fixes signés en 2006 et 2007 présentaient un taux de défaut de 2,6 et 3,5 fois ceux signés en 2003. Les taux de défauts des prêts à taux variables, quant à eux, ne représentaient en 2006 et 2007 que 2,3 fois et 2,7 fois les chiffres de 2003. » [Source Telos]

Incrustation : La fin du capitalisme.


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