La finance, vampire de l’économie

par Laurent Herblay
samedi 12 juillet 2014

C’est le genre de papier qui montre tout l’intérêt qu’il y a à lire The Economist. Outre le fait d’être une fenêtre sur la pensée des élites globalisées sous influence anglo-saxonne, on y trouve aussi des pépites qui démontrent tous les failles du système que le journal promeut.

Le grand bond en avant de la finance
 
Le graphique d’illustration de ce papier synthétise en quelques courbes une partie non négligeable des problèmes de notre système économique. Il se base sur une étude de Guillaume Bazot, de l’Ecole d’Economie de Paris, qui propose une nouvelle méthode pour évaluer le poids de la finance dans le PIB. Alors qu’habituellement n’est pris en compte que la valeur ajoutée, basée sur les frais et les marges des établissements financiers, l’économiste y ajoute les gains en capital, en intérêts et en dividendes, qui représentent une part grandissante de leurs revenus. Les résultats sont frappants puisque le poids de la finance dans le PIB des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l’Allemagne et la France est passé de 2 à 3,5% du PIB en 1952 à 6 à 12,5% en 2007 !
 
The Economist commence par défendre la finance en soulignant que les coûts de transaction ont plutôt baissé mais rappelle que cette règle générale souffre de nombreuses exceptions (avec les fonds d’investissement). Pire, l’étude calcule un coût de la finance par rapport au montant des actifs financiers. Et là, le coût a tendance à augmenter (sauf en France), malgré les faibles taux d’intérêt. The Economist en vient à se demander « Qu’est-ce qui justifie les hauts revenus des banquiers et des gestionnaires de fonds ? On pourrait répondre qu’ils ont fait baisser le coût du capital pour les entreprises avec de faibles taux et une forte évaluation des actions. Mais c’est difficile à soutenir : les faibles taux sont davantage la conséquence de la politique de la banque centrale et de la faible inflation  ».
 
Les vautours de la mondialisation

Plus dur, The Economist poursuit : « une vue alternative est que ces hauts revenus sont ce que les économistes appellent des rentes : des revenus excessifs gagnés par ceux qui bénéficient d’une position privilégiée. La finance est protégée parce que les gouvernements et les banques centrales agiront pour la sauver quand elle faiblit (…) La question centrale est que la finance doit répondre à ceci : pourquoi son importance grandissante est associée avec une croissance économique plus lente dans les pays développés et un plus grand nombre de bulles d’actifs ?  ». On pourrait aussi ajouter l’explosion des inégalités, d’autant plus choquante que les revenus dans la finance ont fortement augmenté, suivant la hausse de son poids dans le PIB, multiplié par 3 à 4 en 50 ans.

Mais, comme souvent avec The Economist, on s’arrête au simple constat. L’hebdomadaire néolibéral ne pointe pas le rôle du mécanisme de création de la monnaie (aujourd’hui confiée aux banques) et refuse généralement toutes les demandes de régulation du secteur, comme la dérisoire et minimale taxe sur les transactions financières qui doit être mise en place en Europe. Mais il apporte de l’eau au moulin de ceux qui soulignent à quel point le système actuel est dysfonctionnel et profite de manière disproportionnée à une petite minorité. Voici un papier qui démontre de manière éclatante que la finance est au premier rang de cette petite minorité. Qui peut croire qu’il y a eu le moindre intérêt collectif à ce que la finance triple ou quadruple son poids dans le PIB, si ce n’est celui des quelques professionnels du secteur qui ont vu leurs revenus et leur richesse s’envoler depuis 30 à 40 ans.

Merci à The Economist de savoir se faire parfois le relais d’études qui remettent pourtant tellement en cause le modèle qu’ils défendent. Ce faisant, malgré un dogmatisme de principe effarant, ils ont l’audace, si démocratique, de faire vivre le débat d’idées, au sein même de leur journal.


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