La flexicurité ne fait plus recette... en France

par Courrier Danemark
mardi 23 septembre 2008

Encensé dans d’innombrables rapports et articles au cours de ces dernières années, le modèle danois de flexicurité est aujourd’hui superbement ignoré dans notre pays alors que le taux de chômage au Danemark n’a jamais été aussi bas (1,6 %). D’un côté, le gouvernement actuel fait mine de s’en inspirer, mais en prend au final l’exact contre-pied (fusion ANPE/Unedic, offre raisonnable d’emploi…), de l’autre le PS refuse d’en débattre (1).

Trois raisons peuvent être avancées pour expliquer ce constat :

1) Etant donné qu’il est impossible, pour d’évidentes raisons historiques et culturelles, d’importer le modèle clés en main, autant le mettre de côté… Doit-on pourtant rappeler que tous les membres de l’UE se sont mis d’accord, fin 2007, sur huit principes communs de flexicurité ?

2) Le modèle danois de marché de l’emploi est surfait : il n’y a qu’à consulter l’ouvrage de Jean-Luc Mélenchon (En quête de gauche, paru en 2007) pour s’en convaincre… Ou du moins le document anonyme qui circule sur le net et auquel il a largement eu recours pour parvenir à ce constat (2). En cause le nombre de personnes bénéficiant de dispositifs qui les excluraient opportunément du marché de l’emploi et donc éventuellement des statistiques du chômage. Avec des données remontant à 2004, donc ne prenant aucunement compte de la baisse significative de 67 % du nombre de chômeurs entre 2003 et 2007…

Qu’en est-il réellement ? Au mois d’août 2008, selon le ministère de l’Emploi, 242 000 personnes bénéficiaient d’une pension d’invalidité, 145 000 personnes d’une préretraite (et dont on estime que les deux tiers pourraient travailler) et 92 000 personnes étaient en arrêt maladie (chiffre deux fois supérieur au nombre de chômeurs). Si l’on ajoute les dispositifs secondaires restant ainsi que les demandeurs d’emploi en activation (stages, formations…), ce sont au final environ 700 000 personnes (soit près de 20 % de la population en âge de travailler) qui sont exclues du marché du travail (3).

Les limites du modèle sont certes ici touchées du doigt (surtout que ce chiffre est resté stable en dépit du manque de main-d’œuvre qui prévaut depuis 2006-2007), mais une comparaison des taux d’emploi de nos deux pays pour 2007 débouche sur une conclusion sans appel : 64,3 % pour la France, 77,1 % au Danemark… De plus, peut-on vraiment comparer le nombre de préretraités dans nos pays respectifs lorsque les deux systèmes sont différents et que l’âge pour en bénéficier n’est pas le même ? Doit-on rappeler qu’au Danemark l’âge légal de la retraite est de 65 ans ?

3) Le modèle reste quoi qu’on en dise méconnu. Pour preuve, les nombreuses annonces selon lesquelles la fusion ANPE/Unedic contribuerait à nous rapprocher de la flexicurité danoise…(4). Un fait en complète contradiction avec les déclarations de Xavier Bertrand sur le lancement d’une initiative publique de la part de la Commission européenne “afin de favoriser l’adhésion à ces principes et de sensibiliser les citoyens à la flexicurité, à la logique qui la sous-tend, à ses principales composantes et à ses conséquences.”…(5).

Le modèle danois est souvent réduit à un système mélangeant une dose de flexibilité (souhaitable pour les entreprises) et de sécurité (de généreuses allocations chômage). Une approche bien pratique qui permet de parler de flexicurité “à la française” lorsque des “réformettes” effleurent ces deux notions. Mais pas de quoi expliquer la baisse du taux de chômage de 12,8 % en 1993 à 1,6 % aujourd’hui…

Certains réfutent, peut-être à juste titre, ce dernier chiffre : en prenant en compte tous les bénéficiaires des allocations chômage, on parvient en effet à un taux de chômage “officieux” d’environ 5 % (6). Mais l’essentiel n’est-il pas ailleurs ? Plus que l’efficacité brute du modèle, ce sont en effet les principes qui sont à sa base dont il est nécessaire de s’inspirer.

1) Des allocations chômage relativement généreuses dont la durée de perception n’a de cesse de baisser (10 ans dans les années 90, sans doute 2 ans en 2009) et qui, couplées avec des règles souples d’embauche et de licenciement, expliquent la forte mobilité de la main-d’œuvre et le dynamisme du marché du travail qui en découle.

2) Une formation continue qui favorise l’adaptation du modèle aux impératifs de la mondialisation, ce qui est préférable à une protection improductive de secteurs de toute manière condamnés à la délocalisation (pas étonnant d’ailleurs que le débat soit inexistant sur ce thème, les Danois en étant les champions nordiques).

Rappelons que la formation continue est un droit (les conventions collectives prévoient un minimum de deux semaines par an et par employé) : le droit à une mobilité choisie, le droit de changer de secteur d’activité, le droit de devenir polyvalent et de s’épanouir sur le marché du travail. Rappelons également que 500 000 emplois restent non pourvus en France, un constat résultant également de l’inadéquation entre les qualifications des demandeurs et les offres proposées.

3) Un réel suivi des chômeurs, plutôt que la tentative, vouée à l’échec, d’approfondir la définition d’une offre “raisonnable” d’emploi pour le moins “irraisonnable” financièrement (7). C’est en tous les cas ce suivi des chômeurs qui semble être le facteur déterminant de la baisse du taux de chômage ces quinze dernières années.

4) Un taux d’emploi élevé, notamment pour les femmes et les seniors. N’est-il pas temps d’analyser les raisons d’une situation souhaitable car créatrice de valeur et susceptible d’assurer la pérennité des finances publiques ?

Finalement, la question est la suivante : voulons-nous, en termes d’emploi, suivre le “modèle” britannique, comme privilégié par le gouvernement actuel (basé sur des outils comme le détecteur de mensonge), ou tendre vers les principes rationnels du modèle danois ? Au Mouvement démocrate de faire le bon choix…

(1) “Lors du séminaire de préparation à la présidentielle (16 décembre), le créateur du blog “Gonordisk” s’est fait vivement renvoyer dans ses cordes par la direction du PS (blog militant)”, 31 juillet 2008 http://www.gonordisk.net/article-10570966.html

(2) http://travail-chomage.site.voila.fr/danois/dk_merite.htm

(3) Konjuktur og Arbejdsmarked Uge 32, 4-8 août 2008, page 5

http://www.bm.dk/graphics/Dokumenter/Uge-reviews/2008/Konjunktur_og...

(4) Jean-Luc Bérard, directeur général de l’Unedic, “Ramener la durée moyenne du chômage à trois mois”, Les Echos, 6 décembre 2007 http://archives.lesechos.fr/archives/2007/lesechos.fr/12/06/300224330.htm ou encore Bernard Brunhes, spécialiste des relations sociales, Cabinet BPI “Les nouvelles mesures antichômage seront-elles efficaces ?” Capital page 76, juillet 2008.

(5) “La mission européenne pour la flexicurité présentée aux partenaires sociaux”, ministère du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité”, 12 février 2008.

http://www.travail.gouv.fr/actualite-presse/communiques/mission-europeenne...

(6) Chiffre avancé par le CEPOS, groupe de réflexion danois d’orientation libérale. www.cepos.dk

(7) Rapport Besson “Accompagner vers l’emploi : les exemples de l’Allemagne, du Danemark et du Royaume-Uni”, juillet 2008. http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/084000461/0000.pdf


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