La folie des grandeurs de certains projets d’infrastructures majeurs
par Juliette Richard
jeudi 26 septembre 2013
Si le besoin en nouvelles infrastructures en Europe est estimé entre 1500 et 2000 milliards d’euros d’ici 2020, la France fait figure de bonne élève avec une myriade de projets d’infrastructures aux quatre coins de l’hexagone. Certains chantiers semblent néanmoins défier les lois d’une austérité de circonstance. Comment alors articuler nos exigences en matière d’infrastructures et une rigueur budgétaire toujours plus prégnante ? Visites de chantiers où souffle parfois un vent de mégalomanie.
Un lourd constat.
Du Grand stade de l’Olympique lyonnais au « Balardgone », les idées fourmillent. Ingénieuses ou ingénues ? Les interrogations ne manquent pas quant à la justification de certains projets en témoigne la publication récente d’un Tour de France des projets inutiles. Ainsi le futur aéroport du Grand Ouest localisé à Notre Dame des Landes, destiné à remplacer l’actuel aéroport de Nantes ne cesse d’alimenter les débats. Si on passe sur le « non-sens écologique » dénoncé par certains opposants, la pertinence économique du projet pose question. C’est que le projet est voué à dynamiser toute une région ambitionnant d’étendre son maillage à l’international. Une étude examinant le rapport entre les coûts et les bénéfices de« l’Ayraultport » en comparaison d’une revalorisation du site existant à Nantes, indique que « l’optimisation de Nantes Atlantique apparait plus génératrice de richesses pour la France que la construction d’un nouvel aéroport à Notre Dame des Landes ». De quoi créer quelques turbulences autour d’un projet estimé à plus de 550 millions d’euros.
Autre projet du rayon transport taxé de mégalomane par ses détracteurs, la ligne ferroviaire entre Lyon et Turin interroge par son coût exorbitant. La Cour des comptes a adressé au Premier Ministre un référé sur le projet dont « les coûts prévisionnels sont en forte augmentation. L'estimation du coût global est passée de 12 milliards d'euros, en comptant les accès au tunnel côté français, à 26,1 milliards d'euros ». Le référé précise également que « d'autres solutions alternatives moins coûteuses ont été écartées sans avoir été explorées de façon approfondie ».
Les infrastructures, pierre à l’édifice anticrise
Si les pouvoirs politiques sont bien conscients des difficultés de financement que représentent ces chantiers en période de recherches d’économie, comment interpréter alors la poursuite de tels projets ? Certes, le secteur des infrastructures est victime de la crise mais il peut également être perçu comme un remède à cette crise en véhiculant de la croissance, en assurant un service public essentiel et en procurant un revenu à faible risque. C’est sûrement dans cet esprit que la France a placé les infrastructures au cœur de son plan de relance de 2009. Néanmoins, l’Etat ne peut rester sourd face au poids financier d’autant qu’il pèse, le plus souvent, sur les collectivités territoriales. Des nouveaux modes de financement sont vraisemblablement à chercher, les projets d’infrastructures ne pouvant plus être exclusivement financés par la dette bancaire. Une cohérence globale est ainsi à définir.
La valorisation des infrastructures
La création de la Commission Mobilité 21 répond aux inquiétudes d’un gouvernement auquel il revient de « définir les champs du possible » face à l’enveloppe de 245 milliards d’euros sur 25 ans destiné à la modernisation, l’entretien des infrastructures de transport existantes et au développement de nouvelles installations. Chargée de hiérarchiser les projets, la Commission propose une « approche pragmatique empreinte de réalisme » à partir d’une évaluation multicritères des priorités, comme le souligne son président Philippe Duron. Ainsi, le rapport rendu en mai dernier met en avant l’entretien et la modernisation du réseau existant. En outre, il permet de distinguer les projets selon trois temporalités pour une mobilité durable : les projets dont l’engagement doit être envisagé sur la période 2014-2030, les projets dont l’engagement doit être envisagé entre 2030 et 2050 et les projets à engager au-delà de 2050. Le rapport, qui n’engage pas le gouvernement, a ainsi proposé l’abandon du tout TGV et des grands projets d’autoroute auxquels étaient habitués les Français. Ce nouveau calendrier à l’aune de la valorisation des structures existantes pourrait relancer le débat des réacteurs à eau pressurisée (plus connus sous le nom d’EPR) dont les opposants dénoncent l’inutilité au vu de la surcapacité énergétique de la France et du raz de marée écologique. A l’heure où les travaux du réacteur de troisième génération se poursuivent à Flamanville, le quatrième EPR prévu à Penly semble avoir été abandonné.
Une piste à généraliser ?
L’optimisation des structures existantes est de plus en plus invoquée et pourrait constituer une alternative intéressante à la construction et donc à la dépense tous azimuts. Cet argument trouve une résonance particulière s’agissant du projet polémique de l’usine d’incinération des ordures ménagères (UIOM) à Ivry sur Seine, autre exemple de centrales de production énergétique.
En effet, le syndicat intercommunal gestionnaire (Syctom) qui considère que « le site arrive en fin d’exploitation », entend démolir la centrale et la rebâtir pour une facture s’élevant à plus d’un milliard d’euros. La question d’un coût démesuré se pose d’autant que depuis 1993, l’UIOM a englouti un peu plus de 82 millions d’euros dans une grande opération de modernisation (système de dépollution des fumées, rénovation des façades extérieures et création du centre de tri) et 56 millions d’euros afin d’améliorer le traitement des fumées du centre. Investissements partis en fumée ? De plus, les doutes persistent face à un dossier de financement approximatif qui estime que « compte tenu de la complexité du projet et du fait que certains éléments techniques sont encore à préciser, ces estimations comportent une marge d’incertitude de l’ordre de 20% ». Une incertitude non négligeable sachant que le projet est estimé à plus d’un milliard d’euros. Le Syctom, déjà endetté à hauteur de 500 millions d’euros, n’hésite pas à avancer que « l’autofinancement peut être estimé à 10%. Le reste du projet sera financé par emprunt ». Rien de rassurant dans l’austérité ambiante sachant que le SYCTOM tire principalement ses recettes de la contribution (obligatoire) des communes adhérentes faisant alors peser la dette sur le contribuable. Or, plusieurs centaines de millions d’euros (seulement), seraient nécessaires à la rénovation du site d’Ivry sur Seine qui pourrait ainsi poursuivre son activité actuelle et faire l’impasse sur un chantier pharaonique qui durerait au minimum cinq ans.
Il y a donc matière à réflexion, notamment dans la mise en cohérence des outils fiscaux afin de réguler des dépenses publiques croissantes. Le défi est grand alors que l’Etat, aux finances en berne, se désengage et sollicite les collectivités territoriales, qui croulent sous le financement de projets nationaux dont les recettes ne leurs profitent pas toujours. L’idée n’est pas d’enterrer tous les projets d’infrastructures, forcément coûteux, condamnant professionnels des travaux publics et finances nationales à des perspectives obscures, mais de transformer la mégalomanie en ambition.