La grippe espagnole
par maltagliati
mercredi 18 avril 2012
La chute des Bourses européennes la semaine dernière a une nouvelle fois servi d’indicateur au malaise persistant des marchés financiers. L’Espagne et l’Italie sont au cœur de la tourmente, la France les suit de près. L’incertitude liée aux élections françaises et grecques du 6 mai prochain n’est pas étrangère à la tension croissante. L’écart entre les taux allemands et les taux italiens et espagnols avoisine les 4%, les taux français eux-mêmes présentent un spread de 1,5% qui situe le pays entre l’Europe du Nord et le Club Med qu’elle rejoint progressivement.
Retour sur le LTRO
L’opération de liquidités de la BCE entre décembre et février a porté sur 1 000 milliards d’euros. Si on en écarte 500 millions de recyclage d’anciens prêts et 200 millions qui ont permis aux grandes banques européennes de s’assurer une marge de manœuvre (qu’ils ont replacée journellement à la BCE…) il reste au moins 300 millions d’euros qui sont la vraie raison de cette opération psychologique : colmater en urgence les failles espagnoles et italiennes pour avoir le temps d’écarter le péril grec.[1] Mission à peine accomplie, le péril renaît sous une forme très insidieuse : le monde financier est convaincu qu’il y a anguille sous roche : on n’a pas sorti la plupart des cadavres du placard espagnol, et en Italie le sauveur providentiel Monti a surtout joué de l’effet de manche.
Les taux espagnols à 10 ans ont passé ce lundi 16 avril la barre des 6%. Ceci n’est pas lié comme on dit aux difficultés de l’Espagne à tenir ses engagements budgétaires pour 2012 et 2013, mais beaucoup plus prosaïquement au fait que le système bancaire espagnol menace ruines. En bref, l’argent injecté par le LTRO a servi à camoufler des failles de manière illégale et frauduleuse (financement direct de la Dette par la BCE). Faute d’intervention rapide, ces failles vont s’élargir, ou, exprimé en langue de bois, cela donne : « Les chances que l'Espagne ait besoin de l'aide de l'Union européenne et/ou du Fonds monétaire international sont en train d'augmenter ».
L’Espagne doit passer un test important ce jeudi 19 avril avec une nouvelle émission d’emprunts d’État. Malgré la hausse des taux, l’émission de la semaine dernière n’a été souscrite que partiellement. La solution adoptée par les États dans ce contexte est toujours la même : depuis le début de l'année, le Trésor espagnol a privilégié les émissions de maturité courte afin de se caler sur celle des prêts à trois ans offerts par la BCE, d'attirer les investisseurs particuliers et de limiter les rendements offerts. « La part des émissions espagnoles entre 1 et 3 ans est passée de 19% au premier trimestre 2011 à 39% cette année ». Cela signifie que l’Espagne devra revenir de plus en plus souvent sur le marché, avec des montants de plus en plus importants, et générera une instabilité croissante.
Les élections, bon prétexte
Les mélenchonistes ont trouvé l’ennemi idéal sur lequel rejeter la faute de la Crise : la Finance et les Banques. Rien de plus naturel dans ce système que d’imaginer un vaste complot international qui va se déclencher au lendemain de l’élection présidentielle du 6 mai prochain. La situation actuelle prouve qu’il n’en est rien et que, quel que soit le résultat, la France va se retrouver très prochainement dans une très mauvaise pièce, dans la mesure précisément où ses banques se trouvent largement exposées aux risques espagnol et italien. La réalité est bien plus prosaïque : les taux d'intérêts des dettes publiques européennes retrouvent leur niveau de novembre 2011, l'accalmie aura duré quatre mois. Depuis l'été 2011, la BCE tient à bout de bras la zone euro. Sans les liquidités qu'elle fournit au système bancaire, l'échafaudage monétaire s'effondrerait dans un tohubohu indescriptible.
Dans ce contexte, une élection peut jouer un rôle central, car si l’élection législative en Grècele 6 mai prochain ne dégage pas une majorité favorable aux accords signés il y a un mois, quel sera le complot des marchés financiers ? Les deux partis de la coalition sortante ont perdu une bonne partie de leur poids dans la crise. Jusqu’où ira leur déconfiture ?
En France par contre, on suivra ces jours-ci avec attention l’évolution de la grippe espagnole, car une déstabilisation des marchés avant le second tour du 6 mai apparaît comme la dernière chance de Sarkozy, qui n’a de ce fait là pas joué toutes ses cartes… Une victoire de la Gauche au second tour dans un tel contexte ne ferait évidemment que renforcer la tendance déjà marquée dès à présent de transformer le pays d’allié privilégié de l’Allemagne en champion des pays endettés. Les deux options sont possibles. Normale, une victoire de la Gauche. Surprenante, celle de la Droite, pour laquelle il faudrait que plus de 60% des indécis (1/3 des Français) se rallient à elle et renversent la tendance dominante depuis le début. Dans un contexte de crise, ce n’est pas impossible…
Les convoyeurs attendent
Voici l’Europe à nouveau dans sa situation véritable, telle Buridan, entre la politique de l'autruche menée par les colombes (qui souhaitent que la BCE poursuive le gonflement de la bulle financière) et la politique de la rigueur portée par l'Allemagne(un climat d'austérité qui ne fait qu'aggraver la situation, en faisant diminuer la dépense publique). Et ce, qui plus est, dans une situation de récession économique grandissante.
Nous allons donc tout droit vers une nouvelle phase dynamique de la construction européenne, car, comme le reconnaît un dirigeant européen : « Nous ne sommes capables de prendre de grandes décisions que le dos au mur, les pieds au bord du gouffre et le couteau sous la gorge. »
Le mur, le gouffre ou le couteau ? Vous avez le choix !
MALTAGLIATI
[1] Les banques espagnoles sont celles à qui la Banque centrale européenne a le plus prêté à l'occasion de son injection de liquidités à trois ans (LTRO) fin février. Elles auraient emprunté 36% des 529 milliards d'euros libérés par la BCE, contre 26% pour les banques italiennes, estime Padhraic Garvey, stratégiste taux chez ING, sur la base des données publiées dernièrement par les banques centrales nationales. A fin mars, le secteur bancaire espagnol avait emprunté un montant record de 316 milliards d'euros à la BCE, contre 172 milliards en février, avant la LTRO à trois ans. Les banques italiennes ont elles aussi profité des opérations de refinancement de la banque centrale. Le volume emprunté par ces dernières est passé de 194 milliards fin février à 270 milliards fin mars.