La légalité du CNE remise en cause par la Cour d’appel de Paris

par Cyril de Guardia
mardi 10 juillet 2007

La Cour d’appel de Paris a jugé par un arrêt du vendredi 6 juillet que le contrat nouvelles embauches (CNE) était contraire à la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). Les juges d’appel ont en effet estimé déraisonnable le délai de deux ans durant lequel un salarié embauché en CNE pouvait être licencié sans motivation de la part de son employeur.

 

 

Le contrat nouvelles embauches (CNE), introduit par l’ordonnance du 2 août 2005 à l’initiative du gouvernement De Villepin, est un contrat de travail qui peut être conclu depuis le 4 août 2005 et sans limitations de durée par les entreprises privées comptant au maximum 20 salariés. Concrètement il reste un CDI mais présente cependant quelques spécificités, qui lui sont intrinsèques durant une période initiale établie à deux ans, telle que la fameuse période dite de consolidation de l’emploi de deux années où la rupture unilatérale non motivée du contrat par l’employeur est possible mais doit cependant être accompagnée d’une indemnité égale à 8 % du montant total de la rémunération brute due au salarié depuis la signature du contrat par les deux parties, ainsi qu’une contribution de 2 % à l’Assedic.

L’actualité juridique et journalistique a été très faste concernant ce fameux contrat dans la mesure où les recours juridiques en annulation se sont multipliés de manière spectaculaire, la possiblité de licencier sans motif apparaissant pour les principaux syndicats des travailleurs comme étant une mesure dangereuse, attentatoire aux droits fondamentaux du travail et vectrice de précarité du salarié. L’ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 établissant le CNE s’est vue s’attirer les foudres de la CGT, CFDT, CFTC, FO et CFE-CGC lors de recours en annulation présentés tout d’abord devant le Conseil d’Etat. Le fondement juridique a résidé dans la violation, selon la CGT, de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT). En effet, dans sa partie II concernant les normes d’application générale de la convention, l’article 4 de la section A stipule qu’ "un travailleur ne devra pas être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement lié à l’aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service". Ce principe a été érigé au rang de principe général du droit (PGD) en étant affirmé à plusieurs reprises par le Conseil constitutionnel.

La décision du Conseil d’Etat est tombée tel un couperet pour les détracteurs du CNE en rendant le fameux arrêt le 18 novembre 2005 par lequel les juges estiment valides l’ordonnance conforme au droit dans la mesure où période de « consolidation de l’emploi » doit être considérée comme une période de constitution de « l’ancienneté » requise pour prétendre à bénéficier des avantages caractéristiques d’un CDI au sein de l’entreprise ; que la période de deux ans est raisonnable au regard de la situation de l’emploi en France. Cependant, le commissaire du gouvernement a rappelé que les juges du travail demeurent susceptibles de contrôler les conditions de licenciement en veillant à ce que ces derniers ne soient pas les fruits d’un abus de droit, tel qu’un licenciement discriminatoire par exemple (article L. 122-45 du Code du travail). Le CNE est alors considéré comme étant un contrat de travail légal au regard du droit français et donc du droit international.

Cependant, force est de constater que les opposants au CNE n’ont pas baissé les bras, considérant que le fondement juridique employé lors du recours devant le Conseil d’Etat était de nature à rendre illégal la désormais célèbre mesure du gouvernement De Villepin. La jurisprudence postérieure sera de nature à leur donner raison.

Le vendredi 28 avril 2006, le Conseil des prud’hommes de Longjumeau (Essonne) a donné raison à la partie demanderesse et jugé pertinent ce fondement juridique en estimant que la convention 158 de l’OIT rendait illégale l’application du CNE et privait ce dernier de tout effet juridique à l’égard de l’employeur et du salarié. Elle s’est adonnée à ce titre à la reclassification du CNE en CDI. Elle fonde sa décision en stipulant qu’ « une durée de deux ans pour des contrats exécutés en France, quel que soit le poste occupé, est (...) déraisonnable au regard du droit et des traditions tant internes que comparées » et « qu’une durée unique, d’ordre public, ne dépendant pas des circonstances et des conditions propres à chaque emploi est nécessairement déraisonnable ». Cette décision sera confirmée le 19 avril 2007 par le Conseil de prud’hommes de Romans condamnant à nouveau le CNE sur le fondement de la convention n° 158 de l’OIT.

La 18e chambre de la Cour d’appel, présidée par Jean-Louis Verpeaux, rendant la décision faisant l’objet de cet article, était alors saisie en annulation de l’arrêt rendu le 28 avril par le Conseil des prud’hommes de Longjumeau. Elle a confirmé de fait la décision rendue en 1re instance en jugeant déraisonnable le délai de deux ans de la période dite de consolidation de l’emploi. Selon les juges d’appel, pendant cette période, "le CNE prive le salarié de l’essentiel de ses droits en matière de licenciement. Cette régression, qui va à l’encontre des principes fondamentaux du droit du travail, dégagés par la jurisprudence et reconnus par la loi, prive les salariés des garanties d’exercice de leur droit au travail". Le journal Les Echos, à juste titre, nous invite à remarquer la dimension politique de cet arrêt : "dans la lutte contre le chômage, la protection des salariés dans leur emploi semble être un moyen au moins aussi pertinent que les facilités données aux employeurs pour les licencier". "Il est pour le moins paradoxal d’encourager les embauches en facilitant les licenciements".

Cette victoire juridique des syndicats de travailleurs met à mal la légalité du contrat nouvelles embauches dans la mesure où ce dernier se trouve en inadéquation avec le droit international, ce dernier prévalant sur le droit français en vertu de l’article 55 de la Constitution de 1958 et de la jurisprudence du Conseil d’Etat et de la Cour de Cassation. Il se trouve ainsi menacé, malgé la tentative de Dominique de Villepin de faire du CNE un acte réglementaire, où en cas de conflit seul le juge administratif se verrait la compétence de trancher le litige. Cependant, la décision du tribunal des conflits du 19 mars 2007 a rendu la compétence du contrôle de légalité du CNE à l’égard du droit international au seul juge judiciaire. Dans cet état de fait, il est fort à parier que peu d’employeurs vont encore oser recourir au CNE dont la légalité est contestée de plus en plus inexorablement. Cependant, la partie défenderesse peut encore former un pourvoi en Cassation mais en cas d’avis confirmatif de Cassation, le CNE risque de se retrouver sur la selette en disparaissant du droit du travail français. Suite à l’échec du contrat première embauche, le CNE risque d’être à son tour désavoué, renforçant ainsi la position des partenaires sociaux à l’égard de l’actuel gouvernement dans les négociations concernant la réforme du droit du travail.


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