La loi de modernisation sociale : marché de dupes !

par ARTEMIS
vendredi 11 juillet 2008

La loi de modernisation du marché du travail vient d’être publiée au Journal officiel constitue-t-elle un premier pas vers la flexisécurité, une régression sociale
ou tout bonnement un véritable marché de dupes ?

Souvenez-vous que le contrat de législature 2007-2012 présenté par le candidat de l’UMP comportait plus de 500 propositions dont 44 propositions touchant directement au droit au travail et ayant pour objectif :

§ de remettre le travail au cœur de nos choix de société ;

§ d’être plus nombreux à travailler ;

§ de travailler plus pour gagner plus ;

§ de donner de la souplesse aux entreprises pour les aider à se développer à embaucher et atteindre le plein emploi ;

§ d’augmenter le pouvoir d’achat et relancer l’économie.

En résumé les trois plus : + de souplesse pour les entreprises, + d’actifs, + de pouvoir d’achat.

Fidèle à ses engagements, notre président s’est attelé à la tâche. Tout fraîchement élu, Il demanda aux partenaires sociaux d’engager des négociations pour moderniser le marché du travail et leur donna une date butoir pour conclure.

En janvier 2008, sous l’impulsion forte de l’Elysée et dans un contexte mouvementé et quelque peu perturbé (notamment par le départ de M. Sauvagnac, président de l’UIMM, qui menait les négociations), les partenaires sociaux ont conclu un accord sur la modernisation du marché du travail. Cet accord a été signé par trois organisations patronales (Medef, CGPME et UPA) et quatre organisations syndicales (CFDT, FO, CFTC, CFE-CGC.)
Certaines stipulations de cet accord nécessitaient pour leur application l’intervention du législateur.

Le projet de loi fut rédigé au pas de charge et le 26 mars 2008 il fut déposé et présenté à l’Assemblée nationale par M. Xavier Bertrand, ministre du Travail, des Relations sociales, de la Famille et de la Solidarité. Le gouvernement déclare l’urgence du projet.

Après un aller-retour entre le Sénat et l’Assemblée nationale, la loi de modernisation du marché du travail est votée le 25.06.2008 et publiée au Journal officiel le 26.06.2008.

Selon M. Xavier Bertrand, la loi « modernise les relations individuelles de travail, en offrant des règles plus simples, assorties des garanties adaptées. Elle offre également aux entreprises des outils pour faciliter leur activité, elle marque une étape essentielle dans l’instauration d’une "flexisécurité" ».

Cette loi est-elle vraiment le début d’une flexisécurité ou bien n’est-elle que le début d’une flexibilité et d’une régression sociale pour les salariés.

Reprenons tout d’abord le concept de la flexisécurité.

Analysons ensuite les aspects principaux de la loi pour vérifier s’ils correspondent à ce concept.

1- La flexisécurité

Comme le souligne Jean-Claude Barbier dans un rapport du CNRS de 2005,
une véritable vogue du modèle danois s’est emparé de notre classe politique ;
les parlementaires, les économistes et même les journalistes ont succombé à cet engouement.

Modèle qui mêle de manière astucieuse libéralisme et sécurité (flexibilité et sécurité d’où la contraction fléxisécurité), il est à l’opposé du système britannique qui est redouté par beaucoup de Français.

Il a fait ses preuves au Danemark dans un contexte socio-économique et culturel bien spécifique.

Le Danemark compte 5 410 000 personnes et une population active de 2 800 000 personnes avec un taux de chômage exceptionnellement bas, soit 6 % alors qu’en 1994 il était de 12 %.

La population active est très mobile (600 000 à 700 000 personnes changent d’emploi chaque année) et adaptable aux besoins des entreprises.

Tout est mis en œuvre pour atteindre cette flexibilité qui permet une forte coïncidence de l’offre et de la demande et de ce fait donnant aux entreprises la possibilité d’être réactives aux mutations du marché.
Tout est fait pour faciliter cette mobilité notamment par la formation professionnelle adaptée et intensive.

Le système danois est un système totalement négocié.
Il n’y a pas de droit du travail au sens où nous l’entendons : l’essentiel des règles régissant les rapports entre employeurs et salariés est fait d’accords négociés et le taux de syndicalisation est très important (la centrale L.O compte 1 700 000 membres )
contrairement à notre culture syndicale (et ce n’est pas une critique) les négociations de branche et d’entreprises ne sont pas faites sur une logique d’affrontement.

Enfin, point essentiel du système l’indemnisation du chômage ouvre droit à une période d’indemnisation d’un an et d’activation de 3 ans soit 4 années d’indemnisation (durée maximale) pendant laquelle le chômeur est véritablement accompagné par tous les acteurs sociaux (agence pour l’emploi, municipalités, etc.) pour retrouver un emploi.

Il faut ajouter que le système de protection sociale, dont le chômage, est élevé évitant la marginalisation, voire l’exclusion de la plupart.

C’est un modèle très fortement empreint de libéralisme économique, mais aussi d’égalitarisme social (haut niveau de vie, l’échelle des salaires est la plus resserrée des pays de l’OCDE).

C’est un modèle dans lequel le chômage n’est pas vécu comme une rupture un drame personnel car le chômeur est sécurisé par une indemnisation forte un accompagnement réel pour retrouver un emploi dans un contexte économique favorable.

2- La loi de modernisation du marché du travail

La loi comporte 11 articles. Je n’exposerai ici que les plus significatifs :

§ mise en place par la loi d’une durée maximale de la période d’essai qui ne pourra être renouvelée que par accord de branche et d’un délai de prévenance en cas de rupture de la période d’essai par l’employeur ou le salarié ;

2 mois pour les ouvriers employés ;

3 mois pour les agents de maîtrises et techniciens ;

4 mois pur les cadres.

► Au 30.06.2009 toutes les dispositions conventionnelles conclues avant la promulgation de la loi prévoyant des durées de période d’essai plus courtes que celles prévues par la loi seront caduques.

A défaut d’accord collectif signé après la loi, ces périodes d’essai dites maximales deviendront ainsi la norme.

L’allongement de ces périodes d’essai mis en place en partie pour donner plus de temps à l’employeur pour vérifier l’adéquation du candidat à son poste et l’inciter à recourir d’avantage au CDI est une solution inadaptée qui aura des effets inattendus.

Pourquoi ?

Aujourd’hui 10 % des salariés sont sous CDD ou contrats d’intérim, plus des deux tiers des embauches se font par ces contrats surtout dans le secteur tertiaire, services aux personnes et l’industrie sauf la construction (données Insee 2007). Les entreprises recourent souvent aux CDD pour faire face aux fluctuations de la demande ou remplacer des salariés absents, mais également avant d’embaucher sous CDI.

L’enquête sur l’activité et les conditions d’emploi de la main-d’œuvre spécifique aux « pratiques de flexibilité » (enquête Acemo flexibilité), réalisée en 1999, constitue l’une des rares études sur le sujet.

Les résultats obtenus soulignent que « 70 % des entreprises

utilisent des CDD. Si cette forme contractuelle est principalement utilisée pour faire face aux pointes d’activité (52 %) et pour remplacer des salariés absents (53 %), elle sert également de période d’essai préalable à une embauche en CDI (34 %). Enfin, aucun des motifs invoqués ne dépasse le seuil de 10 % comme motif unique d’utilisation. C’est donc la polyvalence de ce type de contrat qui intéresse les entreprises et qui explique qu’elles soient

relativement réticentes à l’adoption d’un contrat de travail unique. »

Dans ces conditions, l’utilisation des CDD comme période d’essai offre beaucoup plus d’avantages, ne serait-ce que sur la durée (le contrat peut aller jusqu’à 18 mois) qu’une période d’essai allongée avec un délai de prévenance.

Dans ces conditions, pourquoi les entreprises changeraient-elles leur méthode de recrutement ?

EN REVANCHE, n’y a-t-il pas un risque de transfert des CDD de courte durée pour faire face à des fluctuations d’activité vers des CDI new look, surtout dans les secteurs et les emplois à faible qualification. La période d’essai allongée de deux mois offre cette possibilité et en plus l’employeur n’aurait plus à verser l’indemnité de précarité d’emploi et à respecter le formalisme contraignant du CDD.

Les perdants seraient encore une fois les plus fragiles : les jeunes les moins diplômés et les femmes qui perdront leur indemnité de précarité d’emploi avec en surplus l’illusion d’avoir décroché un emploi pérenne !

Par ailleurs, les périodes d’essai allongées ne seront-elles pas un frein à la mobilité géographique et professionnelle des salariés ?

Lorsque vous êtes en poste, démissionner pour un autre job, c’est déjà prendre des risques, mais quelquefois c’est le prix à payer pour évoluer professionnellement.

Avoir une période d’essai raisonnable (3 mois pour un cadre, par exemple) pendant laquelle la personne ne prend pas le risque de déménager, fait les allers-retours ou vit chez des amis ou à l’hôtel, c’est encore gérable.

Mais si la période d’essai s’éternise et peut aller jusqu’à 8 mois pour un cadre, je pense que les salariés regarderont plus qu’à deux fois avant de faire le grand saut !

§ Instauration de la rupture conventionnelle d’un commun accord entre l’employeur et le salarié, avec versement au salarié d’une indemnité spécifique.

La rupture amiable n’est ni une démission ni un licenciement, elle émane d’une volonté commune de l’employeur et du salarié de mettre fin à leur relation contractuelle.

Quels sont les points-clés du nouveau dispositif ?

►L’employeur ne doit respecter aucune procédure particulière pas de convocation par exemple à un entretien préalable.

La signature de la convention doit seulement être précédée d’un ou plusieurs entretiens entre l’employeur et le salarié.

Ces entretiens doivent avoir pour objet de se mettre d’accord sur le principe de la rupture du contrat, sur ses modalités et le montant des indemnités qui seront versées.

Pendant ces entretiens, l’employeur et le salarié peuvent se faire assister.

►La rupture amiable doit être formalisée par écrit, c’est une formalité substantielle d’autant que la convention doit être transmise à la DDTE pour homologation.

Un modèle type doit être élaboré par voie réglementaire.

►Après signature de la convention, employeur et salarié ont un délai de 15 jours pour se rétracter.

En l’état actuel des textes, aucun dispositif n’est mis en place pour s’assurer du respect de ce délai les conventions pouvant être aisément anti-datées.

►Une fois le délai de rétractation passé, une homologation doit être demandée par la partie la plus diligente à la DDTE.

Cette demande doit être accompagnée de la convention signée.

L’administration a un délai de 15 jours ouvrables pour examiner la convention.

Au bout de ce délai l’absence de réponse vaut homologation.

►La convention homologuée peut être contestée pendant un an à compter de la date d’homologation.

C’est le conseil des prud’hommes qui est compétent.

►Pas de préavis à respecter, c’est la convention qui fixe la date de rupture du contrat.

Cette date ne peut pas avoir lieu avant le lendemain du jour de l’homologation.

Le salarié a droit au chômage et touche de l’employeur une indemnité qui ne peut pas être inférieure à l’indemnité légale de licenciement.

Ce mode de rupture risque de devenir également le mode le plus utilisé de rupture d’un contrat à durée indéterminée contournant ainsi les règles protectrices du licenciement

Pourquoi ?

La relation salariale n’est pas une relation ordinaire d’égal à égal, il y a le fameux lien de subordination et toute la construction du droit social vise à rééquilibrer ce désavantage pour le salarié.

Avec ce mode de rupture, employeur et salarié sont en droit sur un pied d’égalité alors que dans la réalité il n’en est rien.

Les cas de pressions psychologiques et de stress au travail n’ont jamais été aussi nombreux.

Il suffira de faire pression sur le salarié dont on veut se séparer pour qu’il accepte ce type de rupture qui lui donne après tout droit au chômage et aux indemnités de licenciement.

L’employeur lui montrera tous les avantages de ce type de rupture sur son avenir professionnel… « pas de mauvais renseignements à un futur employeur, on se sépare en bons termes », les arguments ne manqueront pas.

Pour faciliter le processus, il y aura même un formulaire tout prêt élaboré par l’administration.

Quant à l’homologation, elle n’offre aucune garantie sérieuse car le silence de l’administration vaut homologation.

Il eut fallu le contraire car dans bien des cas, les conventions ne seront pas examinées par des services surchargés.

Ensuite, il y a les incertitudes sur la portée d’une contestation en matière de rupture d’une convention homologuée.

En cas de fraude à la loi ou de consentement vicié : une action en nullité pourra-t-elle être intentée auprès du Conseil des Prud’hommes ? Si la convention est annulée, la rupture amiable pourra-t-elle être requalifiée en licenciement ? Le salarié pourra-t-il recevoir diverses indemnités liées à la rupture du contrat de travail (y compris celles relatives au préavis et au licenciement) ainsi que des dommages et intérêts pour le préjudice subi ?

La charge de la preuve incombera-t-elle uniquement au salarié ? Etc.

Ce mode de rupture ajouté à l’effet libératoire du reçu pour solde de tout compte (au bout de 6 mois, il ne peut plus être dénoncé et a un effet libératoire pour les sommes inscrites), ajouté au plafonnement des indemnités de licenciement (dispositions non encore parue), ajouté à la remise en cause éventuelle de la jurisprudence assimilant l’absence de motivation d’une lettre de licenciement à un licenciement sans cause réelle et sérieuse (disposition à venir), c’est tout un arsenal visant à réduire les droits du salarié.

Pour peu enfin que les salariés qui auront accepté ce type de rupture à l’amiable sortent des statistiques des chômeurs, on fera baisser de manière factice le chiffre du chômage !

Les points positifs de la loi pour sécuriser le salarié :

- obligation de motiver les licenciements et d’informer le salarié. La belle affaire c’est déjà le cas ;

- abaissement de deux à un an de l’ancienneté exigée pour prétendre à l’indemnité de licenciement (certaines conventions collectives le prévoient déjà) ;

- abaissement de trois à un an de l’ancienneté exigée par la loi sur la mensualisation pour une indemnisation complémentaire par l’employeur des arrêts de travail pour maladie (bon nombre de conventions le prévoient également) ;

- abrogation des contrats « nouvelles embauches » et requalification des contrats en cours en contrats à durée indéterminée (d’autant que ces contrats étaient déjà condamnés par les tribunaux et le BIT).

Et au niveau du chômage quoi de neuf… certainement pas une hausse des indemnités ni en durée ni en montant, mais un contrôle renforcé des chômeurs tout comme des Rmistes.

Toutes les négociations qui devaient avoir lieu dans le cadre de l’accord de modernisation du marché du travail sont comme par hasard retardées.

Je vous laisse le soin de prendre connaissance d’un article récemment paru sur Yahoo France.

"La convention d’assurance chômage, qui fixe le montant des cotisations et des allocations chômage, ne figure toujours pas à l’agenda des partenaires sociaux."

Le tout nouveau président de l’Unedic, Geoffroy Roux de Bézieux, avait pourtant annoncé à La Tribune (NYSE : TRB - actualité) le 1er juin dernier que cette négociation, qui doit se terminer le 31 décembre au plus tard, démarrerait "avant l’été" et que le négociateur pour le Medef serait nommé "dans les semaines qui viennent".

En mars, le dirigeant patronal qui devait conduire la négociation, Michel de Virville, a démissionné, à cause du scandale UIMM. Il s’était donné pour objectif de boucler au premier semestre, avec des réunions hebdomadaires.

Mais, depuis son départ, le Medef n’a pas désigné son remplaçant et le calendrier a pris du retard.

"Les organisations syndicales sont très troublées par ce qui se passe actuellement, et nous n’arrivons pas à obtenir des dates sur la négociation GPEC" (Gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences), a-t-elle dit.

Or, "ce sont les syndicats qui ont demandé de commencer par la GPEC" et "tant que cette négociation n’est pas ouverte, il est très difficile d’ouvrir la négociation assurance chômage", selon elle.

"Pratiquement tous les rendez-vous ont été reportés (...) tous les sujets en cours sont en stand by, ce n’est pas de notre fait", a ajouté la présidente du Medef.

Interrogée sur le nom du futur négociateur patronal, Mme Parisot a déclaré n’avoir "aucun doute sur qui ce sera", tout en estimant que "ce n’était pas le moment pour elle de l’annoncer".


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