La Nature n’a pas de crédit pour nous

par Orélien Péréol
mardi 30 juillet 2019

Nous venons de dépasser le jour où les hommes ont consommé les ressources naturelles renouvelables par leur environnement en un an. Nous entamons des ressources naturelles que la planète Terre ne pourra pas reconstituer. L’expression imagée qui nous dit cela, répétée avec toute la puissance des médias et des réseaux sociaux est qu’à partir d’aujourd’hui nous vivons à crédit. Sans doute, attend-on de cette formulation qu’elle soit perceptible par tout le monde : trop de crédits finit par étouffer, étouffer un Etat, étouffer une famille par exemples et aboutit à un fiasco, une faillite, parfois l’arrêt brutal de tout ce qui faisait la vie, une forme de ruine, les objets, achetés avec le crédit quand il y en a, étant vendus à la hâte et dans une situation d’urgence et de dépendance qui en fait chuter les prix au maximum. Même si elle rend sensible notre problème énergétique, si elle en donne une image parlante, il faudrait néanmoins cesser cette comparaison économique, et cela pour plusieurs raisons.

Le crédit distribue l’épargne, l’utilise en la remettant dans un circuit actif ; ou alors, le crédit sert de base à la création monétaire. Cette création monétaire doit, au bout du compte, au bout d’un certain temps, payer des biens ou des services créés, réels, tangibles, demandés et qu’elle a contribué à créer. Quand un jeune couple emprunte pour acheter son appartement, il va rembourser de la monnaie créée pour lui avec son travail et les richesses qu’il crée dans son travail.

 

La première raison de penser que nous ne vivons pas à crédit est qu’il n'y a pas d'épargne de la Nature pour nous faire du crédit. Nous le savons avec cet aphorisme qui circule partout, présenté comme un proverbe des Amérindiens : « Quand ils auront coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau, pêché le dernier poisson. Alors ils s’apercevront que l’argent ne se mange pas. » Consommer les biens revient à les détruire plus ou moins rapidement (en mangeant la baguette… en roulant avec la voiture, elle finit par s’user). Les « réserves » de la Nature ont longtemps été tellement grandes que les hommes pouvaient les voir comme un crédit perpétuel que la Nature leur faisait. Bien des phénomènes naturels se produisent dans la surabondance et permet des ponctions fortes sans être affecté gravement : On peut manger les pommes et ne mettre en danger ni son verger, ni la survie de l’espèce pommier. Surtout si l’on « arrange » la germination des pépins de pommes. Les « réserves » de la Nature nécessitent des guillemets car ce ne sont des réserves que pour certains animaux et pour les humains. Le très grand nombre de pommes par rapport à la reproduction du pommier n’est pas à proprement parler une épargne, c’est (seulement) un surplus.

Avec la ponction dans les énergies fossiles (charbon, pétrole) ce lien change. Le stock est de belle taille mais il ne se recrée pas dans des temps qui conviennent aux humains. La Nature, ici vue comme un stock, n’est pas inerte. Ce stock se crée et recrée lui-même, mais il lui faut certaines conditions, dont des temps très longs, inaccessibles aux humains.

En un mot : la Nature ne peut pas être notre banquier.

 

En deux : Nous ne payons pas à la nature ce que nous lui prenons. Nous ne payons pas le pétrole à la Terre. Nous payons le travail de l’extraction, du raffinage, du transport. Michel Serres a proposé il y a longtemps de donner un statut juridique à certains éléments de la Nature que nous prenons, que nous volons comme faisaient les chasseurs-cueilleurs que nous sommes encore, sans nous soucier de ce qu’il se passe après. Faire de certains endroits des sujets de droit commence à petit pas un peu partout dans le monde. Il faudrait aussi ouvrir un compte en banque à la Nature, c’est-à-dire prendre dans nos surplus de quoi l’économiser, elle. Tant qu’elle contribuera en apportant des « matières premières » sans marchander quoi que ce soit, l’humanité continuera à se servir abondamment, ne se sentant pas gênée par le gaspillage. (Il y a aussi tout ce qu’on lui « rend », lui demandant de nous en débarrasser avec la même gratuité, ce qu’elle n’arrive plus à faire. Je m’en tiens au dépassement, c’est-à-dire au prélèvement de ressources non-reconstituables dans la durée de leur prélèvement. Je le cite au passage et n’en dis pas plus.).

Et surtout, ce « crédit » que nous fait la planète ne peut être pris comme une création de ressources : elle n’aide pas la création de richesses naturelles nouvelles qui nous permettraient de rembourser le crédit (tout au contraire, l’abondance apparente des ressources conduit à une augmentation considérable et permanente de la dépense).

En un mot : nous devrions être le banquier de la Nature.

 

En trois : Le jour du dépassement est une catastrophe au sens propre de ce mot, à savoir sa survenue toujours plus avancée dans l’année, et le caractère irrésistible de cette avancée qui contient le désastre absolue : la Terre commence à nous manquer. Or, ce jour du dépassement devient un « marronnier ». Un marronnier est un événement cyclique, annuel, saisonnier, qui arrive de façon très prévisible et dont les journalistes sont bien obligés de parler : le chassé-croisé des vacances, le festival d’Avignon, la rentrée des classes, la rentrée littéraire, le début des vendanges, les vacances de Toussaint, Noël… un marronnier appartient à un rite qui scande l’année, beaucoup de répétitions, peu de chance que le cours de la vie en soit modifié. (A moins d’être complètement dedans : de passer son bac ou d’avoir un enfant qui le passe).

 

Se séparer de ce mot « nous vivons à crédit » ne résoudra pas le problème, mais aussi séduisantes que sont les images, les métaphores, les comparaisons, il vaut mieux s’en éloigner car on ne sait jamais les limites de leur domaine de validité. Cette idée de crédit revient à normaliser ce phénomène ; c’est un peu comme le trou de la sécu, on en entend parler, les prestations diminuent mais la sécu est toujours là. Se passer de cette expression « nous vivons à crédit » nous évitera une erreur fondamentale qu’on pourrait nommer : la banalisation.

L’humanité a épuisé les ressources de la planète pour 2018

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