La « pathologie de la monnaie » et du système financier
par Bernard Dugué
vendredi 26 novembre 2010
Pourquoi évoquer une pathologie de la monnaie ? La compétition pour s’enrichir est devenue un caractère humain incontournable. Certes, Aristote avait vu dans la chrématistique le signe d’une démesure et la source d’une pathologie sociale typique des cités antiques. 24 siècles plus tard, le capitalisme a créé les conditions pour qu’opèrent les individus avides de profit et ce, dans un cadre légal qui ces dernières décennies, est devenu de plus en plus avantageux. D’un côté des gens fortunés brassant des millions et milliards de dollars, euros ou yens et d’un autre côté, une pauvreté diminuant dans les pays émergents mais augmentant ou se stabilisant dans les pays industriels les plus avancés. Les nouveaux pays industrialisés ont une économie fordienne. Depuis deux décennies, la Chine ressemble à l’Allemagne, la France et le Japon entre 1945 et 1975. Alors que dans les pays les plus avancés, un processus anti-fordien ne permet plus d’augmenter les classes moyennes. La précarité tend à s’étendre. Les nations avancées voient se dessiner un processus d’appauvrissement. Bref, tout le contraire du capitalisme fordien.
On doit tenir comme certaine l’idée d’un lien de causalité entre la pathologie économique et la pathologie sociale. Le jeu sémantique s’avère plus aventureux. Quand peut-on dire qu’une société est malade et dans l’affirmative, quels critères seront choisis ? Et une société saine, comment la définir ? Une telle société est-elle possible ou bien l’homme étant une créature perfectible mais jamais parfaite, un désordre, un niveau de pathologie sociale incompressible sera toujours présent ? On doit tenir comme plausible l’idée d’une relation de cause à effet entre les désordres économique et les pathologies sociales. Qu’entend-on par désordre, ou bien pathologie, économique ? Le professeur répondra sans hésitation crise. Il existe plusieurs types de crises et la plupart sont liées à la monnaie. La crise la plus redoutée, hormis l’hyperinflation que connut l’Allemagne weimarienne, c’est la récession. Autrement dit, une croissance négative qui si elle se produit pendant deux trimestres consécutifs, autorise le pays concerné à se déclarer en récession. En 2007 et 2008, le monde a vu se dessiner une crise financière, suivie d’une récession. Tout a commencé avec les subprimes américaines en 2007, puis le système s’est affolé après la faillite de Lehman Brothers. Si l’on interroge les spécialistes de l’économie, aucun n’est en mesure d’expliquer avec clarté les mécanismes ayant conduit à la crise. Lorqu’une automobile est en panne, un garagiste trouvera l’explication car il peut ouvrir le capot et faire des tests. Dans le cas du capitalisme financiarisé, les comptes des institutions bancaires sont le plus souvent tenus secrets, concurrence oblige. Les agences de notation essayant tant bien que mal d’évaluer l’état de santé financière des établissements bancaire et des comptes publics. Que dire des zones off shore, faisant disparaître des capitaux par milliards, et des produits financiers si complexes qu’ils échappent à la compréhension des directeurs de banque ? Il y a une matière noire dans la finance comme il y a une matière noire dans l’univers, une masse cachée et donc une énergie masquée.
La « pathologie de la monnaie » est une notion pertinente pour décrire les soubresauts et autres crises de l’économie. L’inflation en étant une, la déflation une autre. Ensuite, la crise de 2008 a dévoilé un type de pathologie particulière, celle de l’inégalité dans la répartition des revenus au sein des pays industrialisés. Un certain type d’économie manque de fluide monétaire. Ce qui engendre la précarité et le chômage. Et comme nous l’avons constaté dans le précédent chapitre, toutes les crises économiques depuis 1974 sont associées à des désordres monétaires, souvent des questions de décrochages entre parités. Lorsque ces phénomènes se produisent, parfois soudainement, c’est par le mécanisme de l’élastique. Mais si ce mécanisme se produit, c’est que des tensions monétaires sont apparues. Et si tel est le cas, c’est parce que la structure de l’économie (performance, commerce, déficits publics…) additionnée aux politiques monétaires des banques centrales, ont créé les conditions de ce désordre monétaire. Le rééquilibrage se passe à l’image de la pression d’eau créant des fissures sur un barrage.
Mais au fond, parler d’une monnaie pathologique, n’est-ce confondre le symptôme et la cause ? Lorsque le sang n’a pas la puissance pour irriguer les tissus, on ne tient pas pour responsable les globules rouges mais la force de pompage d’un cœur devenu fatigué. La pathologie de la monnaie, si elle désigne un dysfonctionnement des flux monétaires rapportés aux nécessités sociales et économique, repose sur les opérateurs responsables de ces flux et aussi de ces stases monétaires constituées par des masses colossales de capitaux planqués dans des produits douteux ou bien dans les bulles spéculatives. Les banques centrales et les Etats ont aussi leur part de responsabilité. Et c’est là le paradoxe, les Etats, au lieu de soigner l’économie qui est malade, préfèrent se porter au chevet du système financier qui certes est affecté mais surtout, qui est responsable des marasmes économiques et autres crises. Je ne sais plus quel économiste a dit que les mesures prises par le G-20 ressemble à un cercle d’alcooliques réunis pour une cure de sevrage et à qui on offre pour une dernière fois du scotch pour une beuverie.