La publicité confond tendance et prospective : un danger pour le consommateur

par Philippe
jeudi 2 février 2006

Les agences de pub et les annonceurs ne savent plus comment convaincre les consommateurs d’acheter. Ils ont créé, le 31 janvier, un club « expression de tendance » pour parler de prospective à 10 ans. Or, la tendance prolonge le présent (cahier de tendance) et la prospective imagine l’avenir (cahier de prospective). Et on accusera le consommateur d’être un mauvais citoyen, en ne dépensant pas assez ? Trouvez l’erreur.

Le Club des annonceurs, l’Association des agences conseils en communication (AACC) et TF1 Publicité, la première régie publicitaire de France - donc en résumé le monde de la publicité et des annonceurs français - ont créé, le 31 janvier 2006, un groupe de prospective, « Expression de tendance ». Pour inspirer leur vision prospective - comment les Français s’imaginent dans dix ans - ils ont fait une étude à partir d’un sondage commandé à TNS Sofres.

Je viens d’en lire un résumé dans Le Monde du 1er février - qui sur le sujet est l’une de mes sources - et suis catastrophé : il s’agit bien d’expression de tendance, et surtout pas de prospective, il s’agit bien de prolongation du présent, et non pas d’imagination de l’avenir, comme l’expriment les cahiers de prospective !

Comme si les relations presse étaient de la publicité !

En voici quelques exemples :

D’après cet article, les Français « croient au progrès scientifique (vaccin contre le Sida, nouveaux médicaments contre le cancer, etc.), au développement du commerce équitable et à la progression du respect de l’environnement. ». Donc les Français croient en l’actualité scientifique et émettent du pur déclaratif (par exemple respect de l’environnement), loin du constat réel.

« La société devrait continuer à évoluer avec un accroissement du poids des familles monoparentales, une plus grande mixité ethnique et religieuse, des enfants qui vivent plus longtemps avec leurs parents, la progression du nombre de conjoints dans une vie, la légalisation du mariage homosexuel... ». C’est effectivement le politiquement correct et du pur déclaratif (par exemple la mixité ethnique et religieuse), loin du constat réel.

Et aussi : «  95 % des Français interrogés pensent qu’ils changeront plusieurs fois de métier dans leur vie, comme de région et de pays ; ils s’attendent à vivre dans une ville et à travailler dans une autre, tout en restant en activité plus longtemps... Beaucoup parient aussi sur le développement de la vie à la campagne, surtout dans des villages, au détriment, notamment, de Paris. Selon eux, les voyages seront aussi plus fréquents, mais moins longs et plutôt axés sur la redécouverte des manières traditionnelles de se déplacer (marche, bateau, vélo...) ». C’est aussi la simple prolongation de l’évolution du travail et de l’urbanisme des dix dernières années.

Et enfin, dernier exemple : « Les sondés estiment que l’alimentation maîtrisée (notamment "bonne pour la santé") prendra le pas sur la cuisine naturelle et de pur plaisir : 86 % annoncent qu’ils seront désormais très attentifs à l’alimentation des enfants, ce qui ne les empêchera pas de consommer de plus en plus d’aliments industriels, y compris des OGM (70 %). Ce faisant, ils plébisciteront les aliments qui "soignent", mais aussi les produits "bio" et ceux proposant des recettes "équilibrées" ». Les médias et la publicité font bien leur travail puisqu’on retrouve pêle-mêle la lutte contre l’obésité, la bataille perdue contre les OGM et encore du pur déclaratif (ils plébiscitent les aliments bio), loin du constat réel.

On peut émettre deux hypothèses :

1. l’article du Monde est incomplet. Il ne reflète que du constat - de l’inspiration - et pas de la prospective.

2. le groupe de prospective ne veut pas dévoiler ses conclusions qui lui appartiennent

La seconde me rassurerait, car constater le présent pour émettre une prospective à dix ans n’a qu’un intérêt limité. Et chacun sait qu’interroger des consommateurs pour leur demander comment sera leur vie dans dix ans a encore moins d’intérêt que d’interroger par exemple en 1996 les lecteurs - avertis - de Stratégies , journal de référence de la publicité avec CB News, pour leur demander ce que seront les consommateurs en 2006. Avouons-le humblement, nous nous serions violemment trompés.

Chères agences de publicité, chers annonceurs, cher TF1, ce n’est pas en sondant des consommateurs que vous saurez les comprendre dans dix ans. Vous apprendrez une seule chose intéressante : quels sont vos messages qui passent. Et dans ce cadre, c’est intéressant ... et rassurant.

L’avenir s’invente, s’imagine. Il ne se prolonge pas. Et si, comme il semble, votre premier rendez-vous aura comme thème « la défiance généralisée », je pense que vous enterrez le présent mais ne construisez pas l’avenir. Car si c’est la défiance du consommateur dont il s’agit (il est versatile, infidèle, déconsomme, court au prix bas, etc.), effectivement, vous avez déjà bien mal compris le consommateur d’aujourd’hui. Dès lors, je m’inquiète de la supposition que vous émettrez au sujet du consommateur de demain.


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