La réglementation foncière, source de la crise du logement

par Vincent Benard
vendredi 30 novembre 2007

Tous les gouvernements récents semblent désemparés devant l’actuelle crise du logement. Faute d’en avoir compris les ressorts, ils privilégient un traitement social du mal-logement au lieu de chercher à traiter le problème à la source. Et les associations de locataires ou de mal-logés tendent à demander encore plus de contraintes sur les propriétaires. Si un gouvernement venait à accéder à leurs demandes, les résultats en seraient catastrophiques d’abord pour les plus pauvres.

La crise du logement actuelle résulte principalement d’une hausse du marché immobilier supérieure de 75 % à celle des revenus entre 1997 et 2006. Cela impose des ponctions excessives sur le budget des ménages modestes, et multiplie les défauts de paiement de loyer.

En réponse à cette envolée, la gauche parisienne et des associations de mal-logés, dans la foulée de l’obtention de la loi instaurant le droit au logement opposable, demandent de nouvelles lois visant soit à interdire les expulsions locatives, soit à bloquer les loyers.

De telles mesures seraient catastrophiques... pour les ménages pauvres. En effet, elles transformeraient le contrat de location en quasi-don effectué par le bailleur au locataire, celui-ci étant presque assuré du maintien dans les lieux même en cas de non-paiement de loyer. Cela tarirait définitivement l’offre locative privée : quel bailleur serait assez fou pour louer à ces conditions ? Les personnes déjà locataires seraient certes assurées d’être logées à des conditions de plus en plus préférentielles avec le temps, mais les nouveaux entrants sur le marché du logement, ou les familles obligées de déménager, se retrouveraient dans des situations absolument dramatiques.

Nous avons déjà connu une loi de blocage des loyers très stricte, assortie de privilèges de maintien dans les lieux pour les locataires : c’était entre 1914 et 1948. Le résultat est qu’entre les deux guerres, la France construisit moins de 100 000 logements par an, et quasiment aucun pour le locatif privé. Cela représenta durant la même période deux fois et demie moins de nouvelles unités que l’Angleterre et l’Allemagne, alors même que cette dernière a vu se succéder toutes les calamités possibles et imaginables (hyper-inflation, puis nazisme). La pénurie de logement (unités manquantes ou existantes, mais totalement insalubres) atteignait 2 millions d’unités avant la guerre, et 4 millions après. Avant-guerre déjà, la presse résonnait d’échos de détresse venant de familles repoussées dans des bidonvilles de banlieue que la bonne société ne voulait pas voir.

Si un nouveau renforcement des politiques anti-propriétaires venait à tarir l’investissement dans le logement locatif privé, jamais le logement public ne pourrait faire face seul à un besoin de nouvelles habitations estimé par le Crédit foncier à plus de 500 000 unités annuelles dans les 5 prochaines années, afin de faire face à l’augmentation prévisible du nombre de ménages et de rattraper le retard pris pour offrir un nombre de logements suffisants pour combler les besoins non satisfaits.

De telles propositions, faisant implicitement porter aux propriétaires privés le chapeau de la crise du logement, procèdent d’une erreur de diagnostic majeure faite par les politiques sur les causes de la pénurie de résidences principales. Il est généralement affirmé que la hausse actuelle des prix n’est que la conséquence de la baisse des taux d’intérêt et de l’augmentation du nombre de familles, qui ont fait exploser la demande de logement. Selon eux, il y a une fatalité du logement cher, taux bas = logement cher, il n’y a pas à chercher plus loin.

Mais alors que dans tout autre marché, aux signaux d’augmentation des prix succède une augmentation de l’offre, permettant un retour des cours à l’équilibre, personne ne semble se demander pourquoi le marché du logement n’obéit pas à cette logique.

La cause en est simple : selon de nombreuses recherches académiques, cette hausse des prix ne se produit que lorsque la réglementation du sol rend difficile la libération de terrain pour des constructions neuves. L’institut Demographia de Chicago a analysé les comportements des prix du logement sur les 159 plus grandes agglomérations du monde anglo-saxon (Etats-Unis, Canada, Australie et Grande-Bretagne, principalement) entre 1995 et 2006 (voir cette étude, pdf).

Constat : la bulle immobilière qui frappe ces pays est des plus sélectives. Il existe 42 agglomérations importantes aux Etats-Unis et au Canada, qui, placées exactement dans les mêmes situations macro-économiques que les autres, ne connaissent aucun emballement des prix immobiliers et où le logement reste abordable pour les familles modestes. Quatre des cinq villes à la démographie la plus dynamique des Etats-Unis (Austin, Houston, Atlanta, Dallas) ont un marché immobilier « abordable », dans lequel le logement moyen peut s’acheter pour moins de trois fois le revenu annuel moyen des ménages. Ces cités sont toutes dépourvues de législation anti-étalement urbain, et les règles de zonage, lorsqu’elles existent, ont pour objectif premier de maintenir en permanence disponible une quantité de terrain constructible largement supérieure à la demande, pour contenir les prix à des niveaux raisonnables en toute circonstance.

En contrepartie, les cités anglo-saxones - américaines, australiennes et britanniques - qui connaissent un emballement des prix immobiliers parfois très supérieur au nôtre, ont en commun de s’être dotées, vers les années 70, de réglementations de zonage du sol qui maintiennent administrativement la majeure partie des terrains sous statut inconstructible, et rendent impossible la libération de cette ressource en anticipation de la demande quand celle-ci augmente fortement. Voilà pourquoi pour acheter des logements aux caractéristiques identiques, un ménage doit consacrer 15 % de son revenu dans le Texas, où la terre est libre, mais 45 % à Perth, et plus de 65 % à Los Angeles.

Des recherches plus pointues - notamment par Ed Glaeser, chercheur à Harvard -, allant au-delà de la simple corrélation, ont permis de quantifier le rôle majeur joué par la sévérité des réglementations foncières dans la formation des bulles immobilières. A tel point que même Paul Krugman, l’économiste vedette du parti démocrate, peu suspect de sympathies néo-libérales, a reconnu le rôle prépondérant de ces règles dans la création de la bulle immobilière dont l’éclatement frappe de plein fouet la société américaine aujourd’hui.

Certes, me direz-vous, mais en France ?

La France possède depuis 1968 un droit des sols similaire en philosophie à celui des agglomérations anglo-saxonnes fortement réglementées. Par la suite, la loi SRU (2000) et les législations environnementales ont renforcé la difficulté d’étendre nos villes. Il faut plusieurs années, même à une petite commune, pour réviser un PLU ou pour faire approuver une ZAC, seuls moyens actuels de réaliser des opérations de croissance urbaine significatives. L’envolée actuelle des prix ne s’explique pas autrement.

Ce corset législatif est conçu pour lutter contre de supposés effets environnementaux négatifs de l’étalement urbain, et contre les conflits d’usage du sol. Mais cette lutte contre l’étalement urbain à la périphérie immédiate des grandes agglomérations a conduit moult familles à revenus moyens à aller rechercher du foncier abordable à des distances encore plus grandes de ces agglomérations : en voulant lutter contre l’étalement urbain, le législateur a favorisé... l’hyper-étalement urbain, multipliant les populations dans des petites communes pas équipées pour recevoir un tel afflux de population, et jetant sur des routes non prévues pour de tels trafics des quantités de véhicules qui augmentent la congestion aux points d’échanges périphériques entre villes et campagnes.

Quand bien même d’autres effets positifs sur l’environnement de ces lois seraient avérés - ce que des études très bien documentées contestent par ailleurs - au nom de quoi peut-on justifier le maintien en vigueur de règles qui entretiennent la détresse des ménages à faible revenu ?

Pour lutter efficacement contre cette nouvelle pauvreté, il faut d’urgence adopter des règles qui libèrent les ressources foncières du pays, notamment à la périphérie des grandes et moyennes agglomérations. Les prix du logement, tant à la périphérie qu’au centre des grandes agglomérations, baisseraient rapidement. Ainsi, le coût du soutien social aux rares familles trop pauvres pour accéder au plus modeste des logements serait fortement diminué. La société permettrait alors à tous, moyennant des taux d’effort parfaitement supportables, de trouver une habitation décente, même sans loi sur le droit au logement opposable !

Toutes ces problématiques sont développées dans mon dernier livre intitulé : « Logement : crise publique, remèdes privés », qui vient de paraître aux éditions Romillat. J’y analyse de façon exhaustive toutes les erreurs commises par l’Etat en matière de politique du logement, depuis les absurdes politiques de subventions (Robien, Borloo, etc.), jusqu’à l’échec - inévitable - des politiques de logement social, et les excès de l’urbanisme réglementaire. J’y propose une révolution conceptuelle de la politique du logement, remplaçant toutes les interventions actuelles par une aide unique et exclusivement financière aux ménages dont les revenus le justifient, et une libération des sols de leur tutelle publique pour que le marché retrouve rapidement des prix normaux.


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