La sécurisation des parcours, un chantier de longue haleine...
par Yohan
jeudi 27 mars 2008
La sécurisation des parcours professionnels est un chantier à forts enjeux qui n’a pas fini de faire couler l’encre.
La proposition a été lancée en 1996, à l’initiative du Parti communiste, plaidant pour un système de sécurité d’emploi ou de formation comme réponse à l’insécurité montante du marché du travail. Reprise par Jean-Louis Borloo en 2004, l’idée est toujours en expérimentation et en réflexion.
Consensuel sur le papier, moins sur les vocables employés par les uns ou les autres, voilà un sujet pour le moins sensible qui, malheureusement, risque fort d’accoucher d’une souris.
En effet, tout porte à croire que cette réforme se heurtera au manque de moyens.
Le financement des transitions professionnelles, dont le coût supposé reste difficile à évaluer, pourrait fort bien mener à une guerre de cent ans de "à toi, à moi". Une guerre qui a déjà commencé si l’on remonte à la genèse de l’histoire.
Sauf à faire preuve d’une grande volonté réformatrice qui exigerait de tous les acteurs concernés de se montrer capable de produire autre chose que des usines à gaz mal ficelées, comme l’est le DIF (Droit individuel à la formation), le chantier pourrait donc s’enliser.
Sur le fameux DIF, il est dit partout qu’il progresse, mais, partant de rien, il ne pouvait logiquement que progresser.
De ce point de vue, il serait bon de préciser qu’il n’avance pas à vitesse constante dans toutes les entreprises. Selon leur taille, il progresse (dans les grandes) et le plus souvent, il stagne (dans les petites), ce qui en fait un droit bien aléatoire et tout aussi relatif.
Ainsi, de nombreux salariés se sont vu opposer une fin de non recevoir à leur demande de DIF au motif de dépense non prise en charge par l’organisme collecteur. Par ailleurs, nombreux sont les salariés souhaitant effectuer un bilan de compétences dans ce cadre qui ont reçu un accord de leur employeur avec une bien mauvaise surprise à la clé : un montant de prise en charge plus que réduit, l’employeur se bornant à la stricte application du barème minimal.
N’oublions pas qu’il se dépense déjà beaucoup d’argent dans le cadre du PDF (Plan de formation des entreprises). Pour les petites entreprises, le DIF apparaît comme une nouvelle dépense qui vient les accabler une fois de plus. Une bombe à retardement, car en cas de licenciement économique, un reversement pour heures non utilisées devra être consenti au bénéfice de l’Assedic. Une explication peut-être à l’excédent récent de cette caisse.
D’aucuns n’hésitent pas à dire que le DIF pourrait finir par cannibaliser le Plan de formation des entreprises, en orientant le système vers un financement unique.
La suppression de l’obligation légale (le 0,9 % plan de formation)
est même envisagée comme une éventualité.
Malgré cela, on fait comme si tout allait de soi et l’on ouvre aujourd’hui le débat sur la portabilité du DIF, alors même que l’on est incapable d’en prévoir le financement. Parallèlement, au même moment, on s’avance vers une énième réforme de la formation professionnelle. Est-ce bien raisonnable ?
L’état de fragilisation actuelle de nombreuses TPE et PME dit qu’il n’est pas souhaitable d’exiger plus d’elles, d’autant qu’elles viennent de recevoir une gifle retentissante dans l’affaire du CNE et que le premier geste de Jean-Louis Borloo, instituant la CRP (Convention de reclassement personnalisé), est, comme on le dit, loin de faire l’unanimité auprès des petits patrons, en raison de son coût.
La formation professionnelle est souvent présentée comme le pilier de la sécurisation des parcours professionnels. Est-ce bien suffisant ?
Actuellement, le CNFPTLV (Conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie) planche en commission sur la question de la sécurisation des parcours.
On y fait mine de redécouvrir la GPEC et la fonction d’accompagnement auquel on accole l’adjectif de global pour faire du neuf. Peut-être une manière de renvoyer chacun à ses responsabilités.
Quid de tout cela ?
Si l’on s’accorde à reconnaître que l’accompagnement des personnes en transition professionnelle s’accommoderait d’une meilleure portabilité des droits à la formation, cela sous-tend qu’il faille rapidement réformer et faire évoluer les logiques de financement vers un décloisonnement plus franc.
La question des ruptures de la continuité des droits se pose comme principe même de toute sécurisation des parcours.
Actuellement, deux systèmes coexistent en parallèle :
D’un côté, les salariés qui jouissent fort heureusement de quelques droits reconnus à la formation tout au long de la vie, avec le DIF, le PDF et le CIF, auxquels s’ajoute le droit au bilan de compétences.
De l’autre, les droits du chômeur privé d’emploi qui se sont réduits comme peau de chagrin au fil des années et qui permettent rarement l’accès choisi à la formation, alors que l’on prend soudainement conscience de sa pertinence.
Pour faire de l’individu, un acteur de son parcours, encore faudrait-il cesser de légiférer en tous sens, en balisant le chemin d’accès restrictifs au moyen de textes rigides et complexes qui ne peuvent être lus et compris que des initiés ou des personnes bien informées et bien conseillées.
De son côté, l’Assedic donne pour l’heure de vagues indications quant aux moyens susceptibles d’être engagés pour des formations hors clous. Comprendre, "en dehors de la fameuse liste des métiers en tension".
En matière de sécurisation des parcours, il serait judicieux et tout aussi urgent d’avancer sur la portabilité des droits à la formation, au-delà du seul DIF.
En effet, le système actuel est pernicieux et injuste. Si les salariés licenciés abandonnent leurs droits acquis en perdant leur emploi, ils sont loin de les retrouver à l’ANPE.
Or, nombreux sont les salariés non cadre à n’avoir jamais entendu parler du Congé individuel de formation ou des bilans de compétences, dont ils découvrent tout l’intérêt une fois au chômage. Or, pour eux, hormis pour les bilans de compétences qui continuent d’être proposés par l’ANPE, c’est déjà trop tard, alors même qu’ils auraient pu sécuriser leur parcours bien avant, c’est-à-dire en anticipant.
Par ailleurs, ceux qui mobilisent le Congé individuel de formation le font parfois en défensif, à seule fin d’obtenir un diplôme, alors même qu’ils détiennent l’ensemble des compétences acquises en situation de travail. Face à la menace d’une relégation en cas de perte d’emploi, certains préfèrent partir en formation, alors qu’ils n’en éprouvent pas le besoin et uniquement parce qu’ils savent qu’ils ne pourront le faire, une fois au chômage. Une dépense mal orientée de plus.
Une articulation contractuelle entre financeurs de formation (Etat, région OPCA, Assedic, Fongecif) apparaît donc, sous cet angle, indispensable dans l’optique d’une réelle sécurisation des parcours.
La coopération entre les différentes institutions, acteurs de la formation professionnelle, est de ce fait décisive. En ce sens, l’accès à la formation pourrait être soumise aux indications d’un bilan de compétences, et financée ensuite quel que soit le statut du demandeur. Ce faisant, on s’épargnerait bien des dépenses inutiles, qui n’ont d’effet que de rassurer sans sécuriser.
Sans doute, une préoccupation partagée par le Sénat qui prône la voie du compte d’épargne formation.
Dans le débat qui va s’ouvrir sur la contribution financière des uns et des autres, il ne faudrait pas oublier les employeurs qui ont encore leur mot à dire et leur part à prendre.
Faire bouger les lignes ne sera pas suffisant si l’on veut que la sécurisation des parcours ne soit pas qu’un vain slogan.
Il ne faut pas non plus se focaliser sur la formation comme seul moyen pour y parvenir. Les apprentissages sur le tas, malgré l’avancée que constitue la VAE, mériteraient en effet d’être plus facilement reconnus.
L’hypocrisie actuelle consiste à se parer des meilleures intentions, car, au rythme actuel des certifications obtenues par la VAE, le défi ne pourra être tenu.
On le voit, c’est un travail de longue haleine qui mobilise de nombreux corps de métiers. Mais c’est un chantier qui peut être mené à terme, malgré tout, sous réserve d’oser le retoilettage indispensable de nos textes et lois.
Il est à souhaiter que les protagonistes s’entendent aussi bien que sur un chantier du BTP, si l’on veut que l’édifice ait une chance de voir le jour.