La Société d’économie solidaire, une autre vision de l’économie

par Tristan Valmour
vendredi 14 avril 2006

Les nouveaux types de contrats de travail sont destinés à apporter une réponse aux problèmes de l’emploi en favorisant telle ou telle population, ce qui revient à créer des dissensions, des discriminations. Ainsi les « vieux » sont-ils opposés aux « jeunes », les diplômés aux non-diplômés, le tout pour jouir de ce qui peut s’assimiler à un droit « constitutionnel » : travailler. Certains hommes politiques, pour résoudre le chômage, veulent aller plus loin en réformant le droit du travail en profondeur. D’autres, au contraire, souhaitent le statu quo, voire un retour en arrière. Pourtant, n’y aurait-il pas matière à contenter les uns comme les autres en analysant objectivement les préoccupations des chefs d’entreprises comme celles de leurs employés ? Une réponse satisfaisante pourrait alors être apportée par l’introduction d’une nouvelle forme juridique sociétale : la Société d’économie solidaire.

Tout chef d’entreprise, il ne faut pas l’oublier, est un travailleur précaire. Cette précarité peut être certes compensée par des revenus conséquents, mais dans la plupart des cas, elle ne trouve aucune compensation financière. Ainsi il n’est pas rare que les salariés d’une entreprise gagnent plus que leur employeur. Ajoutons à cela de nombreux sacrifices (vie familiale, responsabilités juridiques et sociales...), et nous pourrons aisément conclure que le statut de chef d’entreprise n’est pas si enviable. Le souci du chef d’entreprise peut être réduit à ce que la somme de ses décisions heureuses dépasse celle de ses choix malheureux, dans un environnement qu’il est loin de maîtriser.

Tout salarié, il ne faut pas l’oublier non plus, est aussi un travailleur précaire. Le CDI n’est pas un vaccin contre le chômage. Les procédures de licenciement sont certes complexes et coûteuses, moins cependant que de conserver un salarié indésirable, quelle qu’en soit la raison. Seul le fonctionnaire est assuré de son emploi tant qu’il n’a pas commis d’acte grave dans l’exercice de sa fonction. Le souci du salarié est d’assurer à son entreprise une position qui lui permette d’obtenir une rémunération en échange de son travail.

L’actionnaire, quant à lui, a pour souci de valoriser son capital, même si certains, « les actionnaires engagés », poursuivent en parallèle d’autres objectifs. L’entreprise, ses dirigeants et les employés sont donc, aujourd’hui, des produits de placement, alors qu’historiquement l’actionnariat avait pour objectif premier d’assurer la croissance des entreprises par l’apport de capitaux externes.

Le statut comme les objectifs de l’entrepreneur et du salarié ne sont pas si éloignés, ils ont en tout cas plus à gagner en s’accordant. Une partie des problèmes peut être expliquée par cette incommunicabilité. En effet, un enrichissement personnel de l’entrepreneur consécutif à des décisions heureuses peut être jugé indécent par les salariés si ceux-ci ne bénéficient pas à leur tour du fruit collectif. De même, un salarié qui ne remplit pas les objectifs qui lui ont été assignés, ou dont le coût rend difficile l’équilibre de l’entreprise, devient-il une menace pour l’entreprise, l’entrepreneur et les autres salariés. L’actionnaire ne s’inscrit pas, en général, dans la dimension humaine de l’entreprise.

Vivre, c’est risquer, même si l’une de nos préoccupations nous conduit à limiter le potentiel négatif du risque. Certains ont un attrait pour le risque quand d’autres y sont confrontés par obligation. Ainsi les employeurs qui appartiennent à la première catégorie demandent aux employés - la seconde catégorie- de partager leur vision du risque en introduisant plus de souplesse dans le droit du travail. Un partenariat clair, honnête et équitable pourrait concilier les besoins de chacune des parties et redéfinir la dimension sociale de l’entreprise : une aventure humaine collective. La création d’une nouvelle forme sociétale, la SES (Société d’économie solidaire), pourrait répondre à cette définition. Cette société serait mue non par une recherche immodérée du profit au service de quelques-uns, mais par la recherche d’un réel équilibre qui satisfasse toutes ses composantes. Cela reposerait sur un certain nombre d’avantages assujettis à autant de garanties.

Des aides à la création d’abord. Le créateur lambda est confronté à deux problèmes majeurs : trésorerie (les banques ne prêtent qu’en échange de garanties) et formation insuffisantes. Ainsi de nombreuses entreprises sont conduites à la faillite avant leurs cinq premières années d’existence. Les dirigeants issus des grandes écoles ainsi que ceux qui disposent d’un capital suffisamment important (ce sont souvent les mêmes) ont un taux de réussite supérieur aux autres. Voici donc quelques idées, pour garantir « l’égalité des chances » :

- Gratuité des formalités administratives, et formation continue gratuite du gérant pendant un an

- Prêt de 50 000 euros (maximum) au gérant, attribution d’une sorte de RMI et suspension des charges sociales du gérant. Ces aides seraient accordées sous conditions, et remboursables sur cinq ans, à partir de la troisième année d’existence.

Des avantages sociaux ensuite. L’importance des charges sociales garantit certes une protection sociale importante - et c’est heureux -, cependant elles sont un frein au développement des entreprises, surtout quand le monde se rétrécit (mise en concurrence, dans certains secteurs, de nos entreprises avec les entreprises étrangères). Voici donc quelques « idées » pour baisser le coût social du travail :

- Suspension des cotisations URSSAF, qui ne seraient dues qu’en cas de licenciement

- Création de caisses sociales autonomes

- Allègement des autres cotisations sociales

Des avantages fiscaux pour les dirigeants et les employés de ces SES : exonération de l’impôt sur le revenu pour les uns comme pour les autres. D’ailleurs l’impôt sur le revenu n’est guère productif, d’autant plus que les contribuables informés, en général les plus importants, y échappent partiellement, voire totalement.

La SES serait également la seule entreprise à bénéficier des aides publiques comme à accéder aux marchés publics. L’octroi des aides publiques fausse l’économie de marché car, limitées, elles profitent à certains secteurs, à certaines entreprises, au détriment d’autres. Pourquoi en effet privilégier le vigneron, au mépris de l’artisan ou du boutiquier ? L’expérience nous a également montré que les aides publiques accordées aux entreprises en échange de leur implantation n’a pas toujours vu pérenniser l’emploi ni contribuer aux richesses locales. Même si l’accès aux marchés publics a gagné en transparence au cours des dernières années, le chemin est encore long pour abolir la corruption.

La SES serait également la seule entreprise à recourir aux contrats aidés et, pourquoi pas, à assouplir la procédure de licenciement.

On peut enfin imaginer que certains secteurs (banques, assurances, industries alimentaire et culturelle, bref, tous les producteurs de biens et services indispensables) ne puissent se constituer qu’en SES.

Si les avantages octroyés à cette entreprise paraissent conséquents, les garanties le sont aussi.

D’abord, tout licenciement devrait être approuvé par la majorité des employés, et les cotisations URSSAF seraient dues.

Ensuite, la SES n’aurait droit ni d’entrer en Bourse, ni de muter en un autre type de société.

De même, tout bénéfice non réinvesti serait versé à l’Etat.

Enfin, le salaire (qui inclut les primes) deviendrait la seule forme de rémunération, aussi bien pour les employés que pour les dirigeants. Le salaire le plus haut ne pourrait pas dépasser de trois à cinq fois le salaire le plus bas. La cohésion sociale serait renforcée tout en garantissant une discrimination des revenus, moteur de performance. L’instauration d’un salaire maximal - on n’en parle jamais quand le salaire minimal existe- pourrait venir compléter cette mesure.

En résumé, la SES s’inscrit parfaitement dans une logique capitalistique, productrice de richesse, tout en écartant ses excès, à savoir la recherche immodérée du profit au service exclusif d’une minorité. Celle-ci s’établit au détriment du salarié, du consommateur et des écosystèmes. Les effets bénéfiques, au contraire, il convient d’en poursuivre l’analyse, ce qui ne peut être l’objet d’une telle synthèse, pourraient être multiples.

Tristan Valentin


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