La somme de toutes les peurs
par Olivier CHAZOULE
jeudi 9 septembre 2010
Fortress Europe est un terme américain inventé au cours des années 1980. Il fait référence à la prise de conscience par le Nouveau Monde de l’importance grandissante de l’Europe tant sur le plan économique que sur le plan juridique, avec l’émergence d’un nouveau corps de droit international à usage des pays membres.
Le droit de la Concurrence mené par la Commission de Bruxelles en est un des exemples.
Les Etats-Unis seront les premiers à envoyer de nombreux lobbyistes dans la capitale européenne, paradoxalement beaucoup plus tôt que les Etats européens eux-mêmes qui mettront de nombreuses années à réaliser l’importance de l’Europe Communautaire.
Le Traité de Rome de 1957 crée la Communauté Européenne, après la CECA, et l’Euratom. La Communauté Européenne deviendra plus tard l’Union Européenne
L’idée d’une Forteresse Européenne garantie par un droit évolutif, téléologique (qui s’oriente vers la réalisation des objectifs et ne s’attarde pas sur la phraséologie juridique plus qu’il n’est nécessaire) fait naitre une crainte chez les non-Européens. Une crainte de nouvelle hégémonie européenne
Cette crainte ressurgit aujourd’hui.
En effet, ce sont bien les Etats-Unis qui sont à l’origine de la crise financière internationale avec le crash des subprime qui a éclaté en juillet 2007 à Wall Street et n’en finit plus de ne pas en finir.
Comme les économies de monde sont étroitement interconnectées, la contagion a gagné toutes les places financières de la planète en quelques jours ou quelques semaines. Puis en quelques mois toutes les économies du monde ont plongé à pic
Parmi les premiers à réagir ont été les gouvernements européens qui ont massivement injecté des liquidités dans leurs économies respectives tout en soutenant activement leurs grandes banques.
En règle générale, Bruxelles interdit, sauf sous certaines conditions, les aides des Etats membres à leurs entreprises nationales pour ne pas entrainer de distorsion dans les compétitions intracommunautaire et extracommunautaire. Cependant, des exceptions sont autorisées comme dans le cas présent de la crise financière et aussi pour les conséquences économiques désastreuses pour les compagnies aériennes du nuage volcanique sur l’Europe en avril dernier.
L’autre obstacle rencontré par les pays européens est la délégation de compétence des Etats à l’Union Européenne en matière monétaire qui. Les pays de l’Euro groupe, qui ont abandonné leurs monnaies pour créer une monnaie commune (pendant 6 mois de transition) puis une monnaie unique (après cette période de transition initiale) ont remis les clés de l’émission monétaire et de toute leurs politiques monétaires à la BCE, Banque Centrale Européenne, qui se trouve à Francfort, au cœur de l’Allemagne des affaires, et dont le Président est le Français Jean-Claude Trichet.
Mais là encore il est possible de contourner ces contraintes de délégation des compétence à la BCE et les Etats européens les plus astucieux, c’est-à-dire la quasi-totalité d’entre eux, à commencer par l’Allemagne et par la France, ont trouvé des moyens de soutenir leurs banques en difficultés
En tout état de cause, au milieu de la crise boursière de 2007 les Américains ont unanimement reconnu que la BCE avait réagi plus vite et plus massivement que la FED (Federal Reserve Bank) américaine dirigée par son Chairman Ben Bernanke. Même les banques européennes sont allées se refinancer sur le marché financier européen auprès de la BCE plutôt qu’auprès de la FED jugée trop timide.
La conséquence a été que les économies européennes ont relativement bien tenu le choc financier, alors que des géants comme Lehmann Brothers se sont effondrés en un week end sans personne pour les secourir. Les autres banques américaines ont reçu une aide massive du Trésor américain et des liquidités quasi-gratuites et quasi-illimitées de la FED.
BCE et FED ont même accepté d’acheter aux banques leurs créances douteuses c’est-à-dire de donner aux banques du vrai argent en échange d’argent-papier d’habitude utilisé pour jouer au Monopoly.
Seulement, cette aide aux banques européennes s’est traduite par un endettement des Etats et de la BCE : lorsqu’on donne de l’argent sans contrepartie, c’est un beau geste. Mais ça ne rapporte rien, par définition, et ça coûte même très cher. C’est ce qu’on appelle un prêt à moins 100%
Et qui a payé les -100% ?
Les Etats européens.
Directement et via la BCE.
Conséquence ?
Un déficit abyssal des finances publiques des pays européennes en question.
Deuxième conséquence ?
Les Etats aux finances exsangues ont eu plus de mal à financer leurs déficits et leurs dépenses courantes puisque le financement possible ne provient que des taxes/impôts et de l’endettement sur les marches financiers (sauf à demander l’aide du FMI ou de la Banque Mondiale). Leur crédit en a été affecté et les taux d’intérêts qu’ils ont dû payer aux prêteurs sont montés en flèche. Effectivement, lorsqu’on prête à quelqu’un qui a déjà beaucoup de dettes on risque de ne jamais retrouver son argent, donc on se protège avec un taux d’intérêt élevé.
Ceci n’a pas échappé aux banques internationales (incluant les banques européennes) et aux Hedge Funds qui se sont mis à parier sur la chute, la faillite, de la Grèce, puis du Portugal, de l’Espagne, de l’Irlande, de l’Italie, et même un temps sur celle de l’Allemagne et de la France. Même les pays n’utilisant par l’Euro comme la Hongrie ont été violemment attaqués sur les marchés. Et des pays de la périphérie de l’Europe, comme l’Islande, ont vu leur système bancaire tout bonnement disparaitre.
Tout cela est triste, voire désolant.
Mais c’est surtout illégitime
En effet, les grandes banques qui ont attaqué les Etats sont celles-là même qui avaient été sauvées par lesdits Etats. Si les Etats étaient en déficit, c’est parce qu’ils avaient massivement épongées les erreurs spéculatives des banques en question. C’est à peu de choses près l’histoire du chien qui mort la main de celui qui le nourrit. Heureusement, les chiens ne font jamais cela. Ils sont trop intelligents
Hélas, la Tartufferie ne s’arrête pas la puisque les banques après avoir quasi-ruiné les Etats on ensuite décidé de soumettre ces Etats, via leurs banques à des stress tests au printemps dernier.
Les grandes banques du monde ont ainsi poussé les grands Etats de la Communauté Internationale à agir, directement ou indirectement en leur faisant souffler à l’oreille via certaines institutions financières internationales la Banque des Règlements Internationaux qui se trouve Bâle, en Suisse (ne pas confondre avec les gnômes de Zurich) et qui régule à court terme la finance internationale (réunions régulières des autorités monétaires mondiales, les gouverneurs/présidents/chairmen des banques centrales de la planète) et la réglementent à long terme (Basel I, Basel II, et maintenant Basel III).
Le but ? Soumettre les banques européennes à des stress test. Un peu comme on teste le une voiture pour savoir au bout de combien de coups de pilon le toit casse.
Ce sont donc les banques qui ont ruiné les Etats qui ont exigé, indirectement, que les Etats soient testés à travers leurs banques. Ce qui a eu pour conséquence que les banques demanderesses (celles qui sont européennes) se sont retrouvées à la fois procureurs et suspects. Elle ses ont accusées elles-mêmes.
Mais cela n’a aucune importance car si elles étaient découvertes comme à risque elles étaient immédiatement rachetées par les Etats. Ce qui revenait à leur consentir un second prêt perdu à 100%, soit 200% en tout : les subventions + le rachat de la banque en faillite
Au moins, quand Zola clamait J’accuse !, il ne faisait pas payer auxdits accusés ses propres repas de famille.
Mais comme lorsque la confiture est bonne on est tenté d’en reprendre encore, il fallait trouver quelque chose de neuf.
Une nouveauté qui vient de voir le jour cette semaine sur les places financières internationales. Bien que les stress tests aient été quasi-unanimement positif pour les banques européennes et donc indirectement pour les Etats-Européens, des Hedge Funds et des banques (dont certaines européennes !) se sont resservi un bon bol de Nutella : ils ont délibérément paniqué les marchés (en faisant des profits endormes) sous prétexte que les stress tests pourtant complètement satisfaisants étaient imprécis ou faux et que les banques européens étaient vulnérables.
Une seule chose est rassurante doivent se dire les spéculateurs : en Europe, comme ailleurs, quand il n’y aura plus d’argent sur les marchées financiers, il suffira de secouer la Corne d’Abondance pour en obtenir.
Cette Corne d’Abondance est également connue sous le doux nom de Contribuable
Olivier Chazoule